Une nouvelle fois encore, le festival lyonnais les Hallucinations Collectives a été chamboulé ! Fermeture des cinémas oblige pour cause de Covid, cette 14ème édition a dû être décalée de sa période habituelle (le week-end de Pâques) à la fin août et début septembre. Retour sur une édition mouvementée à plus d’un titre.
Comme signalé lors de notre article de présentation, cette 14ème édition des Hallus s’est vue parasitée pour la seconde fois (la dernière ?) par la pandémie. Parmi les victimes, on compte cette fois-ci la traditionnelle compétition de longs-métrages qui fut remplacée au pied levé par une sélection de films privés de sortie en salle. L’occasion pour certains des films judicieusement choisis de réparer de façon éphémère une certaine forme d’injustice. Deuxième grand absent du festival, le non moins intéressant off du festival, qui est parfois l’occasion pour l’association Zone Bis (organisatrice du festival) de proposer autre chose que des projections et/ou de réaliser des séances hors les murs habituels du cinéma Comœdia.
Jour 1
Pour sa soirée d’ouverture, le festival a pour habitude de nous cueillir à la fraîche par une belle avant-première, précédée d’un court-métrage. Ce dernier, Swallow The Universe de Nieto est un film d’animation basé sur la technique de l’emaki (un rouleau peint à la narration horizontale). On y suit les pérégrinations ultra graphiques d’un enfant perdu dans les jungles profondes de Mandchourie. Au-delà de son style particulièrement hallucinatoire et propice aux excentricités les plus folles, on avoue avoir eu du mal à se concentrer sur l’histoire, tant nos rétines ont été accaparées exclusivement par la singularité des images qui nous était proposées. Tant pis pour le récit, mais tant mieux pour l’esthétisme !
Prévu pour une sortie salle le 29 décembre prochain, c’est Belle de Mamoru Hosoda qui est sélectionné pour débuter les festivités. On ne va pas vous le cacher, il était très difficile de trouver un meilleur préambule. Œuvre somme du cinéaste nippon, cette version 2.0 de La Belle et la Bête s’attache à moderniser le personnage féminin du conte originel, en la réinterprétant totalement. Exit le personnage creux réduit à ses attributs physiques, destinés à désensorceler la Bête, et place à un personnage élaboré et complexe. L’histoire prend place dans une petite ville de montagne japonaise où l’on suit le quotidien de Suzu, une adolescente brisée par à un drame familial. Au travers du monde virtuel de U (qui signifie toi), elle se crée une alter ego numérique. Via ce médium, elle reprend goût pour sa passion d’enfance : le chant. La métamorphose est totale, la jeune femme introvertie se transforme en une icône musicale à la voix flamboyante répondant au pseudo : Belle. Bien décidée à réveiller son moi le plus profond, elle va peu à peu s’affranchir de toutes ses barrières et bousculer l’impossible. Puisant dans l’essence thématique de son propre cinéma, Mamoru Hosoda propose un film sur la reconstruction et l’entraide au travers du numérique. Révélant son lot de surprises, notamment au travers de l’avatar de la Bête et de son histoire tragique, Belle est une ode à la bienveillance et à l’entraide pleine d’espoir et d’émotions. On ne peut que vous encourager d’aller le découvrir en salle en cette fin de l’année.

Jour 2
L’ouverture étant passée, on entre cette fois dans le cœur du festival au travers de son traditionnel Cabinet de curiosités. Des films souvent rares, méconnus ou inclassables qui sont orphelins de thématiques. Mais la nouveauté de cette année, c’est que parmi eux, deux fois deux films vont se répondre entre eux (Burroughs : The Movie fonctionne en binôme avec Decoder et Popcorn avec Fondu au noir). C’est d’ailleurs le cas pour le premier film de cette seconde journée. Tourné au début des années 80 par Howard Brookner, Burroughs : The Movie est un documentaire retraçant la vie et l’œuvre de l’auteur du Festin nu. Le cinéaste s’articule principalement autour de plusieurs entretiens filmés du célèbre artiste et auteur, déjà bien amoindri par sa vie particulièrement mouvementée. L’ensemble est ponctué d’interviews des proches et du cercle d’amis de William Burroughs et s’attarde principalement sur les souvenirs et les anecdotes qui ont contribué à faire de lui une icône de la pop culture américaine. Un documentaire qui fait figure de portrait détaillé, où rien n’est oublié : la Beat Generation, la technique du cut-up, la drogue, sa bisexualité ainsi que « l’accident » sordide qui a tué sa femme. Un must essentiellement pour les fans de l’auteur.
