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Avec plus de 32, 3 millions de dollars de recettes, pour un budget estimé à 10 millions, Monkey Man, première réalisation de l’acteur Dev Patel, est un beau petit succès. Un succès d’autant plus mérité que malgré ses évidents défauts, ce premier essai s’avère bien plus attachant et riche que ce que l’on pourrait imaginer de prime abord. 

En octobre 2018, Dev Patel annonce la mise en chantier de Monkey Man sur un script qu’il a co-écrit avec Paul Angunawela (Library Majnu) et John Collee (Master & Commander, Happy Feet, Le dernier loup). Au départ Patel souhaite confier la réalisation à Neill Blomkamp, pour lequel il a travaillé sur Chappie. Ce dernier décline la proposition et encourage Patel à réaliser lui-même le film. Le comédien désormais metteur en scène, s’entoure du directeur de la photographie Sharone Meir (Whiplash, Silent Night) et du chef décorateur Pawas Sawatchaiyamet (Mr. Midnight: Méfiez-vous des monstres). Initialement prévu à la musique, Volker Bertelmann laisse sa place à Jed Kurzel, fidèle collaborateur de Jennifer Kent et Julius Avery. Pour les combats, Patel charge le français Brahim Chab, doublure de Jean-Claude Van Damme, ayant également collaboré avec Scott Adkins et Jackie Chan, de s’occuper des chorégraphies. Côté casting, Patel s’entoure de Sikandar Kher (Monica, O My Darling), Sobhita Dhulipala (le diptyque Ponniyin Selvan), Makrand Deshpande (RRR), Ashwini Kalsekar (Merry Christmas), Vipin Sharma (Gangs of Wasseypur) et Sharlto Copley (District 9). Le tournage, initialement prévu début 2020 en Inde, est repoussé à cause de la  pandémie de coronavirus. Une situation qui menace d’annuler tout simplement le film. Au final Dev Patel filme le tout sur l’île de Batam, en Indonésie. Les prises de vue terminées en mars 2021, la compagnie Thunder Road Films vend les droits de diffusion à Netflix. Cependant la plateforme, inquiète du caractère politique du film sur l’Inde, décide d’annuler sa sortie. Le salut viendra de Jordan Peele qui rachète les droits et facilite la postproduction avec l’aide de sa boite Monkeypaw Productions et Universal. Monkey Man sera présenté en 1ère mondiale à South by Southwest le 11 mars 2024, avant de sortir sur le territoire américain le mois suivant. Le film de Dev Patel suit le parcours de Kid, un orphelin évoluant dans les bas fonds de Yatana (une ville fictive d’Inde) ayant réussi à gagner sa vie en perdant dans des combats clandestins sous le nom de scène Monkey Man. Il parvient cependant à se faire embaucher dans la cuisine d’un bâtiment qui se révèle être un bordel de luxe où se réunissent les élites corrompues de la ville, dont l’assassin de sa mère, le chef de la police Rana Singh (Sikandar Kher).

