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Après plus de 40 ans de gestation, le dream project de Francis Ford Coppola, Megalopolis, a été dévoilé en compétition au Festival de Cannes, suivi d’une réception catastrophique proportionnelle à l’attente que suscitait le film. Le résultat à l’écran est d’autant plus déprimant que, de par sa fabrication et sa note d’intention, Megalopolis se voulait une contre-proposition vis-à-vis du cinéma mainstream contemporain mortifère. Plutôt que de tirer sur l’ambulance, les lignes qui suivent sont une très modeste tentative d’essayer de comprendre l’échec artistique du film. 

S’il y a bien un long métrage dans la filmographie de Francis Ford Coppola qui permet de mieux cerner la note d’intention de Megalopolis, c’est le méconnu Tucker: L’homme et son rêve. Un biopic centré sur l’ingénieur automobile des années 40, Preston Tucker, que Coppola put réaliser à la fin des années 80 grâce au soutien de son ami George Lucas. Une oeuvre à la fois galvanisante et douce-amère qui à travers l’échec de cet ingénieur utopiste face aux Big Three de l’industrie automobile, témoignait en sous-texte de l’échec de Coppola et Lucas à bâtir une alternative aux majors Hollywoodiennes. Un film plus important qu’il n’en a l’air, qui trouvera un fort écho, bien des décennies plus tard, chez les soeurs Wachowski avec Speed Racer, puis James Mangold avec Le Mans 66, au point de former un fascinant triptyque sur lequel est longuement revenu la chaine Youtube Le Ciné-club de Mr. Bobine. Cependant, c’est également à travers Tucker, dans lequel Coppola se représente comme un génie écrasé par les institutions, que transparaît l’idéologie qui va être au coeur de Megalopolis : L’objectivisme. Une pensée développée par la philosophe américaine Ayn Rand, prônant comme l’indique l’un de ses essais la vertu de l’égoïsme, exaltant l’individualisme et méprisant ouvertement toute forme d’altruisme. Le principe étant que l’individu et son génie sont écrasés par la collectivité, et que ce dernier se doit d’en faire fi s’il veut s’élever. Une idéologie belliciste, tenant du darwinisme social, mais qui eut, et continue d’avoir, une influence déterminante dans l’inconscient collectif américain bercé par le mythe du Self-made man. À tel point que l’un des ouvrages de Rand, La Grève (Atlas Shrugged), fiction dans laquelle la philosophe met en exergue sa pensée, compte comme le livre le plus lu aux États-Unis après La Bible. Une pensée ayant influencé aussi bien le pendant politique républicain que démocrate du pays, et qui aura marqué des personnalités aussi diverses que Steve Ditko, Ronald Reagan, Donald Trump, Hillary Clinton, Angelina Jolie, le groupe de rock Rush, Brie Larson, Zack Snyder, Anton Szandor LaVey, Elon Musk, etc. Une vision à laquelle n’échappe pas Francis Ford Coppola, cet individu au fort tempérament, qui aura pour le meilleur et le pire, bravé régulièrement l’industrie hollywoodienne afin d’imposer sa vision artistique.