On inaugure cette fois, l’une des deux thématiques du festival : Rêves en ricochets. A travers elle, l’objectif est de rompre totalement avec une narration linéaire au profit de déambulations oniriques. Les autres points communs qui composent ces rétrospectives sont leur goût assumé pour le fantastique et le noir et blanc. En guise d’entrée en matière, c’est Marée Nocturne de Curtis Harrington qui a été choisi. Premier long-métrage du cinéaste américain, Marée Nocturne est adapté d’une de ses propres nouvelles, The Girl from Beneath the Sea, et met en scène un tout jeune Dennis Hopper. Il y interprète un marin (Johnny Drake) en permission à Santa Monica, où il rencontre une jeune femme (Mora) dont il tombe très rapidement amoureux. Cette dernière joue dans un cirque itinérant où elle incarne une femme-sirène. Problème, son employeur le Capitaine Murdock semble extrêmement possessif et pour couronner le tout, les derniers prétendants de la belle interprète sont tous décédés dans des mystérieuses noyades. Mélodrame onirique, mâtiné de thriller et à la teneur fantastique, la question se pose régulièrement si le rôle de femme-sirène est une pure fiction ou non ? D’autant qu’une étrange femme traîne dans le sillage de Mora et semble avoir d’indicibles projets pour elle. Il faudra attendre la conclusion pour que le voile se lève enfin sur de nombreuses questions tout en laissant volontairement d’autres sans réponses claires. Roger Corman oblige, ce dernier ayant acheté le film pour sa diffusion, conclut le film par une citation d’Edgar Alan Poe, comme ce fut le cas pour son cycle d’adaptation de l’auteur. Libre alors à l’interprétation de chacun·e. Romanesque et éthéré à la fois, Marée Nocturne est une belle curiosité que nous vous invitons à découvrir.

Changement de registre total avec le premier film rattrapage des Privés de Sortie. C’est à 68 Kill de Trent Haaga (rejeton de la Trauma) d’ouvrir le bal ! On y suit les (més)aventures de Chip (Matthew Gray Gubler) qui se dévoue corps et âme à sa copine Liza (AnnaLynne McCord) et va jusqu’à cambrioler le propriétaire de leur mobil-home. Malheureusement rien ne va se passer comme prévu et tout va dégénérer encore et encore. Mené tambour battant et de bout en bout, il est difficile de s’ennuyer un seul instant tant le rythme est frénétique. Sans oublier le comique de situation et autres retournements bien sentis qui s’enchaînent perpétuellement. Maîtrisé de bout en bout dans son écriture, comme dans sa réalisation, 68 Kill est bourré jusqu’à la moelle d’idées démentes à n’en plus finir. De plus, le long-métrage de Trent Haaga fourmille d’une galerie de personnages complètement barjo et remarquablement interprétés, dont le projet semble de redéfinir constamment le sens du mot absurde et d’en bousculer les limites au-delà de l’impossible. On préfère ne pas vous en dire plus afin de vous laisser le plus vierge possible. On ne peut donc que vous conseiller de découvrir le plus rapidement possible ce rollercoaster de fous rires et d’hémoglobine.
Dernier film de cette journée qui fait monter la sauce jusqu’à l’habituelle projection d’un film pornographique, dans le cadre du Cabinet de curiosités. Mais Mascara de Roberta Findlay et Henri Pachard déçoit et se transforme rapidement en une douche froide. Le tandem consacre leur récit à leur personnage principal, Harriet, une secrétaire timide et renfermée qui souhaite s’émanciper et renouer avec une vie sexuelle épanouie au contact d’une de ses rencontres, Lucy, une prostituée qui devient sa conseillère et « éducatrice ». Leur amitié naissante va bousculer leurs habitudes et leurs « identités » se confondre. Concernant la mise en scène, Roberta Findlay s’occupe des aspects dramatiques pendant qu’Henri Pachard prend en charge uniquement les scènes pornographiques. Malgré des thématiques intéressantes sur le fantasme et le plaisir féminin, Mascara est bien trop soporifique pour maintenir pleinement notre attention. Mais le pire réside bien dans les scènes pornographiques elles-mêmes. La faute a des bruitages de succions omniprésents qui font penser à un débouche chiotte. Au départ ça fait sourire, voire rire, mais après plusieurs séquences du même acabit, ça devient rapidement pénible. Next !

