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Kaijū, Envahisseurs & Apocalypse : L’âge d’or de la science-fiction japonaise – Entretien avec Fabien Mauro

Deux ans après la parution de Ishiro Honda : Humanisme Monstre, nous retrouvons Fabien Mauro à l’occasion de la sortie de son nouveau livre Kaijū, Envahisseurs & Apocalypse : L’âge d’or de la science-fiction japonaise. Un imposant ouvrage encyclopédique chapeauté par Aardvark éditions sous la supervision de Mathieu Col, qui a pour ambition de retracer l’histoire du cinéma de science-fiction japonais à l’ère Shōwa. Un livre appelé à faire date, dont Fabien nous raconte les coulisses. 

Comment est né ce livre ? 

A l’origine c’est Mathieu Col, le fondateur d’Aardvark qui m’a contacté en 2017. Cela faisait plusieurs années qu’il développait un projet de livre sur la science-fiction japonaise. Il voulait vraiment faire un ouvrage encyclopédique sur le sujet. À l’époque, Mathieu travaillait pour l’éditeur vidéo Blaq Out et nous avons commencé à développer ce projet fin 2017 sous leur bannière. Entretemps, Mathieu lance Aardvark Editions avec Kaijū, Envahisseurs & Apocalypse comme ouvrage inaugural de son entreprise. Au même moment, je mettais la touche finale sur mon 1er livre Ishiro Honda – Humanisme Monstre, sorti chez Rouge profond en juin 2018. Peu de temps après, avec Mathieu, nous avons établi le plan, la structure et les différents axes du livre. Au départ, il souhaitait couvrir la période 1954-1977 et j’ai suggéré d’élargir le champ d’analyse. Au final, on débute en 1949, l’immédiat d’après guerre, pour terminer en 1980, avec les gros budgets nippons post-Star Wars et les derniers soubresauts du cinéma catastrophe. Cette année marque aussi le premier arrêt effectif de la franchise Gamera, avec Gameka et les trois super women. Fin 2018, je débute la rédaction, qui durera finalement plus d’un an et demi jusqu’en avril 2020, durant le premier confinement. Bruno Terrier de Metaluna Store nous accueille Mathieu et moi le 29 août 2020 pour un sacré lancement. Cet après-midi de dédicaces était un moment de bonheur, de quoi terminer l’été sur une note chaleureuse. J’en profite pour remercier à nouveau Bruno pour son accueil, ainsi que les visiteurs. Le livre sort officiellement le 6 octobre en librairie, et en simultané sur le site d’Aardvark Editions. On achevait donc un marathon de près de trois ans, du premier contact avec Mathieu jusqu’à la sortie. 

Comment fut géré le travail autour de la documentation que l’on imagine titanesque ?

Je me suis basé autant que possible sur des sources littéraires existantes aussi bien japonaises, qu’on a traduit au mieux de nos capacités, qu’anglo-saxonnes. Je me suis aventuré pas mal d’heures sur le web nippon pour dénicher le maximum de sources locales. J’ai essayé de regrouper les sources pour avoir la matière la plus exacte possible. Cependant, je m’excuse si une ou deux coquilles subsistent dans le produit fini. Mathieu s’est chargé de toute l’iconographie et de recueillir toutes les affiches à travers des collections privées, qu’il s’agisse de la sienne, ou celle d’autres collectionneurs du monde entier. C’est grâce à ces gens qu’on a réussi à recueillir toutes ces magnifiques affiches, lobby cards, que l’on peut voir dans le livre. Encore un grand merci à eux. Enfin, je tire mon chapeau à Mathieu pour avoir réalisé la portion encyclopédique qui conclut le livre. Un travail de titan. 

La préface de Pascal-Alex Vincent rappelle que la science-fiction fut une importante porte d’entrée pour le public étranger vis à vis du cinéma japonais.

