Edgar Allan Poe est connu pour être l’une des principales figures du romantisme littéraire. Son œuvre culte demeure toujours essentielle aujourd’hui, celle-ci ayant une influence significative que ce soit dans la littérature, la musique et bien sûr le cinéma. Plusieurs de ses écrits ont à ce titre été adaptés sur le grand ou le petit écran, ou alors simplement mentionnés comme références. Parmi ses nombreuses adaptations, un seul cinéaste s’est clairement distingué des autres. Que ce soit via son travail prolifique et sa vision d’auteur. Pour s’approprier ces écrits, il n’a d’ailleurs jamais hésité à prendre quelques libertés par rapport aux matériaux de base. Il s’agit bien évidemment du réalisateur américain : Roger Corman.
C’est notamment grâce à ce cycle de huit films (même si l’un d’eux est en réalité une adaptation de Howard Philip Lovecraft) que le réalisateur Roger Corman s’est essentiellement fait connaître en Europe. Certains des films de ce cycle étant régulièrement diffusés lors de rétrospectives consacrées aux réalisateurs que ce soit dans des festivals (comme ce fut le cas en 2009 au FEFFS à Strasbourg, ou en 2017 lors de sa venue au FID de Marseille) et à la télévision (en mars 2012 sur Arte). Car cet habile cinéaste de la débrouille va se servir de son expérience sur ses films fauchés pour les transcender au travers de cette série de films, produits par le studio AIP (American International Pictures). La société de production américaine séduite par le premier projet de ce cycle, La Chute de la Maison Usher, va lui octroyer un budget beaucoup plus important que d’habitude, aussi bien pour le studio que pour le réalisateur. Dès son annonce, l’AIP considère ce film comme étant « le film le plus ambitieux de la compagnie à ce jour ». A juste titre, car celui-ci est le premier film tourné en couleur et en cinémascope du studio, ce qui a permis de sublimer les décors qui étaient déjà particulièrement esthétiques et imposants. Malgré quelques critiques de presse assassines à sa sortie (notamment de la part d’Eugene Archer du New York Times), le film ayant eu un succès commercial important (1.450.000 $ au box office nord américain pour un budget de 300.000 $), le studio a donc décidé de financer d’autres films basés sur les écrits d’Edgar Allan Poe. C’est ainsi que le cycle Poe-Corman est né entre 1960 et 1965, bien que les films soient sortis en France sur une période s’étalant de 1964 à 1972.
Mais cette série de films n’aurait peut-être pas atteint cette immense dimension, si Roger Corman ne s’était pas aussi bien entouré à ses côtés. Car aussi bien devant, que derrière la caméra, le staff technique et artistique est particulièrement impressionnant. Car dans cette équipe, nous y retrouvons un savoureux mélange entre auteurs confirmés et artistes en devenir. C’est d’ailleurs l’une des facettes qui a fait que Roger Corman est rapidement devenu un cinéaste important, en plus d’être un dénicheur de talents. A l’écriture des différents scénarios, nous pouvons y découvrir des auteurs réputés et confirmés comme Richard Matheson (Je suis une légende, L’homme qui rétrécit) et Charles Beaumont (Plaque tournante, Les Intrus). A noter également que certains futurs réalisateurs ont fait leurs premiers pas et leurs premières armes en se retrouvant à différents postes techniques du cycle. C’est le cas notamment de Francis Ford Coppola (la trilogie Le Parrain) qui a travaillé sur L’Enterré Vivant et La Malédiction d’Arkham en tant qu’assistant réalisateur ou encore de Nicolas Roeg (Ne vous retournez pas) qui a été directeur de la photographie sur Le Masque de la Mort Rouge. Mais c’est bien évidement devant la caméra qu’on retrouve d’autres grands noms. Tout d’abord, comment ne pas citer l’acteur emblématique de films fantastiques et d’horreur qu’est Vincent Price (L’Homme au Masque de Cire), tête d’affiche de la quasi totalité des huit films de ce cycle (hormis L’Enterré Vivant). A ses côtés ou pas, on retrouve entre autre au casting la célèbre scream queen du cinéma d’épouvante : Barbara Steele (Le Masque du Démon), mais aussi Hazel Court (Frankenstein s’est échappé), Peter Lorre (M le Maudit), Basil Rathbone (Sherlock Holmes), Debra Paget (Le Tigre du Bengale), Boris Karloff (Frankenstein) et Jack Nicholson (Shining). Comme vous pouvez le voir ou lire, on peut difficilement faire plus prestigieux !