Jour 3
On prolonge l’aventure au sein du Cabinet de curiosités avec le premier film de cette troisième journée. Popcorn de Mark Herrier est un slasher passé sous les radars des années 90. La raison étant d’être sorti entre les deux vagues du genre, celle de l’âge d’or et bien avant la vague des slashers meta et autres néo slashers. Proche thématiquement de la saga Scream, Popcorn s’inscrit dans la poignée de films meta du genre. Tueur masqué, film sur le cinéma (hommage à tout un pan de la série B à Z), la pellicule aux allures de geek movie avant l’heure est une œuvre sans prétention qui a pour simple but de divertir. Un rôle ou plutôt une fonction qu’il remplit sobrement son cahier des charges sans sourciller. Popcorn est un huis clos où des passionné·e·s investissent une salle de cinéma abandonnée le temps d’un festival de films rétro. Problème, un tueur masqué va se glisser dans cette fameuse soirée, bien décidé à décimer les organisateur·ice·s au fur et à mesure des projections. Comme bons nombres de films du genre, Mark Herrier s’amuse à créer des mises à mort plus originales les unes que les autres, en se servant d’accessoires qui font références aux différents films projetés. Le cinéaste en profite également pour interroger modestement notre rapport à la violence lors de l’ultime tentative du tueur d’éliminer la final girl. Loin d’être un chef-d’œuvre du genre et malgré quelques longueurs, Popcorn mérite d’être réhabilité aujourd’hui et de sortir des limbes de l’oubli.

Retour à l’onirisme avec la seconde séance de la thématique Rêves en ricochet. Pour celle-ci nous n’avons pas seulement droit à un film mais bien trois. Trois films qui, en plus d’être en noir et blanc, ont pour point commun d’être muets et de posséder une narration labyrinthique. Hommage d’abord avec deux films d’une pionnière du cinéma d’avant-garde américain des années 40 : Maya Deren. Inspirée par le cinéaste français Jean Cocteau, Maya Deren insuffle son art de psychanalyse mâtinée de surréalisme (bien qu’elle semble refuser ce terme). À noter que c’est la seconde fois que les Hallus mettent à l’honneur la réalisatrice, après avoir diffusé l’année dernière Divine Horsemen : The Living Gods of Haiti, dans le cadre de la thématique Vaudou : Walking With The Zombies. Premier film à être projeté, Meshes of the Afternoon a été réalisé en collaboration avec Alexander Hammid. Le film est raconté du point de vue de son personnage principale, interprétée par Maya Deren elle-même et joue constamment sur la confusion entre rêve et réalité. Une démarche que l’on retrouve également dans les deux autres films de cette séance. Les Hallus nous avaient prévenus que tous les films de cette thématique se répondaient entre eux et nous avons pu le constater de nos propres yeux. A grand renfort de symbolisme utilisé au travers d’objets (une fleur, un téléphone, un tourne-disque, une clé ou encore un couteau) Meshes of the Afternoon évoque la sexualité et plus précisément la perte de la virginité. Mais c’est sur son montage que le film est le plus extraordinaire car il possède en son sein plusieurs techniques : cut, montage court ou alterné, raccord regard ou mouvemente et même des faux raccords volontaires dans un but narratif.
At land, lui aussi est interprété par Maya Deren. On la découvre échouée sur une plage où elle prend part à une étrange aventure qui défie une fois encore les lois spatio-temporelles. Là encore les objets un sens narratif et symbolique. Ici l’objet en question est un pion d’échec. Un pion que cherche à saisir le personnage de Maya Deren, ce dernier la symbolisant elle-même et dont la signification peut vouloir dire qu’elle cherche sa propre place dans la société, en tant que femme dans un monde patriarcal.
Dernier film de cette séance, Dementia de John Parker met également une jeune femme au centre de son intrigue. Cette dernière vient à peine de se réveiller d’un cauchemar dont elle reste encore traumatisée. Afin de sortir de cet état léthargique, elle quitte sa chambre d’hôtel pour se promener dans la rue. Dès ce moment un autre cauchemar commence. Ou alors, est-ce le même qui ne fait que continuer ? Nous ne répondrons pas à cette question afin de vous présenter en cas d’une tentative de visionnage de votre part. La mésaventure du personnage dans les rues et autres ruelles de Venice (quartier mal famé de Los Angeles) peut commencer et où elle va rencontrer une ribambelle de personnages secondaires aux allures patibulaires, dont un mystérieux tueur qui semble roder dans les parages. Film noir aux allures de cinéma expressionnisme allemand, on est à la croisée des chemins entre M le Maudit et Le Cabinet du Docteur Caligari, Dementia peut fasciner comme rebuter. Un avis clivant qui était d’ailleurs judicieusement mis en garde par Preston Sturges, au travers d’un carton en début de métrage. Pour notre part, sans être totalement conquis, l’expérience fut au rendez-vous. Notamment au travers de la probable séquence la plus inquiétante, où la jeune femme est dans un cimetière accompagnée d’un homme cagoulé et muni d’une lanterne. Une scène qui au-delà de sa dimension étrange dévoile une importante clé de compréhension de l’intrigue, tout comme le background de son personnage principal.

