! Si vous n’avez pas encore vu Matrix Resurrections, ne lisez pas ce qui suit !
Il y a presque 20 ans, Matrix Revolutions venait conclure une trilogie magistrale, parmi les plus stimulantes de l’histoire du cinéma. Une vraie conclusion qui n’appelait aucune suite. Et nous voilà pourtant face à Matrix Resurrections, projet inattendu dont on a fini par attendre beaucoup, à la fois tout et son contraire. Et comme les 3 films précédents, il provoque des réactions épidermiques, d’adoration comme de rejet total. Car comme les 3 films précédents, il tend des pièges dans lesquels il est confortable de tomber. Mais s’il peut donner l’illusion d’un renoncement, il est tout aussi passionnant à explorer que ses prédécesseurs.
Drôle de carrière et drôle d’histoire que celle des Wachowski. Ces soeurs surdouées ayant passé la première partie de leur vie dans la peau de frères ont marqué l’histoire du cinéma à jamais avec Matrix, leur deuxième film à peu près unanimement salué bien que globalement incompris. Un blockbuster incandescent, et tellement stimulant dans sa façon de tordre la perception du public jusqu’à lui faire croire l’exact opposé de ce qu’il lui montrait. A tel point que sa suite, apportant les clés essentielles pour revisiter le premier film et enfin le décoder, fut rejetée en masse, de même que le 3ème film. Presque 20 ans plus tard, les « Matrix, c’est 1 chef d’oeuvre et 2 suites opportunistes sans intérêt » sont toujours entendus. Matrix Reloaded marqua d’ailleurs le début du désamour envers les soeurs Wachowski, peu importe l’ambition gigantesque dont ont bénéficié leurs oeuvres suivantes. Comme si elles n’avaient pas d’autre choix que de revenir à Matrix, et seulement au premier. En 20 ans, outre leurs propres transitions, le cinéma a muté en une sorte de monstre avalant les artistes talentueux pour mieux régurgiter des films sans aucune saveur et bien propres sur eux, semblant ne plus laisser aucune chance à une forme artistique libre et contestataire. Du moins dans le schéma de production des grands studios, qui ont toujours cadenassé les productions mais où certains artistes ont tout de même réussi à s’exprimer. Et voilà donc que débarque un nouveau Matrix. Non pas le reboot/spinoff signé Zak Penn qu’on a pu craindre pendant un temps, mais une suite à la trilogie par Lana Wachowski. Et autant le dire immédiatement : dans un sens, Matrix Resurrections ne peut qu’être une déception. Une déception car Lana Wachowski est obligée de refaire un Matrix pour travailler au cinéma, une déception car le film lui-même n’est pas dans l’immédiateté de ce que le public attend d’un Matrix et une déception car le film est techniquement très en deça de ce que le duo Wachowski a toujours proposé lorsqu’elles travaillaient ensemble. Ceci étant dit, une forme de deuil est nécessaire par rapport à nos propres attentes, ce qui paradoxalement va rendre le film extrêmement intéressant. Car il apporte quelque chose de nouveau, d’inattendu et de fascinant, mais finalement pas là où cela semble le plus évident. Matrix Resurrections est un film qui développe énormément d’éléments provoquant le rejet, tout à fait compréhensible (logique ?) d’une partie du public y compris des plus grands fans et exégètes de la trilogie originale. Car derrière son aspect « malin » et « naïf », le plus littéral, qui va s’adresser directement au rapport émotionnel qu’entretient le spectateur avec la saga, il tend un nouveau piège à l’image de ses prédécesseurs. Et il mérite une exploration, plutôt que d’être balayé d’un revers de main nonchalant.