Encore un grand merci à lui. Symboliquement, je suis fier qu’il nous ait fait l’amitié de signer la préface. Pascal-Alex rappelle que la science-fiction japonaise fut massivement exportée durant l’âge d’or du cinéma local. On a tendance à penser que le public allait voir les films d’Ozu, Kurosawa ou Mizoguchi. Mais n’oublions pas que ces cinéastes se sont fait connaître bien plus tard grâce aux compétitions internationales. Le grand public ne les découvrira qu’ultérieurement. Les films de science-fiction n’étaient pas forcément vendus sur leurs origines japonaises, mais plutôt sur les stars américaines qui étaient occasionnellement présentes, comme Raymond Burr ou Nick Adams. Il n’était pas rare que ces films passent d’abord par le circuit de distribution américain avant d’arriver chez nous. La Revanche de King Kong est celui qui a le mieux marché dans l’Hexagone, du fait de son casting américain et de la popularité du célèbre singe. 

Bien avant l’arrivée des Kaijū Eiga, on découvre que l’un des premiers temps forts du cinéma fantastique nippon, étaient des relectures modernes des grands monstres de la littérature gothique anglo-saxonne, principalement l’homme invisible et le Dr. Jekyll, ce qui donne lieu à de véritables mélanges des genres, qui deviendront par la suite extrêmement importants dans la production cinématographique locale.

Les studios japonais produisaient bon nombres de films à suspense plus ou moins horrifiques influencés par les écrits d’Edogawa Ranpo. Tômei ningen arawaru et Tetsu no tsume entrent dans cette catégorie, avec cependant l’ajout d’un monstre. Dans les années 1950, Toho développera ce type de thriller mâtiné d’érotisme avec des films comme Ghost Man de Motoyoshi Oda et Vampire Moth de Nobuo Nakagawa. C’était une façon astucieuse d’insérer ces monstres classiques occidentaux dans des genres adoptés par le public japonais. Par exemple, Tetsu no tsume (1951), le « Dr Jekyll et Mister Hyde » des studios Daiei, ne développe pas un sérum pour qui déclenche sa transformation. Ici, c’est un ancien officier de l’Armée impériale japonaise blessé par l’assaut d’un gorille. À chaque fois qu’il boit de l’alcool, il devient un être difforme et incontrôlable. Même chose du côté de l’homme invisible. Le très touchant Tômei ningen arawaru (1949) montre un honnête laborantin devenir progressivement fou. Dans Tômei Ningen (1954), produit par la Toho, l’homme invisible, également ancien soldat, utilise un déguisement de clown pour se fondre dans la masse au lieu des traditionnelles bandelettes. Petit à petit, d’autres personnages vont débarquer dans les années 60. La Toho fera un film de Frankenstein en mode Kaijū Eiga. Ce dialogue entre le Japon et les monstres sacrés d’Universal, repris par la Hammer, donnent toujours des cocktails originaux.

Tu avais déjà longuement évoqué Godzilla et l’oeuvre d’Ishirō Honda dans ton 1er livre. Est-ce que la rédaction de Kaijū, Envahisseurs & Apocalypse fut l’occasion de rajouter des choses que tu n’avais pu aborder dans ton précédent essai ?

Il est vrai que je me suis longuement posé la question avant d’accepter le projet. Le livre sur Honda était un projet personnel. Ici, il s’agissait d’une commande. L’exercice était totalement différent. Mathieu était le producteur et moi je mettais en scène son projet (rires). En fait le Ishiro Honda – Humanisme monstre était une biographie factuelle avec, finalement, très peu d’informations sur la production des films. La deuxième partie était une analyse assez personnelle de ses longs-métrages de science-fiction. Kaijū, envahisseurs et apocalypse était l’occasion d’aller au coeur de la production des films. J’ai pu évoquer les différentes versions des scripts, les conditions de tournage, les suit actors comme Haruo Nakajima, et surtout la fabrication des effets spéciaux par Eiji Tsuburaya et ses collaborateurs.

À la lecture de Kaijū, Envahisseurs & Apocalypse on a l’impression que la relation qui unissait Ishirō Honda et Eiji Tsuburaya, était celle de deux réalisateurs en un. Le comparatif peut paraître étrange, mais peut-on dire qu’ils étaient au cinéma de Science-Fiction japonais ce que Michael Powell et Emeric Pressburger était au cinéma baroque britannique ?

On peut dire que ces films étaient véritablement le fruit de deux cinéastes. Honda pouvait adapter sa mise en scène aux effets spéciaux de Tsuburaya. C’est presque l’équivalent d’une relation entre un cinéaste hongkongais de la période classique et un chorégraphe, qui réalisait les scènes de combat. C’est presque du Chang Cheh – Liu Chia-liang à ce niveau-là (rires), dans la mesure où l’on a cette distinction entre un cinéaste, en l’occurence Honda, qui réalise les séquences dramatiques, et un autre, Eiji Tsuburaya, qui s’occupait de toute la partie effets spéciaux. Et ces deux spécialistes s’unissent pour faire œuvre commune.