En ce début des années 60, cette « saga » qui a surfé sur la vague et l’âge d’or du cinéma gothique de la Hammer Film, Roger Corman atteint le sommet de son art et par la même occasion influence une multitude de cinéastes. On peut citer les réalisateurs des célèbres gialli Mario Bava et Dario Argento, mais également un certains Tim Burton. A noter que ce cycle sera une des influences majeures (avec les films de la Hammer) pour son film Sleepy Hollow. A noter que son amour pour l’acteur Vincent Price est à l’origine de son court-métrage d’animation Vincent, dont il sera également le narrateur. Il sera également présent au casting d’Edward aux mains d’argent du même réalisateur, pour l’ultime film de sa carrière avant sa mort en 1993.
Tout ceci pour dire que le cycle Poe-Corman est une œuvre conséquente majeure et un monument du cinéma gothique et horrifique. C’est d’ailleurs pour cela qu’après les films de Corman, le studio AIP a produit d’autres films tirés, de près ou de loin, de l’œuvre de Poe pour tenter de prolonger le cycle le plus longtemps possible. Tout d’abord avec La Cité sous la Mer réalisé par Jacques Tourneur (La Féline), en 1965. Puis, Le Cercueil Vivant et Double Assassinat dans la Rue Morgue, tous deux réalisés par Gordon Hessler, en 1969 et 1971. On retrouve d’ailleurs dans les deux premiers films cités, l’acteur Vincent Price au casting, dont un où il est accompagné d’une autre icône du cinéma gothique horrifique : le regretté Christopher Lee.
La Chute de la Maison Usher
Synopsis : Régnant en maître sur la lugubre demeure Usher avec sa sœur Madeline, Roderick Usher est un personnage étrange et inquiétant. Ses sens sont si sensibles que le moindre bruit, la moindre odeur ou le moindre contact furtif, lui provoquent des douleurs atroces. Lorsque Philip Winthrop vient rejoindre Madeline afin de l’épouser, Roderick voit d’un mauvais œil cette union. Pour Philip, il devient évident que, la maison n’est pas une simple demeure… c’est aussi une tombe !
Sorti en France un peu moins de quatre ans après sa sortie américaine, La Chute de la Maison Usher est le premier long métrage de Roger Corman consacré à l’auteur Edgar Allan Poe. Tourné en quinze jours, le film est un huis clos quasi constant avec seulement quatre personnages au cœur de l’intrigue. Bien que le métrage diffère de la nouvelle sur quatre points précis, La Chute de la Maison Usher est considéré, à juste titre, comme une des plus illustres adaptations de la nouvelle éponyme. A l’image de celle-ci, la lugubre demeure est un personnage à part entière du film. C’est pourquoi Roger Corman la filme sous toute les coutures, du décor le plus anecdotique jusqu’au détail le plus significatif. Pour la simple et bonne raison que cette immense « maison » est une subtile allégorie de l’histoire de la famille Usher et de sa tragique destinée. L’étrange maladie (ou plutôt l’hypocondrie) et l’attachement anormal de Roderick Usher (Vincent Price) pour sa sœur, Madeline Usher (Myrna Fahey), dissimule cette folie dans un mal profond où les non dits règnent en maîtres. Un lourd secret dont les clés nous sont données au travers d’un cauchemar psychédélique particulièrement élégant. Le travail des couleurs et le superbe scope venant apporter une certaine valeur ajoutée à cette ambiance pesante qui ne quitte jamais le long-métrage. Scénarisé par l’auteur talentueux Richard Matheson, le script bénéficie d’une prose dont les dialogues particulièrement lyriques sont une véritable offrande pour leurs interprètes respectifs. Ces derniers exploitent ainsi tout le potentiel de leurs personnages jusqu’au climax, dont la démesure en devient rapidement un sommet théâtral de terreur. Une telle réussite devait donc logiquement ouvrir les portes du cycle Poe-Corman.
