Décédé des suites d’un cancer du poumon le 10 avril 2020, le réalisateur Nobuhiko Ôbayashi laisse derrière lui une oeuvre importante dans le cinéma japonais. Une filmographie qui reste méconnue en dehors de l’archipel nippon et de certains cercles cinéphiles. L’occasion de revenir succinctement sur le parcours de celui que ses fans surnommait affectueusement le magicien du cinéma. Hommage.
Né le 9 janvier 1938 à Onomichi, ville portuaire dans la préfecture d’Hiroshima, Nobuhiko Ôbayashi voit son enfance marquée par la seconde guerre mondiale. Durant cette période, il est élevé par ses grands-parents maternels tandis que son père médecin est appelé au front. Le bombardement atomique du 6 août 1945 à Hiroshima, qui coutera la vie à plusieurs personnes dont Nobuhiko était proche, finira de forger ses convictions pacifistes. Bien que s’intéressant dès son plus jeune âge à différentes pratiques artistiques (peinture, dessin, musique) c’est le cinéma et l’animation qui finissent par remporter son adhésion, au point qu’il abandonne la carrière de médecin à laquelle il était destiné. Lorsqu’il intègre l’université de Seijo à Tokyo au milieu des années 50, il commence à mettre en images ses premiers courts métrages expérimentaux, dans lesquels on découvre son envie de mélanger prises de vue réelles et animation à la manière du canadien Norman McLaren. Ce sont justement ses travaux dans le cinéma expérimental qui lui permettront de se faire un nom dans les années 60. Très marqué par le film de Roger Vadim Et mourir de plaisir, Ôbayashi tourne en 1966 Emotion, l’histoire tragi-comique de deux jeunes filles aux prises avec un vampire. Un moyen métrage dans lequel on retrouve déjà les thématiques qui vont rejaillir régulièrement dans sa filmographie. À savoir une affection pour le mélange des genres, le cinéma japonais et occidental, un humour absurde et enfantin, mais surtout une approche stylistique qui doit beaucoup au cinéma des origines et à l’animation ayant pour ambition de retranscrire visuellement les émotions de jeunes personnages dans l’entre âge. Un mélange détonnant qui confère à l’ensemble un aspect lyrique tributaire aussi bien du mélodrame que du manga. Deux ans plus tard, la sortie de Confession, son premier long métrage tourné à Onomichi, narrant une romance à trois façon Jules & Jim, finit d’esquisser l’ambiance douce amère à l’oeuvre dans son cinéma. Dans les années 70 Ôbayashi se charge de mettre en images des milliers de spots publicitaires qui lui vaudront de diriger des stars comme Kirk Douglas, Catherine Deneuve, Charles Bronson ou encore Sophia Loren.
C’est dans ce contexte que Nobuhiko Ôbayashi est contacté par les cadres de la Toho pour mettre en images un projet susceptible d’être la réponse japonaise aux Dents de la mer de Steven Spielberg qui vient de cartonner dans le monde entier. Avec l’aide de sa fille Chigumi et du scénariste Chiho Katsura, Ôbayashi imagine l’histoire d’adolescentes aux prises avec une maison hantée dans laquelle vit la grande tante de l’une d’entre elles. Véritable aboutissement des travaux antérieurs du cinéaste, House est également le premier film japonais pensé comme un authentique blockbuster moderne avec tout ce que cela implique de promotion et merchandising. Lorsqu’il débarque dans les salles japonaises le 30 juillet 1977, il devient un phénomène similaire à celui que connaissent au même moment les États-Unis avec Star Wars. Malgré des critiques majoritairement négatives, le film va marquer toute une génération de jeunes spectateurs. Cependant l’aspect décalé et psychédélique de l’œuvre va lui valoir une réception internationale des plus atypiques. Aux États Unis certains campus diffuseront House de manière officieuse à la manière d’un midnight movie, comme El Topo ou Eraserhead, avant de connaître l’honneur d’une édition Blu-Ray par le prestigieux éditeur Criterion. En France malgré une diffusion au Festival international du film fantastique et de science-fiction de Paris, House n’a jamais trouvé le chemin de nos salles et reste encore aujourd’hui « inédit » chez nous, malgré le soutien de fans francophones ayant grandement contribué à le faire sortir de l’anonymat via le web. Si des personnalités aussi diverses que Bill Hader, Bertrand Mandico ou Nacho Vigalondo ont déclaré leur l’affection pour le long métrage, c’est cependant du côté de Sam Raimi que la filiation artistique s’avère la plus fascinante, tant les correspondances, volontaires ou non, entre le film de Ôbayashi et les deux premiers volets de la saga Evil Dead sont nombreux. Toujours est-il que House reste à ce jour l’oeuvre la plus connue du cinéaste japonais à l’étranger au point d’éclipser le reste de sa filmographie pourtant non dépourvu d’interêt. La même année que House, Ôbayashi réalise The Visitor in the Eye, une adaptation du manga Black Jack d’Osamu Tezuka avec le charismatique Jô Shishido, acteur fétiche de Seijun Suzuki, dans le rôle principal.