Deuxième séance de la journée et deuxième film des Privés de sortir avec le meilleur film de Christopher Smith : Triangle. On préfère prévenir tout de suite, si vous n’avez pas vu le film nous vous conseillons de passer votre chemin ! Car il nous est impossible de parler de Triangle sans en évoquer son concept qui fait le cœur du récit. Foncez donc voir le film, il le mérite amplement. Pour les autres, c’est parti… N’y allons pas par quatre chemins, Triangle est un film de boucle temporel. Il est même plus que cela, il est une triple boucle temporelle qui se répète encore et encore. D’où le titre de son film, qui ne se résume pas simplement au nom du voilier avec lequel nos six personnages prennent la mer à la rencontre de leur propre tribulation. Ce qui fait de Triangle le chef-d’œuvre de son auteur, c’est la maîtrise parfaite de son écriture qui ne souffre d’aucune incohérence. Tout se tient ! A tel point qu’on se demande encore combien de migraines il a du chopper pour écrire et résoudre son propre casse-tête sans laisser une seule et moindre faille. Rien que pour cela, on lui tire notre chapeau ! Au-delà de son concept, Christopher Smith emballe son récit fantastique et dramatique avec un véritable savoir-faire dans sa réalisation en proposant un radical et énorme tour de force. Car plutôt que de répéter inlassablement les mêmes plans jusqu’à l’épuisement ou la lassitude, le cinéaste multiplie les points de vue autant de fois qu’il y a de boucle temporelle ne laissant aucune issue possible à l’impeccable Melissa George, dans le rôle d’une Jess à qui, il ne laisse aucune porte de sortie.
Dernier film de cette troisième journée et nouvelle thématique : Le Mysticisme par la face Est. Profitant du renouveau de la folk horror ces dernières années, l’occasion était idéale pour le festival de revisiter cette facette du cinéma de genre. C’est maintenant chose faite ! Comme son l’indique, afin de nous dépayser totalement, la programmation a choisi de mettre l’accent sur des cultures du continent asiatique au travers du shintoïsme, du bouddhisme, de l’islam et de l’orthodoxie. Pour ouvrir ce bal de l’horreur, c’est à Hong-Kong que nous avons rendez-vous. Produit par le légendaire studio Shaw Brothers à qui l’on doit les plus grands classiques du wu xia pian, rejeton du chambara japonais, Seeding of a Ghost de Kuen Yeung nous est présenté comme le film le plus extrême qu’ils ont enfanté. Le pitch est simple mais comme on le sait avec le cinéma made in HK cela est souvent un prétexte à proposer tous les débordements et à l’excentricité possible et inimaginable. On ne va pas le cacher, c’est bien ce caractère jusqu’au boutisme qui fait qu’on adore ce cinéma. On ne va pas non plus y passer par quatre chemins, avec Seeding of a Ghost on a bien été servi. Tout commence le jour où un chauffeur de taxi renversé par inadvertance un sorcier shintoïste, le tirant d’un mauvais pas. Bien que le sorcier considère qu’il s’en serait sorti tout seul et comme on dit chez nous, il lui en doit maintenant une. L’occasion va se présenter sous peu, quand la femme du chauffeur va se retrouver tuée après une affreuse rencontre. La vengeance étant un plat qui se mange très épicé, ce sont bien les rites maléfiques du sorcier qui vont être mis à profit. Dès cet instant la surenchère comico-gore va ne faire que monter crescendo, sans interruption, jusqu’à un climax qui se conclut en apothéose. A cheval entre la ghost kung-fu comedy (comment ne pas penser au diptyque L’Exorciste Chinois) et aux célèbres films estampillés category III, Seeding of a Ghost fait la part belle aux effets spéciaux à l’ancienne. Kitch diront certains, mais nous c’est ce qu’on aime !