À première vue, Monkey Man a tout pour s’inscrire dans la vague de films d’action découlant du succès de John Wick. Univers urbain clinquant, présence d’une mystérieuse organisation criminelle, intrigue dictée par la vengeance du protagoniste, action recyclant des figures de style héritées du cinéma de Hong Kong, et misant sur le réalisme de ces dernières à l’écran. Des conventions popularisées par le réalisateur-chorégraphe Chad Stahelski (remercié au générique du film de Dev Patel) et sa boite 87Eleven Entertainment, au point que le cinéma d’action semble aujourd’hui réduit à cette franchise et ses diverses variations que l’on retrouve en salles et sur les plateformes. Bien que Monkey Man coche les cases énumérées plus haut, le film va réorchestrer ces éléments pour s’en détacher et éviter d’être réduit à un simple John Wick indien. L’élément déclencheur de cette distance se situe lorsque Kid va chercher des armes, donnant lieu à une blague sur la franchise portée par Keanu Reeves. Loin d’être une blague référentielle, cette dernière donne lieu à un échange indiquant la volonté du personnage, et par extension du réalisateur, de s’éloigner de son modèle pour quelque chose de plus modeste, mais aussi plus personnel. Un petit échange métatextuel qui permet de mieux cerner la note d’intention du cinéaste, détourner humblement les conventions du nouveau cinéma d’action pour leur donner une certaine consistance narrative et thématique, liée à l’environnement local et son cinéma. Bien que le scénario de Monkey Man s’inscrit dans une ville indienne fictive, le pays n’est pas un simple décorum mais bien la moelle épinière structurant l’ensemble du film. Les politiciens et forces de l’ordre corrompues, la destruction de l’environnement, la répression des pauvres et des diverses minorités, font écho à la politique menée par le 1er ministre indien Narendra Modī. Une situation qu’aborde notamment le cinéma tamoul du sud de l’Inde, surnommé Kollywood, à travers des fictions engagées, populaires et fédératrices, portées par des cinéastes comme Karthik Subbaraj (Jigarthanda DoubleX), Altee (Jawan) et bien d’autres. Le cinéma d’action tamoul, et plus généralement indien n’hésitant pas à faire de ces héros des transpositions modernes des grandes figures mythologiques du pays, tandis que la figure maternelle et son lien avec la nature sont primordiales. La principale qualité de Monkey Man réside dans sa déférence intime envers les codes du cinéma populaire indien. Le Monkey Man fait écho à la figure mythologique de Hanuman, le patron des lutteurs au tempérament vertueux. Kid suit un parcours faisant écho au symbole que représente cette figure, jusqu’à reprendre sous un jour psychédélique la posture où ce dernier ouvre son ventre pour explorer son âme. Un cheminement mythologique et initiatique, qui peut être vu comme un miroir de celui de Gauvain qu’incarna Dev Patel dans le mésestimé The Green Knight de David Lowery. Cependant Kid rejoint avant tout la figure de l’homme en colère, qu’incarna à de nombreuses reprises la superstar Amitabh Bachchan.

Cependant c’est l’approche hyperbolique des éléments naturels, comme le feu, notamment dans un flashback qui semble sortir du récent Captain Miller, et son approche très candide des sentiments côtoyant une violence frontale, que Monkey Man s’avère le plus réussi dans sa reprise des figures du cinéma populaire indien. Des éléments qui permettent au film de damer le pion à de nombreuses productions occidentales, notamment sur la question de la violence. Loin d’être gratuite cette dernière fait écho au contexte politique chaotique dans lequel baignent les personnages, au point d’en devenir cathartique aussi bien pour Kid que pour les spectateurs. Patel ne néglige aucunement la dimension fataliste qu’engendre ce processus, comme en témoigne la fin du film, mais en profite régulièrement pour en faire un défouloir jouissif,  notamment lors d’une scène dans un ascenseur. À tel point que Monkey Man semble lorgner autant du côté du cinéma de Lokesh Kanagaraj (Kaithi, Leo) que des productions japonaises de la Toei des 70s avec Sonny Chiba. La grande qualité de Monkey Man réside dans sa volonté d’assumer totalement son approche d’humble film d’exploitation et les archétypes qu’il véhicule, n’excluant jamais une dimension subversive. Une démarche pas si éloignée du récent Immaculée, un long-métrage plus modeste que celui de Dev Patel, mais également porté par son interprète utilisant humblement le cadre d’un genre codé, la nunsploitation, pour livrer une critique de la mainmise des nouveaux conservateurs sur le corps des femmes. Cependant si toutes ces qualités emportent l’adhésion, les autres partis pris du cinéaste pourront en laisser circonspect plus d’un. Bien que Monkey Man puise dans le cinéma indien contemporain, l’influence du reste du cinéma asiatique est prégnante dans dans le métrage, notamment dans la représentation de l’action. En plus du cinéma japonais évoqué plus haut, on retrouve également la brutalité de l’approche indonésienne héritée de The Raid, celle maniériste de Corée du sud, et bien sûr le slapstick Hongkongais. La structure du récit, s’articule autour d’un personnage qui va connaitre une mort symbolique suivie d’une résurrection auprès d’une communauté d’exclus lui apprenant des techniques de combats. On est d’avantage dans une transposition moderne des récits d’arts martiaux et de Wu xia pian chinois et Hongkongais. À tel point qu’il est difficile de ne pas faire le parallèle entre le film de Dev Patel et The Blade. Bien que Monkey Man se situe à des années lumières du chef d’oeuvre de Tsui Hark, l’approche opérée par Patel envers son protagoniste suit une logique similaire à celle de Ding On dans le long-métrage de 1995. Un martyr évoluant dans un monde injuste et chaotique l’obligeant à renouer avec ses instincts primaires, sa condition animale, pour faire face à son passé névrotique et affronter sa nemesis. Le film de Dev Patel apparait comme un fourre-tout brassant toute l’asie, plutôt que de se focaliser sur la seule cinématographie indienne, quitte à créer une certaine confusion chez un spectateur novice. L’approche indienne prête également à confusion, bien que le film traite d’Hanuman, cette dernière n’en demeure pas moins l’une des plus populaires à l’international. La structure mythologique autour de cette dernière, linéaire et relativement sobre, s’apparente plus à une porte d’entrée pour des novices envers la mythologie hindoue.