Avant toute chose, il convient de rappeler quelques éléments. Lana Wachowski n’est pas une idiote cynique ou une incompétente. C’est une artiste érudite, qui connait sur le bout des doigts ses classiques cinématographiques, littéraires, philosophiques, et qui éprouve un profond respect pour l’art de l’image, de la télévision au cinéma, en passant par le jeu vidéo. Et une artiste qui sait analyser le monde qui l’entoure. Quant à ses compétences, bien que la majorité de ses travaux soient issus d’un travail en duo avec sa soeur Lilly, l’oeuvre est suffisamment conséquente pour ne pas l’insulter en émettant un seul doute sur ses capacités. Ensuite, Lana Wachowski n’est plus la personne ou la réalisatrice qu’elle était il y a 20 ans. Tous les artistes évoluent, du plus nul au plus talentueux, et elle aussi. C’est une évidence, mais il faut bien la garder en tête. Lana Wachowski et Lilly Wachowski ne voulaient pas d’un nouveau film Matrix. Ou plutôt elle n’en voyaient pas l’intérêt, ce qui est tout à fait logique pour des tonnes de raisons. Les plus évidentes étant qu’elles souhaitaient créer et explorer d’autres univers, et que la fin de Matrix Révolutions illustre clairement la fin de toutes choses. Le parcours purement mythologique de la saga avaient un point final et inéluctable. Il n’y avait donc aucune raison d’y revenir, du moins sous cet aspect. Sur un plan beaucoup plus amer, et qui explique beaucoup d’éléments de ce quatrième film, Warner comptait relancer ce qu’ils considèrent non pas comme une oeuvre mais comme un franchise, avec ou sans les Wachowski, avec le risque de les déposséder de leur création. Mais également, les soeurs ont perdu leurs deux parents et c’est à priori ce qui aura poussé Lana à faire renaître Neo et Trinity comme projections d’une forme d’amour inconditionnel. Lilly procédant à son propre parcours de deuil en empruntant un tout autre chemin. Il convient également de rappeler que la carrière des Wachowski, ce sont 20 années de désamour de la part du public, et que pour des artistes qui ont fait de ce sentiment le pilier de leur oeuvre, ça laisse forcément des traces et il y a forcément quelque part une tentative de retrouver l’amour du public, quitte à ce qu’il ne soit qu’illusoire car porté envers ce qui définit le moins ce nouveau film. Et enfin, il convient de rappeler que de Matrix à Matrix Resurrections, la saga se prête à d’innombrables formes d’interprétations et d’analyses – elle y invite même – mais les films sont tous construits selon une forme de pure logique informatique propres aux machines. Les personnages, et par extension les films, ne mentent pas et ne manipulent pas. Ils donnent toutes les informations, et à nous spectateurs d’accepter de les voir, ou pas. Ah, et au fait, il n’y a toujours pas de cuillère.
Le piège méta
C’est sans surprise l’aspect le plus commenté du film. Oui Matrix Resurrections, dans ses 45 premières minutes, joue à fond la carte de l’oeuvre métatextuelle. A tel point que nombre de spectateurs et critiques ne semblent plus y voir que ça. C’est évidemment voulu, et cela permet de se mettre dans la poche les adorateurs du procédé (ne pas oublier la souffrance du désamour du public). L’approche méta est ici poussée dans ses derniers retranchements, et ce dès l’ouverture du film qui rejoue astucieusement celle du premier Matrix, mais en opérant un basculement de point de vue. En effet, un nouveau personnage est en train de regarder cette séquence, aussi culte pour elle que pour le spectateur, et de l’analyser. Les plans et le découpage sont différents, clairement moins virtuoses. Cela peut s’expliquer par le fait qu’elle ne nous apparait pas ici à travers le regard de cinéastes mais d’un personnage. Autre fait notable, un des agents est noir. Le message est assez clair : on n’est plus dans la même matrice, même si la boucle semble encore se jouer à une autre échelle. D’autres forces sont au