Jour 4
On reste dans la même thématique pour le premier film de cette quatrième journée de festival avec une escale au pays du soleil levant et The Burning Buddha Man de Ujicha. A la manière du court-métrage qui a fait l’ouverture de cette 14ème édition, le film du réalisateur nippon nous a plus intéressé par son aspect esthétique que son histoire. Fruit de la technique du théâtre de papier (le kamishibaï) et expliqué ludiquement par l’image en introduction, The Burning Buddha Man réussit et est emprisonné (les deux à la fois) par son concept. D’une part car l’originalité de son parti pris étonne en premier lieu avant de nous accaparer exclusivement, mais d’autre part car cela limite à la fois la mise en scène (plan large ou gros plan, tous deux fixes) en un tout complètement chaotique et répétitif. Les personnages sont des pancartes de papiers figés animés (en hors champ via une tige de bois qui sert de fixation) sur le même principe qu’une marionnette et ne permettent pas de mouvement de bouche. Il n’est donc pas toujours aisé de savoir quel personnage est en train de parler. À partir de là, il nous est donc très difficile de rester pleinement attentif à son histoire de voyage mystique et fantasmagorique. Celle d’une jeune fille traumatisée par le meurtre de ses parents lors d’un vol d’une statue de Bouddha et qui se retrouve à prendre part malgré elle a une lutte entre le bien et le mal. Un combat qui va transcender son corps en quelque chose d’autre. Dommage !
Second et dernier documentaire de cette édition, toujours dans le cadre du Cabinet de curiosités, Crumb de Terry Zwigoff s’attarde sur le travail du bédéiste. Fruit d’une dizaine d’années de travail, le film du cinéaste dessine et tente à la fois de décrypter le portrait et la carrière du créateur de Fritz le Chat (entre autres). Cette plongée intimiste dans le quotidien du dessinateur controversé et essaye d’en percer tous les mystères, sans chercher à être consensuel ou complaisant. En même temps difficile de l’être quand on doit traiter pleinement le sujet du pape de la bande dessinée underground américaine. Comme le documentaire l’indique explicitement, la réponse des accusations misogynes et racistes ont probablement pour origine son terreau familial, que l’on pourrait qualifier de glauque, voire sordide. Mais est-ce que comprendre ce n’est pas déjà un peu excuser ? Non, toujours non. Mais cela permet par contre de vérifier et d’affirmer qu’il est bien impossible de séparer l’homme de l’artiste. Les deux sont très clairement indissociables !

La soirée du quatrième jour du festival est rapidement devenue un incontournable du festival est prétexte à imposer sur la durée un double programme. Une doublette au nom explicite, La soirée de la Provoc’ et du Mauvais Goût est un hommage clair et assumé à une certaine nuit débridée du Canal + de la grande époque et qui a marqué toute une génération. Pour ouvrir les hostilités c’est dans la péninsule ibérique que nous avons rendez-vous avec Torrente de Santiago Segura. À noter que le réalisateur est également l’interprète du rôle titre. Il y incarne un policier lâche, alcoolique, machiste et raciste, en plus de maltraiter son propre père, qui décide de redorer son blason (si tant est que ce soit possible) en voulant démanteler un trafic de drogue. Pour ce faire, il est accompagné d’une équipe de nigauds qu’il a lui-même triés sur le volet. Grosse satire qui tache à l’humour corrosif, Torrente tire à balles réelles dans tous les domaines, à tel point qu’aucune bienséance n’est épargnée. Mais si l’on gratte l’énorme couche de gras qui enrobe le film, ce n’est pas tout élan de progressisme qui est visé. Mais peut-être une certaine idée de la société, celle d’une société rétrograde et conservatrice qui est incarnée par ce loser de personnage titre. In fine, on ne rigole pas de ses blagues vaseuses ou autres insultes bas de plafond, mais plutôt du personnage titre lui-même. On tient à signaler que fort de son succès populaire en Espagne, Torrente a déjà bénéficié de quatre suites sur son territoire.