La Chambre des Tortures
Synopsis : Hanté par d’horribles souvenirs d’enfance, Nicholas Medina, fils du plus célèbre assassin de l’inquisition espagnole, est au bord de la folie. Mais quand sa femme infidèle feint d’être morte pour le pousser au pire, elle apprend à ses dépends le sens du mot « trahison ». Car l’homme qu’elle veut détruire n’est pas seulement son juge et son jury… il est aussi son bourreau !
Suite au succès de La Chute de la Maison Usher, la machine est lancée et La Chambre des Tortures voit le jour. Cette fois-ci, il a fallu trois ans d’écart entre la sortie américaine et française. Roger Corman et Richard Matheson reprennent les bases qui ont fait le succès du film précédent, pour les fusionner au style et à l’ambiance du thriller policier qui se dégage de La Chambre des Tortures. De ce fait, le rythme monte crescendo de l’ouverture jusqu’au dénouement de l’intrigue, là où La Chute de la Maison Usher était bien plus lent et statique. Tout le scénario étant écrit autour de ce dernier acte, l’écriture des personnages est ainsi moins rigoureuse, hormis dans son introduction. Le personnage de Nicholas Medina (Vincent Price) étant le plus écrit, cela laisse moins de place aux autres personnages pour exister et encore moins pour leurs interprètes pour briller. Malheureusement, celui qui en pâtit le plus est le comédien John Kerr. Son personnage, Francis Barnard, qui est supposé être l’antagoniste de Nicholas Medina doit impérativement faire jeu égal avec lui. Ce qui n’est malheureusement jamais le cas. Leur opposition est donc malencontreusement rapidement caduque. Fort heureusement, c’est dans ce point culminant, qu’est le dernier acte, que réside la force du film. C’est d’ailleurs à ce moment qu’apparait à l’écran l’intégralité de l’action de la nouvelle originale de Poe qui se conjugue à l’entrée en scène du personnage interprété par Barbara Steele. Comme à son habitude, l’interprétation de la comédienne crève l’écran et vient littéralement dynamiter le récit. Conscient ce cet atout, la mise en scène de Roger Corman devient grandiose et fantasmagorique. Cette fulgurance visuelle soudaine offre des plans dont la poésie macabre est désormais immortalisée à jamais. Ce que Poe lui-même n’aurait certainement pas renié.