travail, d’autres raisons d’être de tous ces personnages existent, mais Lana Wachowski va s’amuser à détourner le regard du spectateur de 2021 qui n’en est (malheureusement) plus à s’extasier devant des séquences d’action repoussant les limites du possible, car les équipes des effets spéciaux proposent des trucs démentiels sur la quasi totalité des blockbusters et ce même s’ils n’ont aucun intérêt autre. Le spectateur contemporain n’est plus non plus avide de découvrir d’autres formes cinématographiques, comme c’était le cas en 1999 quand l’accès au cinéma de Hong-Kong ou aux animes cyberpunks n’était pas chose facile ou commune comme aujourd’hui. Le constat est inexorable, le spectateur d’un nouveau Matrix en 2021 veut quelque chose de facile à assimiler et il aime se sentir plus malin que tout le monde. Et quoi de mieux que de lui offrir sur un plateau, en s’évertuant à ce qu’il n’en perde surtout pas une miette, une « critique » de la politique des studios à Hollywood ? Bien entendu que Lana Wachowski va mettre énormément de sa propre expérience là-dedans, ou de son propre regard sur une industrie arrivée presque au bout de son déclin artistique. Sa déception de ne pas avoir pu développer l’univers de Matrix dans un jeu vidéo digne de ce nom, le couteau qu’elle a sans doute eu sous la gorge pour ce 4ème opus, les insupportables brainstormings des équipes marketing… mais également, et c’est ce qui va immédiatement accaparer l’attention du spectateur, une forme de critique du public qui attend que ce nouveau Matrix soit « du Matrix » avec les effets waou, le bullet time, la critique de la société de consommation, etc… alors qu’on le répète, poursuivre la saga aujourd’hui avec les mêmes codes que la trilogie n’a absolument aucun sens et n’est tout simplement pas possible de par la nature de la fin de Matrix Révolutions. Mais alors, Lana Wachowski serait-elle devenue une sorte d’artiste vulgaire ? Qui cracherait à la gueule du public et se foutrait ouvertement de la création qui en a fait une star ? Qui porterait un regard moqueur sur tous ces fans s’étant torturé le cerveau pour arpenter la précision horlogère de la trilogie ? Peut-être après tout, mais il est difficile d’y croire, comme il est difficile d’y voir un blockbuster à plus de 150 millions de dollars tirer à boulets rouges sur le studio qui le produit. Tout ceci n’est qu’un écran de fumée pour amuser la galerie. Pendant qu’on voit un fan déclarer son amour pour la trilogie Matrix et ses explosions, ses armes… on ne l’entend plus dire « j’ai été élevé par des machines » et on oublie qu’il s’appelle Jude (Juda). On ne fait plus attention à l’utilisation de la couleur bleue, symbole de l’appartenance à la Matrice, ou au rouge qui illustre la libération, ou au port des lunettes de soleil (ouvert/fermé). On ne prête qu’une oreille distraite aux noms des personnages, persuadés qu’il ne s’agit que de clins d’oeils méta. On se marre ou on s’agace des références surlignées encore et encore comme si quelqu’un faisait en sorte qu’on ne voit que ça. On attendait un nouveau film d’action révolutionnaire et contestataire, et on nous donne une critique de la Warner. D’un côté on trouve ça génial, de l’autre on trouve ça nul, une réaction binaire tout à fait attendue. Mais finalement, est-ce qu’on ne passe pas à côté de l’essentiel ? Cette approche ludique est un ogre qui vient dévorer la raison. Et en réalité, c’est là que ce rejoue le coup de génie du premier Matrix, mais sous un autre angle. En n’offrant pas au spectateur ce qu’il attendait, et en lui expliquant clairement sur un plan intradiégétique qu’il n’aura pas ce qu’il attendait car cela serait ridicule (quitte à avoir l’air de se moquer des exégètes de la saga), Lana Wachowski occupe le regard et l’esprit du public et refait le coup de Matrix Reloaded. Le paradoxe étant ici que la majorité du public y trouvera son compte, tandis que les experts se sentiront trahis.

