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Souvenirs de Cinéma #37 : Samir Ardjoum

Aujourd’hui c’est Samir Ardjoum, Rédacteur en chef de Microciné, la revue du cinéma et de la télévision sur YouTube, qui invite des personnalités de tous horizons à venir évoquer leur passion pour le 7ème art, qui nous fait l’honneur de revenir sur deux souvenirs marquants ayant forgé son regard. L’un vis à vis du cinéma, l’autre vis à vis de la télévision à travers un événement marquant. 

Il y a toujours ce désir de croire que nous étions là depuis longtemps. 

Que les choses sont aussi simples que le souvenir fulgurant d’un songe.

Du haut de mes 46 piges, j’aime à espérer que j’ai pu voir suffisamment de cinéma pour construire mon ADN (ce qui sera toujours différent voire insuffisant aux yeux des Autres), et donc tenir tête -enfin- au monde qui n’arrêtait pas de me contredire. Le présent est génial car il se renouvelle chaque 24h. Comment faire pour le comprendre, le cerner, lui mettre un coup de tête et le calmer ; suffit juste d’être aux aguets des images qui viennent. Suffit juste de les attraper. De prendre le temps de les voir. Rien que pour cela, jamais, je ne pourrais croire que tout est fini. Chaque jour qui se finit, c’est un scénario qui se termine. Chaque nuit qui débute, c’est un rêve qui se transforme en style. Et chaque transition c’est la quintessence d’une promesse. Celle du monde qui te (me) voit. 

Moi, le monde m’a regardé réellement dans les années 80. D’abord via la télévision, puis plus tard, vraiment plus tard, via le cinéma et ses généraux, ceux qu’on appelait communément, les salles de cinéma. 

Mais il y aura deux dates.

D’abord, une nuit.

Je devais avoir 8 ou 9 ans… peut-être même 7. A cette époque de ma vie, je passais les vacances estivales en Algérie dont une huitaine de jours à peu près dans le village de mes grands-parents, en Kabylie. « Tizi-Medjber » pour être plus précis. Cette année, et pour de vagues raisons, je me suis retrouvé, sans mes parents, dans ce village, entouré d’oncles et de tantes maternels. Un soir, donc, dans le salon d’une des vieilles maisons du village, je regardais la Télévision. La seule chaine surnommée judicieusement « L’unique », organisait habituellement nos soirées. Ce soir-là, un film était diffusé. En noir et blanc. Je ne comprenais rien à ce que je voyais excepté que je trouvais l’héroïne, incroyablement belle et dure à la fois. Sans doute qu’elle devint, sans que je le sache, le modèle de femme qui allait me suivre toute ma vie. Plus tard, je sus qu’elle s’appelait Janet Leigh, qu’elle fut une grande star du cinéma hollywoodien et que ce film, dans lequel, elle se dispersait, était Psychose. Pour la première fois de ma vie, je me confrontais à Alfred Hitchcock. Nous étions au milieu des années 80, la nuit était fraiche et belle, le salon rempli de cousins -es et autres membres de ma famille, et le poste de télévision comme seule échappatoire, comme seule fenêtre sur le monde. Sur mes fantasmes. 

Ce fut la première image. 

Enfin, un jour.

Je me trouvais à Saint-Cloud, dans ma ville natale, plus précisément dans le salon de mes parents (encore une fois). Du haut de mes 16 ans, je vagabondais entre le cinéma et le désir de me décomplexer face à certaines choses que la vie s’amuse parfois à parsemer sur les visages boutonneux de l’adolescence. Un après-midi ensoleillé, enfermé dans le salon familial, regardant un épisode de Côte Ouest donc dans une attitude de déprimé notoire. Puis un message de la rédaction de TF1 que je vois défiler sur l’écran alors que la série continuait à nous infliger sa lourde révérence. Le président Mohamed Boudiaf venait de se faire assassiner. Ma mère me regarda, la main sur sa bouche attendant ma réaction, qui tarda à venir… Et qui finalement ne viendra jamais, trop affairé à mes problèmes existentiels de petit français soucieux de dénigrer ses origines. 

Une mort restée célèbre, ne serait-ce que pour le montage diffusé sur toutes les chaînes de télévision nous montrant un « plan » que tous avaient vu sans l’avoir réellement visionné dans la petite lucarne : l’assassinat réel de Boudiaf. Cette image fut « retirée » pour des raisons qu’on peut deviner, laissant aux spectateurs le soin de se réinventer leur propre perception des faits. Aujourd’hui, vous dites « Boudiaf » et la majorité vous répondra : « Un corps allongé criblé de balles. ». 

Revoyons cette séquence. Revoir Boudiaf s’adresser à des cadres lors de cette conférence. Sa dernière phrase : « Par le savoir. Et l’Islam… », ces deux mots qui n’ont jamais été antinomiques, puis il se retourne. Plan suivant sur l’assistance, perdue, qui se baisse. On y entend des coups de feu, une explosion. On y voit des caméras de la Télévision filmer quelque chose, un autre plan où l’on devine le corps de Boudiaf s’effondrer. Où certainement, l’on verrait une personne, l’assassin, prendre la vie du président. Ce plan sera retiré, devenant un hors-champ. 

Ce sera la seconde image.

Deux hors-champs. 

Et un cinéma, le mien…pour toujours.

Samir Ardjoum

Propos recueillis par Yoan Orszulik. Vous pouvez retrouver Samir Ardjoum via sa revue MicroCiné sur YouTube, ainsi que sur Twitter

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