Monkey Man pourra être vu par ces détracteurs comme une sorte de « film indien occidentalisé » comme pouvait l’être Tigre et Dragon d’Ang Lee vis à vis du Wu xia pian. Un écueil, certes non sans fondement, mais qui témoigne d’une vision élitiste et sectaire vis à vis de cinématographies étrangères qui ne demandent qu’à être découvertes par le plus grand nombre. Bien que la démarche du film suscite un enthousiasme communicatif, l’ensemble s’avère plus inégal quand il s’agit de la mise en scène. Probablement marqué par ses collaborations avec Danny Boyle et Neill Blomkamp, Patel lorgne vers l’approche sensitive et énergique de ses modèles, eux mêmes très inégaux. Là où cette approche s’avère payante, c’est dans son aspect intimiste vis à vis des personnages, mais également dans sa manière de retranscrire la frénésie urbaine, et les inégalités sociales qui gangrènent le pays. À travers un simple mouvement aérien dévoilant des bidonvilles côtoyant des buildings, ou des inserts sur des sdf dormant dans les rues. Le cadre fourmille de vie, faisant de la ville un vrai personnage de cinéma avec ces diverses strates sociales. Monkey Man rejoint aisément Misanthrope, Limbo, Dernière nuit à Milan ou encore Past Lives et Ninja Turtles: Teenage Years dans cette volonté du cinéma contemporain de réinvestir le potentiel cinégénique et humain d’une mégapole. On peut également penser au regretté Tony Scott dans la manière qu’a Dev Patel de retranscrire le chaos mental d’un personnage, comme pouvait le faire le réalisateur britannique sur Man on Fire. L’ensemble s’avère beaucoup plus problématique sur les scènes d’action souvent illisibles malgré des chorégraphies en raccord avec l’état d’esprit des scènes. Le grand combat inaugurant le climax est symptomatique des limites de Patel. L’arrivée des mentors trans venus aider Kid repose sur l’idée d’un collectif, similaire à des oeuvres comme Everything Everywhere All at Once ou Sense8, mais souffre d’un problème d’exécution et de lisibilité qui empêche l’ensemble d’atteindre la musicalité visuelle, tributaire de Bollywood, souhaitée par le cinéaste. L’idée galvanisante primant souvent sur les capacités de Dev Patel à retranscrire l’ensemble à l’écran. Cette notion de plaisir galvanisant se retrouve régulièrement lorsque Patel donne une vrai plus-value personnelle à des références qu’il affectionne. L’entraînement de Kid dans la nature qui cite ouvertement celui de Jean-Claude Van Damme dans Kickboxer, mais sous un jour musical, ou le climax véritable relecture des morceaux de bravoure de Bruce Lee (le modèle de Patel). La relecture du combat final d’Opération Dragon et la progression par niveaux héritée du Jeu de la mort, traduisent une vraie compréhension thématique vis-à-vis du mythe qu’il convoque, culminant dans un final aux consonances mythologiques. 

Pour en savoir plus sur le cinéma indien : les podcasts Bollywood Versus…, Dis-cor-dia, En attendant Godard, les chaines Youtube Ciné Skope, Jonathan Asia, les comptes de Bolly&Co, Melvin Zed, Aurélien Gouriou-Vales, et bien d’autres. 

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En résumé

Malgré des maladresses, Monkey Man est un premier film humble et particulièrement attachant dans sa manière de rendre un hommage sincère à ses modèles cinématographiques et culturels. Un faux « John Wick Like », mais un vrai film d’exploitation qui assume totalement sa générosité, son ancrage populaire et engagé lui permettant de toucher directement le coeur.
7.5
10

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Auteur

Rédacteur pour Monsieur Bobine et Furyosa. Co-auteur de "L'oeuvre des Wachowski - La matrice d'un art social" chez Third Editions.

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