Une autre raison majeure pouvant entraîner un véritable rejet, ou au moins une énorme déception, même si là encore Lana Wachowski nous prévient sans jamais mentir dans le texte, c’est au niveau du visuel de son film. En effet, lorsque les Wachowski travaillaient en duo, la passion de Lilly pour la symétrie ou la perfection formelle donnait logiquement lieu à une mise en scène éblouissante. De Bound à Jupiter Ascending, les films des Wachowski étaient des modèles d’une mise en scène qui en mettait plein la vue, notamment dans l’action qui a toujours été un moteur narratif. Sauf que là encore, les transitions puis la séparation artistique des soeurs auront eu pour effet leur façon de concevoir le cinéma, ou l’art visuel de façon plus générale. Un point de bascule qui pouvait déjà s’observer avec la merveilleuse série Sense8, oeuvre fragile avec laquelle Matrix Resurrections partage parfois plus qu’avec la trilogie Matrix. Cette obsession de maîtrise, qui aura donné naissance à tant de beauté cinématographique, a laissé sa place à une approche plus « sur le vif » selon les propos de Lana Wachowski, et qui se vérifient évidemment à l’image. Il y a bien des scènes d’action dans Matrix Resurrections, elles sont loin d’être dégueulasses (et peuvent même être très excitantes à l’image de cette fuite en moto devant une masse de « bots » comme si la matrice dégueulait dans les rues qu’elle a créées, ou qui se jettent des immeubles, symbole ultime de leur statut d’enveloppe vide) mais aucune ne possède l’impact des scènes d’action de la trilogie. Il n’y a pas « l’effet waou » espéré, mais on nous a prévenus. A la place, on a un traitement parfois brouillon, pas toujours hyper lisible et se voulant « réaliste ». Clairement, Lana Wachowski n’a pas (encore ?) acquis la capacité d’un Tsui Hark par exemple, qui sur The Blade parvenait à capter le chaos du réel à la perfection. Ceci dit, si elles ne sont pas nécessairement mémorables, ou si elles s’appuient sur des effets clairement déjà vus (le coup sur le capot de la voiture qui fait un double salto…) les différentes séquences d’action fonctionnent au sein de la narration et du projet global, et ne semblent pas être là car c’est un blockbuster et qu’il faut de l’action. Elles ne constituent pas le coeur du film, c’est évident, mais elles sont à leur place et jouent leur rôle. Comme chaque personnage. Comme chaque ligne de dialogue. Comme chaque plan. En brouillant les pistes en donnant à certains spectateurs ce qu’il veulent voir, mais pas ce qu’ils attendaient, et à d’autres tout ce qu’ils ne voulaient surtout pas voir, en passant d’une quête purement mythologique à une quête purement sentimentale et existentielle, Lana Wachowski fait en sorte qu’on oublie que Matrix, c’est avant tout le déroulé de séquences logiques, au sens logique informatique. Et ce quatrième film est purement « logique », et c’est en ce sens qu’il s’avère le plus déprimant car il laisse voir un monde où l’humain n’est réduit qu’à l’espoir de retrouver l’amour. Et ce qui est pour tout le monde le plus beau et le plus fort des sentiments est ici la plus importante source d’énergie des machines ayant définitivement réduit l’être humain au statut de combustible.