On passe à un cran supérieur avec le sadomasochiste Ichi the Killer de Takashi Miike. Adapté du manga d’Hideo Yamamoto, Takashi Miike propose avec cette pellicule enragée l’un de ses films les plus fous et les plus extrêmes. Le pitch est simple : un chef de gang a disparu et avec lui, une énorme somme d’argent. Ses hommes sont bien décidés à trouver les coupables. Un gang adverse ? Non, pas vraiment. Dès son introduction no limit et en haut en couleur, Ichi the Killer crache la purée au sens littéral comme au sens figuré. Dès cet instant, le film de Takeshi Miike ne redescendra que très rarement dans l’échelle de la provocation et du mauvais goût. Torture à l’eau bouillante, séparations de corps en deux, séances de sadomasochiste et autres sévices corporels sont au programme de ce récit haut en couleur vermillon. Mais la grande surprise de ce Ichi the Killer réside dans son personnage titre qui n’apparaît qu’épisodiquement et se fait carrément voler la vedette par le plus barjo de cette innombrable galerie de détraqué : Kakihara, interprété par un Tadanobu Asano peroxydé et complètement possédé par son personnage. Bref, si la douleur et le déluge d’hémoglobine ne vous fait pas peur, on ne peut que vous conseiller de découvrir Ichi the Killer.

Jour 5
La journée du samedi a pour habitude de commencer par la fameuse compétition de courts-métrages. Cette quatorzième édition ne déroge pas à cette règle qui devient un incontournable du festival. L’occasion d’annoncer que le petit frère des Hallucinations Collectives : Mutoscope, dédié exclusivement aux formats courts va inaugurer sa première édition dès l’automne prochain (du 12 au 14 novembre pour être précis). Ceci étant dit, retour à nos Hallus. Commençons d’abord par notre désenchantement de voir un ratio trop élevé à notre goût de films d’animations (2/3) par rapport aux œuvres en prises de vues réelles (1/3). On ne veut bien évidemment pas dire par là qu’on n’aime pas ce procédé hautement créatif et qui permet souvent une plus grande liberté en terme graphique et de mise en scène, mais on préfère une certaine forme d’égalité entre ces deux formes artistiques. C’est donc très logiquement que la séance s’est ouverte sur un film d’animation. Réalisé par le coréen Kim Tae-woo, Homo Erectatoos narre la reconstruction d’un grand brûlé au travers de sa passion du tatouage. L’occasion de voir des points d’encres qui prennent vie et dont l’étrangeté symbolique s’éclaire sous nous yeux. Seul bémol, un générique de fin illustré par des photos qui en plus de faire doublons avec l’histoire qui nous a été contée, martel avec bien trop d’insistance son impact émotionnel. Direction le Québec avec La Coupure de Chloé Cinq-Mars. Film sur la maternité qui nous raconte les premiers instants de la maternité en évoquant succinctement les peurs, les doutes et l’attachement pour « son » nouveau-né. Problème, le twist est prévisible et la durée de 17 minutes devient très rapidement un brin longuet. Retour à l’animation, mais on reste cette fois sur le même confinement avec le film étasunien Thin Blue Variety Show de Gretta Wilson. Malgré sa courte durée (3 minutes), la cinéaste arrive à proposer une œuvre acidulée et critique sur la police et sa représentation dans la pop culture américaine. Pas mal ! On reste chez l’oncle Sam avec un autre film d’animation, Ghost Dogs de Joe Cappa. Une version canine et colorée à la sauce Shining où un pauvre toutou se retrouve épié puis confronté à ses alter ego fantomatiques. Étrange et dérangeant. Place maintenant à notre court-métrage préféré de cette compétition Dar-Dar de Paul Urkijo. Film live fantastique qui met en scène le monstre éponyme du mythe basque. Une créature qui se nourrit exclusivement de doigts d’enfants. En plus de faire appel à un folklore rarissime sur les écrans, Dar-Dar bénéficie d’un sublime noir et blanc contrasté qui amplifie considérablement l’ambiance gothique de ce conte cruel et horrifique qui évoque tout un pan du cinéma expressionniste. Superbe ! Retour à l’animation avec Helfer d’Anna Szöllösi qui nous plonge dans sa propre psyché face à un praticien aux méthodes peu conventionnelles. La cinéaste partage ses traumas et cauchemars au travers d’une réalisation minimaliste et bichromatique. Un travail exutoire pour elle et une séance dérangeante à la symbolique évocatrice pour nous. Direction la Chine avec le dernier film en prise de vues réelles cette sélection. Bubble de Haonan Wang mélange folklore et modernité dans ce Tetsuo végétal allégorique sur l’amour et le sens du sacrifice. Brillant ! Futur vainqueur de cette compétition, Little Miss Fate de Joder von Rotz raconte ce qui se fasse quand une personne quelconque prend la place de Dieu, le temps d’un instant. Il en résulte une mise en pratique de la théorie du chaos et dont la réaction en chaîne ne peut qu’entraîner que la fin du monde dont le sexe et l’amour en sont les principaux moteurs. Quand Freud se prend pour Dieu, ça devient vite un joyeux bordel aux accents psychédélique ! On termine cette séance avec le seul film français de cette sélection, Le Taxi de Sun City de Thomas Trichet. Une relecture prétentieuse de Taxi Driver où l’auteur tente de s’interroger sur la nature de la violence et de ses origines. Malgré quelques images qui se veulent dérangeantes, le jeune cinéaste en herbe se vautre littéralement dans de la psychologie de comptoir verbeuse avant de nous achever par un monologue totalement abscons et dont l’accélération désuète ne provoque chez nous qu’un ennui profond. A oublier vite, très vite !
