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Souvenirs de Cinéma #46 : Romain Dasnoy

Aujourd’hui c’est Romain Dasnoy fondateur de Wayô Records et Overlook Events, organisateur des concerts de Joe Hisaishi et Danny Elfman en Europe, mais aussi auteur de plusieurs ouvrages dont ceux consacrés récemment à Indiana Jones et Read Dead Redemption chez Third Editions, qui revient sur de nombreux souvenirs impliquant l’image et le son, ayant forgé son parcours personnel et professionnel. 

Mes premiers souvenirs cinématographiques sont flous. Ils se confondent nécessairement avec toutes les stimulations audiovisuelles rencontrées durant l’enfance. Le magnétoscope, cette prodigieuse machine accusée de tuer le cinéma, était alors une nouveauté à la maison. J’étais le seul à comprendre son fonctionnement à un âge déraisonnablement bas. Le décodeur Canal+ y était branché, et on pouvait régler les chaînes de télévision pour enregistrer un programme tout en regardant un autre ailleurs, au même moment. Le prodige technologique était en marche. L’arrivée des consoles de jeu dans cette décennie quatre-vingt n’a également rien d’anodin. Nous sommes sans doute la première génération baignant complètement dans cette culture pré-numérique de l’image, à la maison. Je suis né à quelques jours d’intervalle de la sortie de Blade Runner ; cette évocation lointaine d’une technologie ayant pris le dessus sur l’humain me fait encore sourire. Par conséquent, mes premières sensations organiques ne sont pas liées au bruit du moteur émanant de la salle de projection d’un cinéma de quartier, mais plutôt celle de l’appareil qui enclenche son système de lecture de la VHS, la définition douteuse des postes de télévision de l’époque, et les sonorités rudimentaires des jeux Nintendo ; des processus numériques, mais avec des impulsions toujours entièrement mécaniques.

Pour des raisons qui s’expliquent aussi bien qu’elles peuvent paraitre difficiles à comprendre, pour moi, tout cela fait partie des souvenirs de cinéma. Cette idée d’une œuvre flamboyante, dépassant l’entendement, pouvant être excitante, inquiétante, fascinante, dont l’image ou la musique va marquer l’esprit des heures, des jours, des mois durant, m’obsède depuis toujours mais revêt bien des formes. Le cinéma, je l’ai découvert à la télévision, dans la salle obscure qu’était le salon familial, avec des bruits de fond mécaniques aujourd’hui pratiquement disparus, ce qui m’empêche de réellement tirer un trait entre cette expérience de vie et celle que j’aurais pu vivre – et que je vivrai bien sûr par la suite – dans les salles de cinéma. Je me passionnais pour les robots de Goldorak en rediffusion et ceux du Retour du Jedi pour sa première diffusion sur Canal+, j’explorais le monde de Zelda tout en découvrant celui d’Indiana Jones, j’étais fasciné par Dragon Ball tout en découvrant le Batman de Tim Burton au cinéma… il est ainsi difficile pour moi de parler convenablement de culture cinéma sans évoquer plutôt une réelle culture de l’image avant tout.

Je ne garde que des flashs et des sensations de mes premières expériences cinématographiques. La jungle dans Indiana Jones (mais lequel… ?) m’a énormément marquée, tout comme la créature dans la boite de Gremlins, les étendues vides d’Il était une fois dans lOuest, le combat de rue dans Rocky V ou les scènes de la prison dans Robin des Bois, pour me rendre compte bien plus tard que ces éléments étaient parfois anodins dans leur narration respective… des sensations qui s’accumulent, plus ou moins importantes dans l’histoire globale, comme une musique, un visage, un dialogue, un plan ou un objet, et qui forment un tout indissociable de l’idée que je me faisais du cinéma : un univers riche d’éléments innombrables, et pas juste une (autre) façon de raconter des histoires.

Je me suis alors pris de passion pour lui, mais en consommer n’est pas si facile. À la maison, on regardait aussi bien des classiques, westerns, thrillers ou films d’action, passant d’Alfred Hitchcock et John Huston à James Cameron et Steven Spielberg sans complexe. Une culture multiple, que je ne cherche pas à hiérarchiser : Hitchcock a aussi réalisé des films très moyens, et déjà à l’époque je me rendais bien compte que, dans leur catégorie, Terminator ou Alien étaient d’immenses réussites qui m’obsédaient plus que de raison. Et je suis plus que reconnaissant d’avoir vu des films moins ancrés dans la culture du « genre » ou d’Hollywood avant l’adolescence, comme LOurs de Jean-Jacques Annaud (merci l’école publique), La Gloire de mon père d’Yves Robert et même Germinal de Claude Berri. Cependant, plus tard, je voulais être archéologue ou cow-boy ; l’impact d’un certain type de cinéma reste évident sur ma construction personnelle, puisque bien plus tard, j’écrirai un livre sur Indiana Jones (archéologie) et un autre sur Red Dead Redemption (western) !