On apprend que la confection de certaines oeuvres, notamment Le satellite mystérieux, nécessitait des personnalités issues d’autres horizons artistiques que le cinéma, peut t’on dire que c’est ce mélange harmonieux de talents qui permis à de nombreux longs métrages de sortir du tout venant de l’époque ? 

Cela leur a permis de se distinguer rapidement du cinéma américain. Sur Le satellite mystérieux,  le grand artiste Tarô Okamoto a été engagé pour élaborer ses extraterrestres en forme d’étoile de mer. Okamoto était un surréaliste qui avait fréquenté André Breton, Picasso, Man Ray et Robert Capa. C’était quelqu’un qui venait de l’art contemporain de cette époque-là. Il a permis aux futurs concepteurs de créatures de s’affranchir des motifs préhistoriques. Il fallait penser « personnage » et non plus « animal ». Par exemple Tôru Narita, qui fera plus tard les monstres et le design d’Ultraman, était également artiste plasticien. Eiji Tsuburaya l’a fait venir parce que ses créations était uniques. C’est vrai que les films de science-fiction ont tiré parti d’artistes locaux qui n’ont pas forcément rapport avec le cinéma pour bâtir des esthétiques originales. 

Outre les coproductions américaines on voit que le japon n’hésitait pas à prêter ses experts  SFX à Hong Kong ou en corée quand l’occasion se présentait. 

Un des cas les plus célèbres est Le colosse de Hong Kong produit par la Shaw Brothers en 1977, où plusieurs techniciens japonais ayant travaillé avec Tsuburaya ont conçu les séquences de miniatures. Notamment Sadamasa Arikawa, Kôichi Kawakita et Keizô Murase. Les scènes de destructions sont sont mêmes plus impressionnantes que dans les Godzilla des années 70. On sent que la Shaw Brothers n’était pas du tout habituée a produire ce genre de film. Ils ont voulu faire une production  « Bigger and Louder ». La reconstitution de Hong Kong est vraiment détaillée, ça donne des choses sublimes à l’écran en terme de destruction et d’effets pyrotechniques, même si les gros plans sur le visage de la créature ne sont pas toujours réussis. On a aussi Yongary, tourné en Corée du sud, qui fut également assuré par des équipes japonaises. Le design du monstre a été élaboré en Corée du sud avant d’être envoyé au Japon dans les locaux d’Ekisu Productions, qui travaillait à l’époque sur les Gamera sous la direction de Masao Yagi, qui s’est chargé du costume du monstre. 

Le Japon ne voyait pas ces productions comme de la concurrence ?

Les studios japonais étaient suffisamment occupés à s’affronter entre eux, tout en tentant de rivaliser avec la télévision, le nouvel ennemi commun. Les films extérieurs posaient moins de problème. Le Japon était encore le centre cinématographique d’Asie du Sud-Est. De nombreux techniciens, chefs opérateurs et réalisateurs allaient travailler à la Shaw Brothers, qui souhaitait les meilleurs techniciens d’Extrême Orient. Les films de la Daiei étaient également distribués par la Shaw Brothers sur le reste de l’Asie du Sud-Est. C’était flatteur pour les studios Japonais de voir leurs techniciens sollicités pour embellir des productions étrangères, surtout quand les accords de distribution était signés à l’avance. Il n’y avait pas de marché concurrentiel sur le film de monstre au-delà du Japon. Il en résulte des cas isolés assez intéressants. Yongary est un film recelant de scènes assez uniques politiquement parlant, que l’on ne verrait peut-être pas au Japon, tandis que Le colosse de Hong Kong est un mélange entre le film d’exploitation pour adultes et King Kong. 

Le chapitre central du livre, revient longuement sur la guerre des studios. En plus des Kaijū Eiga, d’autres genres sont à l’honneur, comme l’exploration maritime, le film de super héros et les comédies loufoques avec des groupes populaires de l’époque comme les Crazy Cats et les Tigers. Comment les studios ont géré cette bataille ?