S’il y a bien un vrai tour de force dans Matrix Resurrections, c’est celui-ci : faire oublier qu’on regarde avant tout un film de science-fiction qui parle d’échapper à l’asservissement par les machines. Et un film dont chaque élément répond à une logique de langage correspondant aux machines. Ce fonctionnement était fascinant dans la première trilogie, et ça ne change pas. On se retrouve donc dans une nouvelle itération de la Matrice, sans savoir exactement laquelle. On a simplement un indice qu’il ne s’agit pas directement de celle suivant Révolutions dans la mesure où le personnage de Neo a été caché plusieurs fois sous d’autres apparences. Une chose est certaine, cette version n’a pas besoin de la boucle « éveil de Neo » pour fonctionner, et n’a donc pas besoin ni de Morpheus ni de Smith. Et tout va partir d’une autre anomalie, explicitement nommée « Bugs », et qui va faire dérailler une mécanique parfaitement huilée. Une aberration systémique, quand le système avait procédé à une purge pour s’en débarrasser (plus de Neo, qui ne peut pas être purgé mais qui est mis en sommeil, plus d’Oracle, plus de Mérovingien bien qu’il ait été exilé plutôt que purgé…). Le vrai signe d’espoir du film vient de cet état de fait : tout système, aussi sophistiqué et cadenassé soit-il, va à un moment donné souffrir d’une anomalie pouvant le remettre en cause. Et même si l’humanité telle qu’on la conçoit n’existe plus, son évolution au contact de la machine peut avoir une chance de se réveiller. On le voit, le transhumanisme reste au coeur de la saga Matrix. Et là encore, on nous met tous les éléments en face des yeux, et notamment le nouveau « refuge » de l’humanité, ou plutôt des « éveillés ». Bien qu’on ne nous en dise pas tant que ça sur son sort, Zion n’est plus. Sur ses ruines a été bâti « Io », littéralement le coeur de Zion (ZION), lieu construit « avec les machines ». Et comme si ce n’était pas assez clair : IO=10, valeur binaire, et un lieu qui ne bouillonne pas de vie comme feu Zion. Un personnage nommé Séquoia (arbre gigantesque présent dans nombre de mythologies pour sa résistance) est un pilier/repère pour l’exploration de la Matrice. Un autre qui mène les personnages dans tel ou tel lieu est baptisé Sheperd (berger). Une certaine Freya cultive des végétaux et empêche Niobe de ne pas arrêter Neo quand il veut retrouver Trinity (Freyja est la déesse nordique de la Terre et de la fertilité). Le vaisseau de Bugs se nomme Mnémosyne, en référence à la déesse grecque de la mémoire, et il accompagne Neo pour justement… retrouver la mémoire. Bref, on peut se pencher sur tous les éléments de ce Matrix Resurrections, pour découvrir qu’ils ont tous leur fonction logique, de la même façon que l’utilisation des couleurs bleu et rouge (l’accueil de la société où bosse Thomas Anderson qui s’illumine en rouge quand Smith se réveille en tant que tel, par exemple, ou le costume de Smith qui est à la fois bleu et rouge lors de sa dernière apparition). Ceci étant dit, les variations de cette Matrice sont intéressantes. Notamment cette collaboration avec les machines. Par exemple, quand Freya offre une fraise (rouge) à Neo, on y voit un clin d’oeil à l’Oracle sans faire attention à l’exomorphe (création hybride entre l’humain et la machine, le nouveau Morpheus en étant également un) qui n’attend que de développer des myrtilles (blueberry en anglais -> bleu) pour rendormir les éveillés. La fonction de Morpheus est par ailleurs également intéressante ici. Selon ses mots il doit « réveiller Neo », en réalité il doit réveiller The « One » et en effet, il sera essentiel au réveil de Trinity qui enfile ici le costume qu’on attribue à l’Elu (dès le premier Matrix, il est fait référence au fait qu’elle a été présentée à l’Oracle car considérée comme Elue potentielle). Cela va même un peu plus loin, dans la mesure où l’Elu, à savoir l’être qui va libérer l’humanité, ou la transhumanité ici, n’est plus nécessairement un personnage mais une force liant deux personnages. Clairement, « The One », c’est l’amour, paradoxalement le moteur du réveil de la transhumanité mais également l’idéal énergétique des machines.