Adolescent, en plus des diffusions à la télévision (les téléfilms adaptés de Stephen King, les séries ou encore le « cinéma de quartier » de Jean-Pierre Dionnet), je louais des films au vidéoclub du coin où j’explorais le cinéma de genre avec la découverte de David Cronenberg, Sam Raimi, Tobe Hooper, John Carpenter, mais aussi pas mal de grands classiques pris un peu au hasard. Puisqu’il n’y avait que ça à voir, je les regardais jusqu’au bout, et je dois bien admettre que très naturellement, j’aurais sans doute coupé court si, à cet âge, j’avais eu accès à Netflix ou Prime Video… notre abnégation à voir du cinéma varié, classique ou réputé lent et ennuyeux, n’en était pas réellement : nous n’avions juste pas le choix. J’ai donc vu des films de Fritz Lang, Federico Fellini, Roman Polanski, Don Siegel, David Lean et bien d’autres, avec un intérêt toujours grandissant. Au collège, j’étais le seul à m’extasier et citer le nom des compositeurs que j’aimais dans les films que je voyais. C’était amusant car ça ne parlait à personne, et n’y voyez-là aucune tentative d’élitisme précoce de ma part… John Williams sur Jurassic Park, Bruce Broughton sur Tombstone, Jerry Goldsmith sur Air Force One, Danny Elfman sur Un plan simple ; plus tous les films que j’enregistrais sur cassettes audio depuis la télévision pour réécouter les musiques… chose que je faisais aussi avec la console de jeu, mais c’est une toute autre histoire.

La fin de l’adolescence a été le choc du cinéma asiatique avec mon arrivée sur Paris et des amis d’origine asiatique qui m’entrainaient dans les méandres du treizième arrondissement et ses boutiques de VCD. Un format très développé en Asie, sur lesquels on trouvait, à prix très bas, des films de tous pays. Ça été, quelques années avant Matrix, une claque sans précédent dans ma culture personnelle. Le cinéma hongkongais était un foisonnement de pépites littéralement incroyables. Comment ces trucs-là pouvait exister ? Oui, on avait vu quelques films chinois avec Jackie Chan extrêmement mal doublés, on connaissait bien sûr les films âpres et violents de Bruce Lee et quelques films soporifiques en noir et blanc diffusés sur Arte, mais des polars d’action, des films de science-fiction, des films fantastiques avec une telle profusion d’inventivité à tous les étages ? Même des films comme Black Mask avec Jet Li, au demeurant assez quelconque, avait des airs de jamais-vu que même la vision de Matrix ou Tigre et Dragon nous laissait froid. Une sensation accentuée et entretenue avec la superbe collection HK Video, qui ajoutait le cinéma japonais à l’équation, renforçant ma fascination pour Takeshi Kitano après avoir découvert Hana-bi au cinéma, et quelques autres classiques d’autres réalisateurs chez René Château Vidéo (car tout n’était pas soporifique pour autant !). Au même moment, je découvrais Porco Rosso, puis Totoro sur Canal+, et, tiens donc, il s’agissait du même compositeur que celui de Takeshi Kitano, Joe Hisaishi.

Il n’en fallait pas plus pour moi, et c’était cependant déjà beaucoup. Dès les premières connexions internet valables, je montais des sites Internet, l’un consacré à Joe Hisaishi, l’autre au cinéma asiatique, je travaillais sur des projets comme un site d’information exhaustif sur Masamune Shirô, et j’intégrais des évènements comme Japan Expo (dès 2001, avec la prise de responsabilité dans le pôle cinéma) et le Festival Jules Verne et son grand concert de musique de film dès 2004 au Grand Rex, qui m’a fait prendre de passion pour Alex North, Lalo Schifrin et Max Steiner, mais aussi des magazines en tant que pigiste, tout en suivant des cursus universitaires… de cinéma et de langue Japonaise.

Cette culture ne m’a jamais quitté. Elle guide mes choix professionnels à tous les niveaux. J’ai eu la chance (avec du travail, malgré tout) de concrétiser des projets aussi riches que de la création de concerts, notamment auprès de Danny Elfman et Joe Hisaishi, d’écrire des livres, monter un label spécialisée musique à l’image, ou encore de présenter une émission sur France Musique pour parler des compositeurs de film et de jeu vidéo. Je ne peux dissocier cette imbrication culturelle de l’idée que je me fais de la culture cinéma, aussi loin que mes souvenirs me ramènent, car elle est le principal moteur de ma passion pour la narration audiovisuelle, la musique, l’image ou encore l’écriture. Les souvenirs qui lui sont liés vont alors avoir tendance à se cristalliser en des sensations intimement liées à notre parcours de vie. D’imbrication culturelle, le cinéma va littéralement s’intriquer dans notre vécu, et le regard que l’on porte sur lui est forcément empreint d’incertitude, de circonvolution et beaucoup d’introspection. Le rapport d’interaction entre l’œuvre et le spectateur en est inversé, ce ne pas nous qui regardons des films, c’est le cinéma qui nous observe et nous voit grandir. Et quelque part, c’est sans doute la chose la plus rassurante qui soit. 

Romain Dasnoy

Propos recueillis par Yoan Orszulik, vous pouvez retrouver Romain Dasnoy via ses ouvrages consacrés à Indiana Jones et Read Dead Redemption chez Third Editions, ainsi que sur sa chaine Youtube/Twitch MacGuffin Maker, Facebook, Twitter et Instagram.

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