L’Enterré Vivant
Synopsis : Guy Carrel, médecin, est obsédé par la crainte d’être enterré vivant. Dans sa psychose, il se fait ériger son propre tombeau. Se croyant à l’abri de ses phobies morbides, il épouse Emily, Laquelle n’a d’autre but funeste que de s’emparer de sa fortune. Passé à tout pour mort, sa plus macabre hantise devient réalité. Il est enterré vivant ! Jusqu’à ce que des pilleurs de tombes l’extraient de son caveau. Sa vengeance sera alors implacable…
Après les succès de ses deux premiers films consacrés à Edgar Allan Poe, Roger Corman souhaite faire le troisième film du cycle avec un autre studio : Pathé, une compagnie avec qui l’AIP a l’habitude de travailler. Corman voulait à nouveau diriger Vincent Price, mais ce dernier étant sous contrat exclusif avec l’AIP, il engagea Ray Milland pour le premier rôle. Tout se passe bien jusqu’au premier jour de tournage, où à la grande surprise de Roger Corman, les producteurs de l’AIP débarquent (James H. Nicholson et Sam Arkoff). Ces derniers lui signalent avoir repris le projet à Pathé, après quelques menaces « commerciales » auprès du studio français… A l’écriture du scénario, Richard Matheson a laissé sa place a son principal collègue de la série fantastique à succès qu’est La Quatrième Dimension, à savoir Charles Beaumont. Ce dernier transformant le monologue originel de la nouvelle, un thriller paranoïaque avec plusieurs personnages qui s’inscrit très clairement dans la veine des films de la Hammer. De ce fait, l’occasion était trop belle pour amener une transfuge du studio britannique en la personne d’Hazel Court. Elle marquera d’ailleurs le cycle Poe-Corman à trois reprises dans ce film ainsi que celui du Corbeau et du Masque de la Mort Rouge). A la manière de La Chambre des Tortures, L’Enterré Vivant est extrêmement bavard ce qui fait totalement corps avec l’esprit de la nouvelle. Ce qui permet à Roger Corman et Charles Beaumont de traiter idéalement du sujet de la catalepsie, dont souffre le personnage de Guy Carrel (Ray Milland), mais aussi de sa taphophobie avec beaucoup d’explicatif. On y décèle dans toute la phase de développement deux scènes particulièrement marquantes, autant dans leur écriture que dans leur mise en scène. La première étant une scène où la démesure extravagante de Guy Carell lui fait construire un caveau avec divers systèmes pour pouvoir sortir de celui-ci si un jour il était enterré vivant. Tout cela sous les regards médusés de sa femme Emily Gault (Hazel Court) et du Docteur Miles Archer (Richard Ney). La deuxième scène étant le pendant inverse de la première, celle d’un cauchemar psychédélique et anxiogène où Guy Carell se retrouve devant le fait redouté « sans porte de sortie ». Bien que l’absence de Vincent Price peut paraître de prime abord handicapante, car il est désormais impossible de le dissocier de ce cycle, son remplacement par Ray Milland ne fait pas défaut au métrage. Ce dernier ayant repris certains gimmick de Vincent Price en se les réappropriant d’une façon peut-être un peu moins théâtrale. Le reste du quatuor principal n’est pas en reste jusque dans le dernier acte où tout bascule et où toutes les positions de force s’inversent dans un final particulièrement morbide.
L’Empire de la Terreur
Synopsis : Dans Morella, un homme est hanté par l’esprit démoniaque de son épouse. Dans Le Chat Noir, deux amants sont enterrés vivants par un mari jaloux. Et dans Le Cas de M. Valdemar, un sorcier subit les conséquences du sort diabolique qu’il a lancé à un jeune homme innocent.
L’Empire de la Terreur se distingue au sein du cycle Poe-Corman car celui-ci est réalisé sous la forme d’un film à sketches segmenté en trois histoires : Morella, Le Chat Noir, et Le Cas de M. Valdemar. L’Empire de la Terreur marque le retour de Richard Matheson à l’écriture et celui de Vincent Price, qui apparaît d’ailleurs dans les trois segments du métrage.
Le premier est consacré à l’histoire éminemment tragique de Morella. Pour l’adapter, le tandem Matheson-Corman met volontairement en retrait l’aspect et le destin funeste du récit pour aller à l’essentiel en se focalisant sur la terreur, comme le titre de l’omnibus l’indique. Bien que la teneur tragique de la nouvelle est atténuée, Corman rattrape celle-ci par des effets visuels spectaculaires. Pour couronner le tout, le cinéaste reprend les terrifiants décors et quelques stock-shots de La Chute de la Maison Usher pour mettre en valeur son rebondissement final terriblement endiablé.