Love is the genesis of everything
On l’a vu, et cela offre d’innombrables possibilités d’exploration, ce Matrix Resurrections se prête volontiers à l’exploration logique comme ses prédécesseurs. Et bien que le cheminement mythologique s’achève concrètement à la fin de Révolutions, il peut également être exploré sous cet angle. Pour cela, on vous renvoie bien volontiers à l’analyse très érudite de Paul Hebert sur Le Grand Oculaire. Il peut également, et évidemment à la vue de sa genèse, être envisagé sous l’angle de la thérapie pure et dure, comme l’illustre brillamment Emily VanDerWerff dans cet article de Vox. Bien sur, on pourra aussi le balayer d’un revers de main car il peut ressembler à la création d’une artiste démiurge qui aurait décidé de détruire sa création. Sauf que Matrix Resurrections est bien plus proche d’Evangelion: 3.0+1.0 Thrice Upon a Time (il semble même parfois être son jumeau) que de La Menace fantôme par exemple. Le film contient en son coeur l’idée de deuxième chance. Une deuxième chance que le monde réel nous refuse généralement, et que le processus de deuil permet d’oublier. Mais une deuxième chance à différents niveaux. Sur un plan extradiégétique, il s’agit d’une deuxième chance pour Lana Wachowski de retrouver l’amour du public, mais également pour le public de saisir le sens de la saga Matrix (et même le renvoyer vers la trilogie). Sur un plan intradiégétique, c’est évidemment une seconde chance pour Neo et Trinity, et non plus un « choix ». Mais pas une seconde chance pour l’humanité qui a définitivement évolué vers une nouvelle forme. On trouve au bout d’1h30 de film une séquence essentielle pour mener à cette seconde chance. Neo et son équipe ont affronté Smith et les exilés (Le Mérovingien mais également d’autres personnages qui représentent la déchéance des grandes civilisations du monde suite à leur période de décadence), et il va retrouver Trinity. Une longue séquence baignée d’une lumière crépusculaire (littéralement, on se situe aux dernières heures du soleil), où va se rejouer le fameux bullet time et révéler énormément d’éléments à Neo mais également au spectateur. On repense évidemment à la scène de l’Architecte de Reloaded mais ce serait oublier que les personnages ont une fonction liée à leur nom est qu’elle répond à une logique. L’analyste n’est pas un nouvel architecte, il est l’analyste et il travaille pour les « suits » (on peut y comprendre qu’il travaille pour l’architecte plutôt que pour les agents, pour se concentrer sur les personnages portant un costume). Le rôle d’un analyste est d’analyser des données et les besoins (notamment de l’architecte) et de les traduire en lignes de code. Il est le garant du bon fonctionnement de la création, c’est ici un programme mais avec la possibilité de « mentir » pour parvenir à son objectif. Et ce même s’il « déteste mentir » comme il le dit lorsque dans cette scène, il enlève ses lunettes (qui ne sont pas des lunettes de soleil et dont la monture est aussi bleue que ses yeux). L’analyste est le programme dont la fonction intègre la notion d’appréciation, qui dans son cas constitue une faille. Ainsi, quand il retournera le bullet time contre Neo, dans une chorégraphie où il se mue comme un serpent, et « offre » une pomme à Trinity, son illusion de contrôle de l’esprit humain et des sentiments humains finiront d’éveiller Neo alors qu’il pensait l’avoir endormi à nouveau. Et c’est ainsi que Matrix Resurrections embrasse littéralement ce chemin. Non plus celui, terminé, de la quête d’un Elu, mais celui de la quête du grand amour. Une notion déjà essentielle dans la trilogie mais qui s’élève encore ici. Un amour qui ne rend plus aveugle mais qui au contraire permet d’ouvrir les yeux, et de sauver ce qui reste à sauver. A ce titre, le saut dans le vide final, symbolisant le lâcher prise ultime et l’abandon au sentiment amoureux, s’avère aussi beau que naïf. Ensemble, Neo et Trinity vont pouvoir remodeler cette Matrice qui puise son énergie dans le désespoir en lui offrant tout l’inverse. Un final qui serait optimiste s’il n’était pas suivi d’une courte scène post-générique extrêmement agaçante au premier abord, mais qui qui montre une vision du monde réel (et de celui du cinéma) absolument tragique.
Pour poursuivre la réflexion, via des avis qui peuvent être divergents, nous vous invitons à lire l’analyse de Cloneweb, la chronique de Cinemateaser, à écouter le podcast Capture Mag et à regarder l’avis à chaud des copains de Monsieur Bobine.