La concurrence est arrivée de manière assez tardive, c’est la Daiei qui a montré la voie en 1965 en lançant la série des Gamera, 11 ans après la création Godzilla. Ce qui est génial c’est que la Daiei a créé un personnage qui se distingue totalement du roi des monstres, au point d’avoir une fanbase considérable. Mais la Daiei a eu un coup de génie en développant astucieusement le personnage de Gamera. Passé le 1er film, dans lequel Gamera est l’antagoniste on le repositionne comme un personnage sympathique dès le deuxième long-métrage, défendant les humains avant de devenir l’ami des enfants dans le troisième opus. Gamera était l’une des rares franchises à rapporter de l’argent à la Daiei jusqu’à la fermeture du studio en 1971. Pourquoi ? Parce qu’ils réduisaient les coûts de production à chaque nouvel opus, tout en assurant le sponsoring de manifestations ou parc d’attractions locaux. D’autres studios ont également essayé leurs propres Kaijū Eiga mais cela a moins bien marché. La Nikkatsu a produit Gappa qui est un simili remake de Gorgo d’Eugène Lourié. Mais ce genre n’était pas l’apanage du studio, qui misait plutôt sur les longs-métrages de Seijun Suzuki, les comédies et autres films policiers. La Shōchiku, le prestigieux studio à qui l’ont doit les œuvres d’Ozu, a tenté sa chance avec Itoka, le monstre des galaxies, un mélange de Space Opera et de Kaijū. Il s’agissait d’une approche très décontractée du genre avec un drôle de monstre : Guilala. Ce dernier dispose d’un corps de dinosaure avec une tête évoquant une soucoupe volante. La Toei est l’autre studio à s’être vraiment illustré dans le genre, en produisant une multitude de séries à effets spéciaux durant les années 1970 avec le concours du mangaka Shōtarō Ishinomori. 

Tu évoques également la trilogie Majin, dont tu as également signé la présentation pour l’édition Blu-ray éditée par le Chat qui fume, alors qu’il s’agit d’épopées médiévales fantastiques et non de science-fiction. Pourquoi ce choix ? 

Après moult réflexions nous nous sommes accordés cette anomalie qu’est la trilogie Majin, qui croise le Jidai-geki avec le Kaijû Eiga. Ce sont des films extrêmement réussis sur le plan technique. J’ai beau respecter Eiji Tsuburaya, le travail de Yoshiyuki Kuroda et du chef opérateur Fujio Morita sur le mélange live-effets spéciaux atteint ici son apogée. Ils ont fait un boulot fantastique, déjà parce qu’ils ont un acteur, Chikara Hashimoto, qui incarne magnifiquement Majin. La créature est superbement filmée, essentiellement en contre-plongée. Les images sont minutieusement texturées : pluie, tempête… La taille de Majin est un autre avantage. Il ne mesure que 8 à 9 mètres, ce qui permet de créer des maquettes médiévales très détaillées. Il y a donc un vrai travail d’harmonisation. Par ailleurs, ces récits nous demandent d’être plus attentifs aux enjeux humains. À travers un canevas plus ou moins identique, on a trois visions de cinéastes assez reconnaissables. Le premier possède la meilleure histoire, le second signé Kenji Misumi, contient les meilleures séquences d’effets spéciaux. Cette scène où Majin surgit en écartant les flots tel Moïse est un moment de cinéma absolument sensationnel. Enfin le 3ème volet c’est presque Le Hobbit avant l’heure, avec quatre enfants qui doivent partir à l’aventure car ils n’ont pas le choix. Voir des enfants confrontés à la mort est quelque chose à quoi, nous occidentaux, n’avons pas forcément l’habitude d’assister au cinéma. Chaque nouveau visionnage de cette trilogie constitue un vrai bonheur. 

En parlant d’enfance j’ai appris dans ce livre que les studios avait créé des festivals pour essayer de fidéliser le public dès son plus jeune âge à ses productions. 