Cependant ce sont les années 80 qui vont asseoir la réputation d’Ôbayashi auprès des jeunes spectateurs. La crise que connaissent les studios japonais depuis les années 70 oblige ces derniers à chercher de l’aide auprès de producteurs indépendants parmi lesquels Haruki Kadokawa, héritier d’une des plus grosses maisons d’éditions du pays. C’est pour le compte de ce dernier que le réalisateur se retrouve à mettre en images des véhicules promotionnels pour des Idols comme Hiroko Yakushimaru ou Tomoyo Harada. Cependant avec le soutien de son épouse et productrice Kyôko, Ôbayashi va déjouer les contraintes imposées par le mogul de l’époque pour livrer des oeuvres personnelles traitant avec beaucoup de sensibilité des affres de l’adolescence. Et ce sans jamais renier son style, tout en démontrant sa faculté à tirer le meilleur de ses têtes d’affiches. Après The Aimed School, narrant les péripéties d’une invasion extraterrestre fascisante dans un lycée, filmé sous un angle expérimental et pop jusqu’à saturation, il enchaine trois films tournés dans sa ville natale d’Onomichi qui vont lui permettre de réadapter et parfaire son style. Le premier d’entre eux, Exchange Students, adaptation du roman I are you, you am me de Hisashi Yamanaka, narre l’échange de corps de deux adolescents lors d’une chute dans un escalier. Plutôt que d’opter pour une comédie grivoise, le cinéaste choisit une dynamique humoristique misant d’avantage sur une connaissance mutuelle, avant de bifurquer vers une ambiance mélancolique évoquant autant la fin de l’innocence que la difficulté des jeunes à s’intégrer dans l’expansion économique du japon. Le long métrage suivant The Little Girl Who Conquered Time, première adaptation cinématographique du roman La traversée du temps de Yasutaka Tsutsui, va permettre au cinéaste de mêler harmonieusement l’approche intimiste de Exchange Students à celle plus graphique de House et The Aimed School. Une réussite dont l’apothéose se trouve dans le saut temporel, véritable climax émotionnel, dans lequel Kazuko Yoshiyama est amenée à contempler un passé alternatif.