Place au Chat Noir et son ambiance étrange, où Vincent Price fait face à un autre monstre sacré du cinéma en la personne de Peter Lorre. L’originalité de ce segment réside dans son humour distillé, ça et là, à la manière d’un vaudeville (notamment sur les séquences avec le chat noir du titre). Au premier abord, ce choix peut paraître improbable mais la prestation et l’écriture du personnage de pilier de taverne incarné par Peter Lorre justifie tout à fait ce parti pris et apporte un bol d’air rafraîchissant entre deux histoires particulièrement sombres. Bien que celle-ci, à l’image de la nouvelle bien que l’histoire y est très différente, propose tout de même un destin éminemment funeste. Mais qui prend cette fois une tournure à l’humour noir jouissif. Mention spéciale à une séquence œnologique, inventée pour l’occasion tout en faisant référence à la nouvelle La Barrique d’Amontillado, entre Vincent Price et Peter Lorre qui se révèle délicieusement drôle.
Pour conclure cet Empire de la Terreur de la meilleure des manières, Matheson-Corman glissent tout deux dans l’horreur la plus totale en adaptant la nouvelle : La Vérité sur le cas de M. Valdemar. Après l’immense face à face Price-Lorre, un autre grand duel vient le sustenter. Il s’agit de Vincent Price et de Basil Rathbone qui se retrouve plongés dans une histoire purement fantastique, qui a pour thème l’hypnose sur une personne en fin de vie à cause d’une grave maladie. A l’image de L’Enterré Vivant, les enjeux du Cas de M. Valdemar consiste en un jeu de positions de force. Son final verra un basculement de cette opposition qui s’achèvera brusquement dans l’abomination la plus radicale, grâce à un maquillage du plus « bel » effet. Pour l’anecdote, cet artifice à d’ailleurs failli laisser des séquelles à un Vincent Price plus investi que jamais. Pari risqué, tout de même !
Le Corbeau
Synopsis : Au XVe siècle en Angleterre, le puissant magicien Docteur Craven, qui vit retire depuis la mort de sa femme, reçoit la visite d’un étrange corbeau… Il découvre rapidement qu’il s’agit en fait de son confère Bedlo, transformé en volatile par le redoutable sorcier Scarabus. Les deux magiciens décident alors de se venger et se rendent chez leur ennemi pour l’affronter…
Si le segment du Chat Noir, dans L’Empire de la Terreur gardait « le fil conducteur » de la nouvelle dans son adaptation, Le Corbeau, lui s’en affranchit totalement. Très satisfaits du ton humoristique qu’ils ont apporté pour Le Chat Noir, le duo Corman-Matheson a décidé pour leur dernière collaboration sur ce cycle de se lâcher totalement. Ainsi, ils abandonnent toute velléité de terreur pour basculer dans une pure comédie fantastique. Certes ce parti pris a de quoi déstabiliser et rebuter n’importe quel fan d’Edgar Allan Poe, mais au fur et à mesure des minutes notre hermétisme succombe à la bonne humeur communicative et burlesque du casting cinq étoiles (Vincent Price, Peter Lorre, Boris Karloff, Hazel Court, Jack Nicholson). De ce fait, on ne rit pas du film mais avec lui. Le Corbeau enchaîne les séquences entre le comique de situation et la parodie du genre fantastique dans une alternante alchimie. En lâchant la bride du texte de Poe et en faisant la part belle à l’improvisation des comédiens, quitte à perturber les vieilles habitudes de Boris Karloff, pour le pousser dans ses derniers retranchement. Dans cette symbiose, Corman y gagne dans la virtuosité de sa mise-en-scène. Le paroxysme est atteint dans une conclusion où la magie se trouve aussi bien devant que derrière la caméra. Richard Matheson et Roger Corman se quittent ainsi avec un feu d’artifice, certes déstabilisant à bien des égards, mais absolument jouissif !
La Malédiction d’Arkham
Synopsis : Charles Dexter Ward arrive avec sa femme au village d’Arkham pour visiter le manoir dont il vient d’hériter et qui était la propriété de son arrière-grand-père, sataniste convaincu qui jeta une malédiction sur les villageois qui l’avaient condamné au bûcher. Charles doit faire face à l’hostilité des villageois sur lesquelles la malédiction fait toujours des ravages. Désormais possédé par l’esprit de son ancêtre, Charles reprend la malédiction à son compte dans un esprit de vengeance maléfique.