Retour aux longs-métrages et à la thématique Privés de sortie avec l’une des séances événements du festival, Cold Fish de Sion Sono. Second opus de sa trilogie de la haine, amorcé par Love Exposure et conclut par Guilty of Romance, Cold Fish est probablement l’œuvre la plus nihiliste de son auteur. Au travers de ce film, le cinéaste japonais part d’un fait divers sordide pour dézinguer, comme à son habitude, la société japonaise au travers d’une famille recomposée qui va se désagréger au fur et à mesure de l’histoire. Une longue descente aux enfers, sans retour possible, et dont le père de famille va être la figure centrale de cette déshumanisation progressive. L’élément déclencheur de ce long voyage vers l’horreur étant la rencontre d’un confrère vendeur, lui aussi, de poissons tropicaux. Mais derrière la bonhomie rigolarde de ce vieil homme se cache un manipulateur à la fâcheuse tendance meurtrière. Pendant deux heures trente, on assiste à la longue déliquescence de ce « bon » père de famille dont les valeurs, l’autorité et la masculinité vont être sérieusement mises à mal, brisant chacun de ces repères et tout sens moral. Sion Sono propose avec Cold Fish, une œuvre extrêmement satirique dont les accents burlesques désamorcent ponctuellement l’omniprésence de son atmosphère gore et poisseuse. Des bouffés d’air frais qui limitent les aspects dépressifs en transforment volontairement ce drame social aux allures de thriller en une comédie noire ultra violente qui remue généreusement les tripes de ce classique instantané.
Retrouver la critique complète de Cold Fish par Nicolas Gilli.

Lié au documentaire sur Burroughs, traité plus haut, c’est en Allemagne que nous avons rendez-vous avec Decoder de Muscha. Inspiré de La Révolution électronique de Burroughs, le film se nourrit de la technique littéraire du cut-up créée par l’auteur en l’adaptant à l’univers sonore. Présenté par son producteur et scénariste Klaus Maeck, Decoder dessine le portrait idéal d’une jeunesse allemande désabusée dans un pays hanté par le totalitarisme, incarné ici par une société de contrôle capitaliste. Dans ce futur grisâtre et autoritaire, il est difficile pour son personnage principal F.M. de ne pas succomber à la morosité ambiante qui pèse sur sa génération. La musique industrielle devient rapidement sa seule échappatoire et où réside un potentiel espoir. La révolte est sous-jacente et la contre-culture en est l’étincelle. Fidèle à l’esthétique techno-industrielle (qu’on pourrait même qualifier de cyber-punk) qu’il nous présente, Decoder se paye le luxe de mettre en lumière certaines figures importantes de ce courant artistique et autres célébrités des années 80. On y retrouve dans les rôles principaux FM Einheit du groupe Einstürzende Neubauten et Christiane Felscherinow (immortalisé par le livre biographique Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée) et à la bande originale Soft Cell, The The, Psychic TV… A noter également la présence, le temps d’une séquence improvisée de William S. Burroughs lui-même. Véritable capsule temporelle filmique, Decoder est un film, aux accents Orwellien, qui mérite d’être redécouvert aujourd’hui. D’une part pour son témoignage d’une époque mais également pour son écho dystopique qui revêt un caractère cyclique que l’on semble revivre aujourd’hui.