C’est donc de nouveau le cas dans Megalopolis, où à travers le parcours d’un architecte utopiste new-yorkais Cesar Catilina (Adam Driver), luttant contre le maire Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), se dessine une relecture du Rebelle, adaptation cinématographique du roman La Source Vive de Rand, par le réalisateur King Vidor en 1949. Bien que le film de Vidor soit une éloge de la pensée Randienne, il n’en demeurait pas moins un objet cinématographique passionnant dans sa représentation de l’architecture sur grand écran. Or, à contrario du Rebelle, le projet architectural qui devrait être au coeur même de Megalopolis n’est tout simplement jamais mis en exergue par l’écriture et la mise en scène de Coppola. À l’exception de la prometteuse scène d’introduction axée sur le concept du temps arrêté, qui laisse entrevoir un beau travail sur les perspectives et le gigantisme, jamais le film ne poursuivra cette voie. Si ce n’est à de très rares occasions. Il en est de même pour les divers enjeux narratifs et thématiques du film : le duel philosophique entre Cesar et Cicero, l’enquête autour de la défunte compagne de l’architecte, l’histoire d’amour entre Julia, la fille du maire, et Cesar, etc. Autant d’éléments qui apparaissent à l’écran comme des esquisses grossières d’idées qui ne seront jamais menées au bout. De nombreux arcs narratifs réapparaissent, au mieux de manière aléatoires dans le récit, au pire sont totalement abandonnés en cours de route. Ce qui donne à l’écran l’impression de voir un film qui veut traiter trop de thèmes, sans jamais arriver à en aborder un seul correctement. Une narration extrêmement calamiteuse, facilement imputable aux multiples réécritures que Coppola a effectué au cours des décennies (il parle de 300 versions), et à une production chaotique, longuement décrite dans un article du Guardian, qui aura eu raison du résultat final. Des problèmes qui, comme un effet boule de neige, vont faire ressortir de manière hyperbolique le manque de recul et de discernement de Coppola vis à vis de l’approche politique opérée sur son sujet. À contrario de Tucker, dont il est le film miroir, Cesar dans Megalopolis n’est pas propre à une introspection débouchant sur une autocritique qui aurait permis au film de s’extraire du carcan objectiviste dans lequel il s’enferme. Ici, le personnage n’est faillible que par rapport à un drame personnel, jamais en raison de ses ambitions démesurées, au point d’en devenir antipathique. À cela vient s’ajouter l’idée de faire d’un maire soucieux du bien commun, à travers la création de logements sociaux pour les démunis, l’un des antagonistes du récit. Ces mêmes personnes de condition modeste, présentées comme une masse informe facilement manipulable, qui finiront par admirer le génie de César, à l’instar du maire. Un parti pris traité avec une naïveté déconcertante et qui témoigne de manière tristement horripilante d’un cinéaste, reclus dans sa tour d’ivoire, complètement déconnecté de la réalité de ses semblables. L’optimisme, la candeur et l’espoir promis par Coppola ne transparaissent également jamais à l’écran, peu aidé par un récit qui n’aborde jamais l’idée que cette même population aurait pu être le vecteur d’espoir et de changement.

Megalopolis apparait comme le pendant négatif et calamiteux du mésestimé À la poursuite du demain de Brad Bird (réalisateur remercié au générique du film de Coppola). En plaçant son récit chez les personnes de condition modeste, le réalisateur des Indestructibles proposait une critique, passée inaperçue, de ce système de pensée objectiviste, représenté par une cité futuriste mortifère et son créateur replié dans sa tour d’ivoire dont l’égoïsme le mènera à sa perte. Le grand souci de Megalopolis est également de mettre en exergue malgré lui la face sombre de Coppola. Le réalisateur talentueux, passeur cinéphile soucieux des nouvelles générations et du respect envers le 7ème art, laisse place à ses pires penchants, où la critique d’un environnement bourgeois et du monde de la mode n’exclue pas une certaine complaisance. À tel point que sur certains aspects Megalopolis rappelle l’embarrassant La vie sans Zoé, son segment de New York Stories, et les défauts que l’on impute au cinéma de sa fille Sofia. Au point que la fille de cette dernière, Romy Mars, fait un un caméo en tant qu’influence. L’autre souci majeur tient dans la volonté de proposer une oeuvre au carrefour du Rebelle de Vidor et du Satyricon de Federico Fellini. Si l’idée de renouer avec l’ambiance paillarde, baroque et exultant la vie du maestro italien semblait particulièrement excitante sur le papier, d’autant qu’elle permettait au cinéaste du Parrain de boucler la boucle, sur le plan artistique et personnel, avec ses origines italiennes, le résultat s’avère également tout aussi embarrassant. Les parallèles entre la Rome antique et le New-York contemporain fonctionnent de manière didactique et particulièrement scolaire à l’écran, au point d’avoir raison de la direction artistique. L’absence de folie et le manque d’agencement organique des divers registres architecturaux et historiques convoqués en font un fourre-tout particulièrement terne et fauché. À contrario de ce qu’avait pu faire par le passé le cinéaste britannique Ken Russell sur des films comme Tommy et Lisztomania, qui jouaient brillamment sur ce type d’approche visuelle iconoclaste. Il en est de même pour l’ambiance décadente et paillarde, qui peine à susciter la folie, l’ivresse, et l’énergie à l’écran. Difficile de ne pas faire la comparaison avec le mal-aimé Babylon, qui pour un budget inférieur à 80 millions contre les 120 de Megalopolis, parvenait facilement à reproduire ne serait-ce que visuellement la folie requise par l’univers dépeint.