Inséré par totale filouterie dans le cycle Poe-Corman par le studio AIP, et contre l’avis de Roger Corman, La Malédiction d’Arkham est bel et bien une adaptation lovecraftienne. A noter, qu’il est le premier film tiré des écrits de Lovecraft. Nommé sur le marché international The Haunted Palace (en français : Le Palais Hanté), nom d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe, le film s’ouvre et se referme sur une citation de la dite nouvelle, à la manière des autres films du cycle. Basé sur la nouvelle L’Affaire Charles Dexter Ward, le film fait référence de façon globale à l’œuvre d’Howard Philip Lovecraft. Tout d’abord, comme le titre l’indique, l’action du film se passe dans la ville fictive d’Arkham, bien que la nouvelle se situe entre Providence, Sale, Pawtuxet et même l’Europe. Toute personne connaissant un tant soit peu l’univers de l’auteur de Providence, a bien évidement déjà entendu parler des mythes des grands anciens et du fameux livre des morts écrit par l’arabe fou Abdul al-Hazred : le Necronomicon. La Malédiction d’Arkham y fait d’ailleurs de nombreuses références. Avec ce long-métrage, Roger Corman renoue avec un ton nettement plus sérieux. Le retour de Charles Beaumont au scénario condamne aux oubliettes la parenthèse comique du Chat Noir et du Corbeau. Son script reprend les grandes lignes de la nouvelle avec une introduction qui bascule très vite dans l’horreur. Suite à cette mise en bouche qui annonce la couleur, qui elle n’est pas tombée du ciel, le scénariste prend le temps de traiter et d’étoffer son sujet. Celui-ci se focalise sur le combat intérieur de Charles Dexter Ward (Vincent Price) qui tente, tant bien que mal, de garder sa santé mentale. La ville brumeuse d’Arkham conjuguée à l’identité visuelle particulièrement soignée du directeur photo Floyd Crosby et l’ambiance générale du récit (qui rappelle fortement une autre nouvelle lovecraftienne bien connu : Le Cauchemar d’Innsmouth) amplifient le climat de terreur et montent la pression crescendo jusqu’à un climax totalement baroque. Un choix esthétique global qui a probablement fortement inspiré, quelques années plus tard, le réalisateur Stuart Gordon pour sa propre adaptation du Cauchemar d’Innsmouth, titré Dagon.
Le Masque de la Mort Rouge
Synopsis : Mort et désolation règnent sur le château du Prince Prospero. Ce dernier justifie son comportement satanique par sa soumission au Diable en personne ! Prospero convie au château un certains nombre de personnalités éminentes afin de se protéger contre la menace de la Mort Rouge. Il organise un bal masqué pour ses hôtes au cours duquel il découvre qu’un mystérieux étranger, porteur d’une cape rouge, s’est glissé parmi les invités. Prospero est persuadé qu’il va enfin se trouver face à Satan, son maître, mais l’identité du mystérieux inconnu cache une vérité plus effroyable encore…
Initialement souhaité comme second film du cycle, Le Masque de la Mort Rouge fut repoussé pour cause de similitude avec le sujet du Septième Sceau d’Ingmar Bergman, par Roger Corman. Le tournage de cinq semaines s’est effectué en Angleterre, avec le soutien, en tant que co-producteur du studio britannique Anglo-Amalgamated. Le Masque de la Mort Rouge se démarque totalement des autres films du cycle pour son approche esthétique haut de gamme. A l’image du texte de Poe, toute l’importance du récit réside dans la profondeur de la palette des couleurs proposées, dont le but est de servir une pure démarche allégorique. N’ayons pas peur des morts, le scénario de Charles Beaumont étoffe la prose de Poe en la densifiant avec une certaine classe. Il y incorpore également le personnage de Hop-Frog (Quasimodo en VF), issu de la nouvelle éponyme de Poe pour y apporter une intrigue secondaire qui se mêle parfaitement au récit. Le script habilement écrit de Charles Beaumont conjugué à la récupération des décors somptueux du film Becket de Peter Glenville, sont ainsi servis sur un plateau d’argent à Roger Corman et son directeur photo, Nicolas Roeg. Cette séduisante combinaison permet de transcender l’œuvre de Poe dans une maestria hallucinatoire. Que ce soit la visite des différentes pièces aux atmosphères chromatiques différentes, une incantation onirique et psychédélique à l’issue fatale ou encore une danse macabre aux allures baroques, Le Masque de la Mort Rouge est un immense théâtre grandiloquent. Charles Beaumont ajoute, à la beauté des images, son poids des mots lourds de sens, dont la dernière réplique sonne le glas dans un memento mori qui nous rappelle notre simple condition humaine et ce quel que soit notre rang social. Et c’est ainsi que passe la gloire du monde… Chef d’œuvre !