La Toei a crée le Toei Manga Matsuri tandis que la Toho met sur pied le Toho Champion Matsuri. Le concept est très simple, c’est un programme avec plusieurs films, courts métrages et épisodes d’animés dans lequel les studios vont vendre leurs produits du moment. Le Toei Manga Matsuri était vraiment bien car, en général, il proposait un film d’animation produit par les studios Toei ou bien des exportations étrangères. En général, on associait cela à un contenu Tokusatsu, un épisode diffusé à la télévision qui pouvait être de nouveau projeté sur grand écran, où alors un film spécial conçu pour le cinéma. Certains films d’animation japonais très connus sont passés dans ces festivals, par exemple Panda petit Panda. La Toho a fait quelque chose de similaire mais va se servir de cet événement pour proposer des versions courtes de ses films des années 50-60. Des  longs-métrages comme Mothra passent de 1H40 à 1H10, en se recentrant uniquement sur les scènes d’effets spéciaux. Les Godzilla des années 70 seront également produit dans le cadre de ses festivals, ce qui va être le prétexte pour Toho pour réduire considérablement les budgets et s’adresser uniquement aux enfants. Petit à petit, le studio va se détourner des productions locales et faire du Champion Matsuri une vitrine pour les films Disney à la fin des années 70. 

Pourquoi le cinéma japonais s’est recentré sur les films catastrophe dans les 70s, déjà présents aux États-Unis, alors que le Kaijū Eiga avait la même portée allégorique ?

Déjà, le cinéma de divertissement américain d’alors était dominé par les films catastrophe. Au Japon, la date clé du genre est la sortie de La submersion du Japon (1973) par Shirô Moritani adapté d’un best seller de Sakyō Komatsu, qui raconte comment les îles japonaises s’effondrent les unes après les autres dans l’Océan Pacifique. C’est un livre qui a eu un énorme retentissement. Ces récits de fin du monde permettaient aux japonais d’évacuer la frustration à propos d’un danger qu’ils vivent au quotidien : la peur du tremblement de terre, le pays qui s’écroule sur lui-même. C’était déjà le cas avec Godzilla sauf que La submersion du Japon était sorti pour les 50 ans du séisme de Kantō. C’était une manière de dire : « N’oubliez jamais et faites attention à ce qui peut vous arriver dans le futur ». Le roman évoque également la question du devenir de la population japonaise une fois le pays englouti. Par ailleurs, ce livre arrive également lors d’une période assez inquiétante pour le Japon : soulèvements étudiants, début de la crise pétrolière… Cela a permis d’engendrer certains films d’anticipation excellents comme Fin du Monde – Nostradamus an 2000 qui est l’ultime film catastrophe. Il a été retiré de l’affiche, alors qu’il allait surpasser La submersion du Japon au box office. Des associations solidaires des hibakusha (personnes atteintes de maladies issues des radiations nucléaires), se sont scandalisées du final montrant des enfants déformés par les radiations se battre sur une terre ravagée. 

Peut-t-on dire qu’il y a eu un avant et un après Star Wars dans la représentation de la science fiction au Japon, en plus des nombreuses déclinaisons locales comme Les évadés de l’espace qui donna par la suite la série San Ku Kaï

Il faut savoir que les récits spatiaux n’ont pas attendu Star Wars pour triompher au Japon. Leiji Matsumoto avait déjà bien montré la voie avec Space Battleship Yamato, qui reste l’oeuvre de référence en terme de Space Opera japonais, sans oublier Albator et Galaxy Express 999. Du côté live, la réaction fut opportuniste quand on sait que la Toho produisit War in Space, remake combiné d’Ataragon et de Battle in Outer Space. C’est plutôt une régression qu’une évolution. Le seul emprunt à Star Wars est la présence d’un Wookiee vindicatif. Quand Kinji Fukasaku fait Les évadés de l’espace, on sent davantage cette volonté de refaire un récit mythologique spatial à la Star Wars, en y mettant cette fois-ci le budget. Les effets spéciaux y sont assez réussis et l’équipe a pu tester ses propres techniques comme le procédé Totsu ECG, qui permet d’incruster directement sur pellicule des plans de miniatures filmés au préalable en vidéo. Par la suite San Ku Kaï était une façon d’exploiter le concept pour la télévision en reprenant les concepts du Tokusatsu, avec ses héros masqués, qui s’apparentait à des Ninja de l’espace. On se rapproche encore plus des archétypes de Star Wars. Ayato c’est Luke Skywalker, Ryû c’est Han Solo et Siman c’est Chewbacca. Cependant la science-fiction nippone live a préféré se recentrer sur des films de Ninjustu à base de magie et d’effets spéciaux, plutôt que d’exploiter la space fantasy ou le space opéra mythologique. Certains aspects des évadés de l’espace annoncent L’empire contre attaque, mais le dialogue entre Star Wars et le Japon est un sujet à part qui mériterait d’être examiné plus en détail.