On touche au coeur du problème majeur du film, à savoir la mise en scène. Bien que disposant d’un budget considérable et d’une liberté artistique totale, Coppola peine à insuffler un vrai dynamisme à son récit en terme de narration visuelle. C’est justement cette absence marquante de soin et de réflexion sur le découpage cinématographique qui font qu’une bonne partie des éléments comiques paillards tombent à plat, faisant basculer le film dans le ridicule involontaire. Idem pour les spots publicitaires satiriques hérités de la période américaine de Paul Verhoeven, rappelant ceux de RoboCop et Starship Troopers. C’est également le manque de vie de l’ensemble qui empêche le réalisateur de réussir ces parti pris tributaires des expérimentations du cinéma d’origine et du 7ème art japonais qu’il affectionne tant. Bien qu’il ait fini par abandonner la technologie LED/Stagecraft au profit de simples fonds verts, une  mise en images largement mieux maitrisée, assumant de manière plus frontale l’aspect fake des arrière-plans pour les retravailler de manière plus stylisée, à la manière de Tetsuya Nakashima sur Memories of Matsuko ou des Wachowski sur Speed Racer justement, aurait largement fait passer la pilule de l’aspect très précaire des VFX. La volonté de combiner les expérimentations de Coup de Coeur et Dracula, à un récit évoquant l’âge d’or Hollywoodien et la Rome antique, aurait pu réconcilier les deux facettes de Coppola : le féru de cinéma expérimental et le conteur d’histoires. Malheureusement le résultat à l’écran s’avère être un échec artistique. Il reste cependant quelques éclats. L’interprétation d’Aubrey Plaza, un personnage à la caractérisation très embarrassante, semblant sortir du Showgirls de Verhoeven, mais à travers lequel l’actrice prend un vrai plaisir communicatif à l’écran. Laurence Fishburne, dont l’humanité de la voix off confère un semblant d’émotion à un film qui en manque cruellement. Un concept, jamais exploité, d’antre gnostique à la Doctor Strange. Enfin, il y a cette traversée nocturne en voiture, où l’approche baroque couplée à une vraie cinégénie se conclut sur une note onirique rappelant Peter Ibbeston d’Henry Hathaway. Un créateur traumatisé par le deuil d’un amour perdu, trouvant refuge dans l’imaginaire et la création. Un moment de grâce qui rappelle le talent qu’avait Francis Ford Coppola.

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En résumé

Megalopolis est un triste échec artistique, une oeuvre calamiteuse qui témoigne de la perte de talent de son auteur. Une production indigeste, victime de l’égo démesuré de ce dernier. Plutôt que de vouloir défendre le film sous l’angle de l'exégèse, ce qui n’est pas lui rendre service, mieux vaut revoir les oeuvres marquantes que Coppola signa par le passé, et qui resteront dans les mémoires.
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Auteur

Rédacteur pour Monsieur Bobine et Furyosa. Co-auteur de "L'oeuvre des Wachowski - La matrice d'un art social" chez Third Editions.

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