La Tombe de Ligeia
Synopsis : Plusieurs années après avoir enterré sa femme Ligeia, Verden Fell rencontre et épouse Lady Rowena. Malgré ce mariage, il reste obsédé par sa première femme et attend son retour prochain. La vie avec sa nouvelle épouse démarre sous les meilleurs auspices jusqu’à leur retour à l’abbaye où Verden retombe dans ses sombres habitudes. Verden continue à vivre reclus dans une aile de son abbaye en ruine avec son serviteur Kenrick comme seul occupant. Le souvenir de Ligeia le hante toujours de même que sa promesse qu’elle ne mourrait jamais.
La Tombe de Ligeia est la dernière incursion de Roger Corman dans l’univers d’Edgar Allan Poe et probablement son film le plus proche du style Hammer Film. Pour ce long-métrage, Roger Corman a pour la première fois, et donc dernière fois du cycle, tourné dans des décors extérieurs. Il profite ainsi des superbes paysages naturels anglais, avec entre autre : les magnifiques ruines du prieuré du château d’Acre ou encore le célèbre monument mégalithique de Stonehenge. L’authenticité de ces lieux embellit ainsi la mélancolie et le romantisme qui émanent du texte de Ligeia, dont Robert Towne a logiquement gardé l’essence dans son script. Le travail de l’image de Roger Corman et de son directeur photo Arthur Grant, va d’ailleurs suivre cette même cohérence en privilégiant une nette dominance de gris, qui sublime cette ambiance gothique. Mais ce qui frappe surtout dans ce Tombe de Ligeia, c’est qu’il se retrouve être une véritable synthèse du cycle Poe-Corman, par ses thèmes qu’il aborde, tout en étant une conclusion idéale bien qu’inégale artistiquement. La fascination de la mort, la folie et l’amour sont des thèmes constants du cycle et sont unifiés dans son chapitre final, au travers du personnage de Verden Fell (Vincent Price). Ce dernier semble attendre son destin funeste avec une certaine attirance qui le condamne à la folie, sans retour possible. Sa rencontre avec Lady Rowena (Elizabeth Shepherd) n’apparait ici que comme une temporaire et éphémère solution à sa folie. Mais qui s’avère être la porte de sortie de Ligeia pour tenir une certaine promesse (dont on garde le secret), tout en étant un écho au segment de Morella dans L’Empire de la Terreur. C’est dans ce climax que la terreur se mêle à la déviance, l’étrange au maladif, où la finalité ne peut être que la mort. On le répète une dernière fois, en guise de conclusion, qu’il ne faut pas oublier que chez Edgar Allan Poe (et donc ici chez Roger Corman), que c’est dans le symbolisme le plus profond que la mort peut prendre n’importe quel visage, qu’il s’agisse de l’être aimé ou de l’être le plus redouté.