Tu évoques au détour des pages et des annexes de nombreuses pépites comme Yongary, Introspection cicatricielle, Black Jack, etc… . Blood Type: Blue (Blue Christmas), s’avère l’une des plus atypiques, puisque ce long-métrage porte la signature de Kihachi Okatomo, un cinéaste beaucoup plus connu pour ses chambara. 

C’est un film étonnant. Que ne fut pas ma surprise de voir ce film réalisé par celui que l’on connait surtout pour ses chanbara noirs. Il ne s’agit pas vraiment de science-fiction, mais plutôt d’un thriller à la « Nouvel Hollywood ». Un journaliste incarné par Tatsuya Nakadai enquête sur des personnes entrées en contact avec des ovnis. Suite à cette rencontre, leur sang est devenu bleu. Le concept est absolument génial sauf qu’il s’agit d’un film assez long, tourné en 1.33, quasiment sans effet spécial. L’action se déroule entre le Japon, New York et Paris. Il s’agit d’une oeuvre sombre et radicale. On ne se préoccupe pas de savoir pourquoi les gens ont subi cette mutation interne, Okamoto insiste d’avantage sur la manière dont le gouvernement va les supprimer du fait de leur particularité génétique. Il s’agit d’une purge qui finit par concerner les quatre coins du globe, au point qu’on assiste à des scènes de rafles assez perturbantes. C’est également un de ses longs-métrages qui montre le New York délétère de cette époque. Il y a une scène – je ne sais plus si elle se déroule à Harlem ou dans le Queens – où Tatsuya Nakadai va faire une pause café dans la cour d’un immeuble complètement détruit. C’est un film unique, qui a inspiré en partie Hideaki Anno pour son oeuvre. Kihachi Okamoto est son cinéaste préféré, mais on retrouve également la mention Blood Type: Blue dans Evangelion. Ce long-métrage mériterait de sortir en Blu-ray chez nous. Il s’agit d’une vraie oeuvre d’auteur, d’une noirceur absolue, un véritable anti-Rencontres du troisième type. 

À la lecture de la conclusion, qui revient succinctement sur les années 80 jusqu’à aujourd’hui, peut-on dire que tu boucles la boucle, vis à vis d’une passion qui t’aura accompagnée durant de nombreuses années ? 

Je ne sais pas si la boucle est fondamentalement bouclée mais je suis déjà très content que d’autres personnes se penchent sur le sujet. Des magazines, podcasts, émissions web se développent autour de la science-fiction japonaise, et ils sont d’avantage pointus, sur des sujets bien spécifiques comme Ultraman, Kamen Rider ou Godzilla. De mon côté, je voulais présenter le foisonnement d’un genre, un âge d’or qui offrit des choses variées, gérées par de grands cinéastes et techniciens. Je ne sais pas si la boucle est bouclée, mais je pense que je ne retoucherai plus à cette époque-là. Je pense qu’il y a d’autres histoires à raconter, celles de gens comme Shin’ya Tsukamoto, Keita Amemiya ou même Hideaki Anno, qui ont renouvelé le genre tout en l’inscrivant dans un héritage de l’ère Shōwa. La génération de cinéastes qui a grandi avec ces films-là ont désormais une soixantaine d’année et on voit qu’ils en sont imbibés. Leur style est entre hommage et déconstruction. On ne peut pas nier la filiation. Je ne sais pas si la boucle est bouclée mais en tout cas, je pense avoir payé mon tribut au genre (rires).

D’autres projets ?

J’ai une idée qui commence à faire son chemin. Vivement 2021. J’ai également des envies de livres ainsi qu’une fiction qui unirait deux autres de mes passions : le gothique victorien et le Kung-fu. Pourquoi pas faire la suite de Kaijū, Envahisseurs & Apocalypse si Mathieu le souhaite un jour, à condition de retrouver une stimulation similaire. Mine de rien, ce livre m’a demandé énormément d’énergie et j’essaie de revoir ces films que j’affectionne uniquement comme spectateur.

Propos recueillis par Yoan Orszulik.

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