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9 ans après Les nouveaux sauvages, et sa nomination à l’oscar du meilleur film étranger, Damián Szifron revient sur grand écran avec Misanthrope. Un thriller qui permet au réalisateur argentin d’explorer un genre autrefois très en vogue pour livrer une réussite old school sortant du tout venant actuel. 

Mai 2019, l’actrice Shailene Woodley annonce être la tête d’affiche du 1er film américain de Damián Szifron, dont elle est également co-productrice aux côtés de Stuart Manashil, fidèle collaborateur de Sam Levinson, ainsi que d’Aaron Ryder, ancien producteur de Christopher Nolan, ayant désormais à son actif Premier Contact de Denis Villeneuve. Szifron écrit le scénario en compagnie de Jonathan Wakeham et retrouve son chef opérateur Javier Julia. Le chef décorateur des Daniels, Jason Kisvarday, ainsi que le compositeur des frères Coen et de Todd Haynes, Carter Burwell, rejoignent l’équipe. En Décembre 2020, Ben Mendelsohn rejoint la distribution suivi par Jovan Adepo en janvier 2021. Le tournage débute à la fin du même mois à Montréal au canada et se termine en Mars de la même année. Misanthrope narre le parcours d’Eleanor (Shailene Woodley) une jeune officière de la police de Baltimore, recrutée par Lammark (Ben Mendelsohn) un enquêteur en chef du FBI chargé de résoudre une tuerie de masse survenu la vieille du nouvel an à Baltimore. Le nouveau film de Szifron parvient à tirer son épingle du jeu à travers un exercice d’équilibriste vis à vis des influences cinématographiques. L’impressionnante scène d’ouverture centrée sur une succession d’assassinats, joue sur la spacialisation et un montage acéré pour créer un crescendo dramatique, souligné par la froideur des meurtres qui contraste avec l’aspect spectaculaire du mode opératoire dupliquant l’impact émotionnel de cette introduction. Le pinacle étant atteint lorsque Eleanor nous apparait écrasée par le gigantisme des buildings alors qu’elle tente de rejoindre ses collègues, traduisant l’échec de ses derniers. À travers le soin apporté à la mise en scène, cette introduction qui n’est pas sans rappeler celles de L’inspecteur Harry et de Meurtres sous contrôle, permet de mettre en avant l’idée d’un tueur omniscient, invisible et insaisissable terrorisant une ville et ses habitants. La suite du récit, qui suit la traque du tueur par Eleanor, Lammark, Jack McKenzie (Jovan Adepo) et leurs confrères va emprunter les rives d’un genre très populaire des années 90 : Le thriller apocalyptique. Né des angoisses liées à l’approche de l’an 2000 et des crises sociétales ayant marquées les 90s, ce sous genre, inauguré avec Seven de David Fincher (bien qu’on peut estimer que le troisième volet de L’exorciste ouvrait déjà la voie), fut particulièrement prolifique aussi bien au cinéma qu’à la télévision. Résurrection, Le Collectionneur, Six-Pack, L’ombre blanche, La fin des temps, Les rivières pourpres, Profiler, Crimes en série… . Autant de titres qui tentèrent sans succès de courir après la formule développée par Fincher et son scénariste Andrew Kevin Walker. Psyché du tueur qui se confond avec celle de l’enquêteur, références mystiques voir bibliques, ambiance visuelle orientée vers le film noir et l’expressionnisme, crise sociale en arrière plan avec pour point d’orgue une vision nihiliste et apocalyptique du monde.