En 1985 Lonely Heart, considéré par beaucoup de fans comme l’un des films les plus aboutis du réalisateur, viendra conclure cette trilogie thématique. Si l’on devait rapprocher la démarche du réalisateur japonais de ses confrères occidentaux, ce serait du côté de Robert Zemeckis ou même du Peter Jackson de Créatures Célestes et de Lovely Bones. Tous deux partagent avec Ôbayashi le goût pour l’expérimentation baroque héritée du cinéma des origines au service d’oeuvres intimistes à fleur de peau. Cependant, loin de se limiter aux féeries adolescentes, Ôbayashi va explorer d’autres genres comme la comédie ou le film d’animation, avant de signer en 1987 The Drifting Classroom, une adaptation du célèbre manga de Kazuo Umezu: L’école emportée. Malheureusement, ce qui aurait dû marquer la rencontre entre deux artistes complémentaires dans l’approche horrifique et sarcastique de la jeunesse va accoucher, d’après ceux ayant eu la chance de voir le long métrage, d’un rendez-vous manqué auquel sont confrontés les grands cinéastes dans leur carrière. Cependant, le film marque la première collaboration entre Ôbayashi et le célèbre compositeur Joe Hisaishi. Par la suite le réalisateur abordera des sujets plus ancrés dans le social, tout en revenant régulièrement vers le fantastique comme en témoigne The Discarnates, film d’horreur sorti en 1988 à l’approche relativement différente de ses travaux antérieurs. L’année suivante il adapte un fait réel avec Beijing Watermelon. Un drame dans lequel un marchand de légumes vivant près de Tokyo voit sa vie bouleversée lorsqu’il rencontre Li, un étudiant chinois vivant dans la pauvreté. Toujours en 1989 il est invité à filmer le tournage de Rêves, film à sketchs signé Akira Kurosawa et Ishirô Honda, de son propre aveu l’une des expériences les plus marquantes de sa vie. L’occasion pour Ôbayashi de rendre hommage à ses mentors et de livrer un témoignage historique sur un projet ayant réuni certains des plus grands artisans de l’histoire du cinéma. Outre Kurosawa et Honda, il est important de rappeler que le film fut produit en partie par Steven Spielberg et que Martin Scorsese interprète à l’écran le peintre Vincent Van Gogh tandis que George Lucas apporte également son soutien via sa compagnie d’effets spéciaux ILM. C’est également durant le tournage de ce making of exceptionnel qu’Ôbayashi fit la promesse à Kurosawa de continuer à tourner des films afin d’oeuvrer pour la paix. Une promesse qui se concrétisera en 2019 avec la présentation de son dernier long métrage Labyrinth of Cinema avec Tadanobu Asano, dans lequel un groupe de jeunes se retrouvent projetés juste avant le bombardement atomique d’Hiroshima, après avoir assisté à une projection dans un cinéma.
Entre temps le réalisateur va continuer d’oeuvrer en tant que touche à tout. Au début des années 90, il revient au film pour enfants avec Samourai Kids, l’un des rares titres qui soit parvenu en France par l’intermédiaire de Gaumont/Columbia/TriStar qui le sortira directement en vidéo. Une fable écologique qui sera l’occasion pour le réalisateur de confier un rôle à son ami Ishirô Honda, dont il admire Godzilla, au point d’avoir envisagé à la fin des 70s – début 80s, de mettre en images une nouvelle version du monstre atomique qui finira par devenir une histoire illustrée par le grand Katsuhiro Ôtomo (Akira). Les années 90 sont également l’occasion pour le cinéaste de livrer deux portraits de femmes. Turning Point, l’histoire d’une journaliste devant faire face à la pression de ses confrères masculins, et Sada, nouvelle adaptation du drame de Sada Abe qui avait déjà inspiré Nagisa Oshima pour L’empire des sens. C’est d’ailleurs ce film qui permettra au réalisateur de House de remporter le prix FIPRESCI lors du festival de Berlin en 1998. Durant les années 2000 – 2010, l’arrivée de réalisateurs comme Mamoru Hosoda, Makoto Shinkai ou même Sion Sono démontrent l’influence majeure de Nobuhiko Ôbayashi sur la nouvelle génération de cinéastes. Que ce soit La traversée du Temps ou Your Name, ces longs métrages témoignent d’une vraie déférence à l’égard du réalisateur ayant marqué leur jeunesse. En 2016 Nobuhiko Ôbayashi entreprend de mettre en images un projet remontant à l’époque de House, une adaptation du roman Hanagatami de Kazuo Dan, narrant le quotidien d’un adolescent vivant avec sa riche tante juste avant la seconde guerre mondiale. L’occasion pour le cinéaste de livrer un film somme revisitant son oeuvre tant cinématographique que personnelle, à travers le portrait d’un rêveur qui malgré les horreurs de la guerre souhaite continuer de rêver. Probablement la plus belle définition d’un artiste qui considérait le cinéma comme un moyen de soigner les gens en les rendant heureux. Un artiste qui aura livré une oeuvre particulièrement riche et foisonnante que l’on ne peut qu’inviter à explorer d’avantage tant elle représente un certain idéal de cinéma.
Remerciements Aurélien Gouriou-Vales, Fabien Mauro, Jordan Guichaux, Stéphane Du Mesnildot et Rafael Lorenzo.