Le revival des années 90 que le monde culturel connait depuis quelques temps est l’occasion d’un remise en avant des thématiques et courants artistiques ayant marqués cette décennie. L’influence du cinéma Hong Kongais et plus généralement d’Asie sur le cinéma d’action occidental (John Wick et les productions 87 eleven), le body horror (les films de Julia Ducournau et Brandon Cronenberg), la figure du double (Gemini Man, Men, de nombreux films avec Tilda Swinton), l’intérêt que porte le cinéma mainstream pour des communautés marginalisés (Booksmart, Bros, ou encore les productions Jordan Peele), une vision nihiliste de l’adolescence (les oeuvres de Sam Levinson), les adaptations de jeux vidéo (Sonic, Super Mario Bros., Mortal Kombat) sans oublier le retour de franchises orientée vers le fantastique gothique moderne (Candyman, Wednesday et bientôt The Crow et Blade). Autant d’éléments qui ne pouvait qu’amener le thriller apocalyptique à revenir sur le devant de la scène. Cependant loin de verser dans une approche fétichiste vide de sens autre que nostalgique, Damián Szifron va trouver le juste milieu en ayant à la fois un pied dans le passé et l’autre dans le présent. Bien que le film ne cache jamais ses influences narratives et thématiques, notamment en présentant son tueur comme une émanation d’une société au bord de l’implosion. Jamais le cinéaste ne cherche à extrapoler cette donnée en émulant le style visuel du chef opérateur Darius Khondji. Le film baigne dans un décorum contemporain réaliste on ne peut plus palpable, appuyant une proximité avec le spectateur des années 2020. Il en est de même pour les motivations du tueur que le réalisateur des Nouveaux Sauvages débarrasse de toute allusion mystique et religieuse. Ce dernier, souvent hors champ, est caractérisé comme un exécuteur de masse débarrassé de toute stature iconique. Szifron profite de chaque meurtre pour s’attarder quelques instants sur les futures victimes afin de nous faire empatir pour ces dernières. Des éléments qui vont permettre au cinéaste d’aborder des problématiques contemporaines liées à l’émergence de groupes dangereux via internet et la manière dont ces derniers, par l’entremise de nouveaux médias, parviennent à leurs fins en détournant les institutions judiciaires de leur enquête principale. Même son de cloche du côté des origines sociales du tueur qui renvoient aux laissés pour compte de la société américaine. Des éléments qui, s’ils ne peuvent empêcher une certaine dimension nihiliste caricaturale propre au genre, sont abordés avec suffisamment de sobriété pour éviter l’écueil d’oeuvres puériles et adulescentes comme Joker de Todd Phillips. Misanthrope dame ainsi également le pion au récent The Batman dans sa relecture contemporaine du thriller apocalyptique des années 90. La concision du script et de la mise en scène, visant avant tout l’efficacité, permet à Szifron de faire toute la différence avec l’oeuvre boursouflée mais non dénuée de bonnes d’intentions qu’était le film de Matt Reeves.

À ce titre l’autre grande qualité du film se situe du côté de ses personnages. Présentée d’entrée de jeu comme une simple officière dans un bar, Eleanor est au carrefour de deux archétypes des années 90. D’un côté il s’agit d’une officière travaillant de nuit auprès des petites gens dans des environnements du quotidien : diner’s, stations services, parking… qu’on pouvait retrouver dans The Crow ou Chungking Express. De l’autre il s’agit d’une enquêtrice au lourd passé disposant d’une précieuse faculté d’analyse, à l’instar de Clarice Starling dans Le silence des agneaux. Du film de Jonathan Demme, Szifron reprend également la relation entre Starling et son supérieur Jack Crawford. La relation fraternelle, de maitre à élève, entre cette dernière et Lammark, permet à Shailene Woodley et Ben Mendelsohn de livrer des prestations pleines de nuances leur permettant de sortir des rôles auxquels les ont associées des franchises populaires. À ce duo vient s’ajouter Jack McKenzie et les autres membres de l’équipe, permettant au réalisateur de jouer sur une vraie dynamique de groupe, appuyant l’idée d’un collectif devant résoudre cette enquête. Autant d’éléments qui vont de pair avec la représentation des divers strates de la ville de Baltimore, du simple employé de déchèterie jusqu’aux représentants administratifs. L’attention portée aux moindres figurants dans le cadre renforce l’idée d’une ville présentée comme un véritable personnage de cinéma à part entière, comme pouvait le faire autrefois Henri Verneuil dans Peur sur la ville ou John McTiernan dans Une journée en enfer. Si le résultat final n’atteint jamais les cimes des réalisateurs sus-cités, la volonté de remettre au premier plan le quotidien d’une ville et de ses habitants s’avère plus que salutaire vis à vis d’une production américaine ayant réduit ces lieux à des dommages collatéraux dans divers blockbusters super héroïques. À cela vient s’ajouter une critique sur le fonctionnement hiérarchique des institutions judiciaires et le poids des médias qui, modestement, tente de renouer dans son approche amère et désabusée avec un certain cinéma des 70s hérité du cinéma de Sidney Lumet. Encore une fois si le résultat n’atteint jamais le niveau du cinéaste de Serpico et du Prince de New York, le fait de convoquer cette thématique de façon immersive et organique au coeur du récit finit d’appuyer la réussite de Misanthrope en tant que film d’artisan soucieux du travail bien fait et du respect envers ses spectateurs.  

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En résumé

À l’instar du récent Donjons & Dragons : l’honneur des voleurs, Misanthrope s’avère être une belle réussite dans sa volonté de renouer avec une approche artisanale, old school et sans prétention qui permet au film de sortir du tout venant de la production actuelle. Un film respectueux du genre investi, tout en y apportant un touche personnelle à travers une vraie exigence de fabrication. Une réussite en apparence modeste mais précieuse.
8
10

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Auteur

Rédacteur pour Monsieur Bobine et Furyosa. Co-auteur de "L'oeuvre des Wachowski - La matrice d'un art social" chez Third Editions.

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