Autre film injustement recalé pour une sortie salle, Dredd de Pete Travis se pose pourtant comme un mastodonte du genre survival action. Seconde adaptation du comic book créé par John Wagner et Carlos Ezquerra, le film scénarisé par Alex Garland a la très facile tâche de laver l’affront de la précédente tentative désincarné par un Sylvester Stallone en mode nanar. Le pitch, très simple mais efficace, a le mérite de ne pas tergiverser 107 ans et nous plonge rapidement dans son bain (de sang). Un corps écorché vient de s’écraser en contrebas d’une tour de 200 étages. Le juge Dredd et la recrue test Anderson sont dépêchés sur place pour en élucider le crime. Problème, il se retrouve rapidement pris au piège dans le bâtiment et à la merci d’un gang, mené d’une main de fer par la redoutable Ma-Ma. Arrivé peu de temps après le sensationnel The Raid de Gareth Evans, il est difficile de ne pas comparer les deux films tant leur scénario et concept sont similaires. Pourtant, les deux films se démarquent totalement par leur propre style l’un est terne et épuré quand l’autre se démarque de par son esthétisme. Selon les bruits de couloir qui donne la paternité de Dredd à Alex Garland, c’est bien la seconde « option » qui nous intéresse ici. Au vu du style graphique apporté au film, il est évident de considérer Alex Garland comme le seul vrai cinéaste aux manettes de cette adaptation. Il suffit d’ailleurs d’admirer les sublimes slow-motion qui mettent en images les effets de la drogue sobrement et assez logiquement appelée slo-mo pour en être pleinement convaincu. Il est difficile de ne pas y voir la même direction artistique que celle qui nous est présentée dans Annihilation et son phénomène mystérieux de la zone X. Sale gosse qui s’inscrit comme le parfait revival du cinéma d’action des années 80, Dredd doit autant à Alex Garland qu’à Karl Urban qui incarne admirablement le personnage titre. Logiquement monolithique et droit dans ses bottes, il se consacre exclusivement à donner vie à l’archétype de son personnage, à savoir appliquer et représenter la justice instantanée. L’acteur iconise son personnage à chacune de ses apparitions, que ce soit physiquement ou verbalement. Les autres personnages principaux ne sont bien évidemment pas en reste. La jeune aspirante Cassandre Anderson (Olivia Thilby) au travers de son background et de ses capacités psychiques s’impose comme la partenaire idéale du juge Dredd. Le duo se révèle complémentaire et devient très nettement indissociable. Face à eux, il leur fallait un antagoniste tout aussi charismatique. Fort heureusement c’est le cas. Ma-Ma, diminutif de Madeline Madrigal, est interprétée avec brio par une Lena Headey impériale dans son personnage meurtri et façonné par une vie et une ville ultra-violente, qui pour survivre à du se transformer à son tour en une bête de guerre. Dredd s’impose comme la seule et unique adaptation du comic book à voir et revoir. Cette séance des Hallus a définitivement lavé tous les affronts en nous permettant de redécouvrir Dredd dans les meilleures conditions, sur un écran de cinéma !
Le dernier film de cette journée, Body Trash de Philip Brophy, à un sérieux air de déjà vu. Rien que le titre nous met la puce à l’oreille que le synopsis ne fait que confirmer. Une nouvelle vitamine créée par un laboratoire pharmaceutique cause de sérieux dégâts corporels au sein d’une bourgade australienne. Après absorptions du fameux produit, les victimes se mettent à fondre ou à se décomposer. Remplacé la vitamine par une certaine bouteille d’alcool nommé viper et vous obtenez l’hilarant et dégueulasse Street Trash de Jim Muro. Bref, tout l’inverse de ce Body Trash. Le principal défaut vient de l’intrigue qui ne va jamais à l’essentiel et se perd dans un marasme ennuyeux et hasardeux peuplé de personnages complètement déglingués aux allures de rednecks ou autres WASP made in australia. On ne sauve, bien évidemment, que les séquences gores qui bénéficient d’effets prosthétiques plutôt réussis qui évoquent les classiques du body horror. Body Trash n’est qu’un sous Street Trash qui, malgré quelques scènes comico-horrifiques, est bien trop invraisemblable pour susciter l’adhésion. Circulez, il n’y rien à voir !

Jour 6
Cette avant-dernière journée s’annonçait sur le papier comme l’une des journées les plus alléchantes du festival. Malheureusement, ce ne fut pas vraiment le cas pour l’auteur de ces lignes. Il aura fallu attendre la dernière séance du jour pour découvrir l’un des meilleurs films de cette cuvée 2021. Commençons par le premier film de ce sixième jour et le plus prestigieux sur le papier avec Sur le globe d’argent d’Andrzej Zulawski. Œuvre à l’ampleur imposante, le film du maître polonais comme on tend souvent à le dire est plus intéressant dans son histoire de production que dans ce qu’il propose concrètement. Adapté du roman du même nom écrit par son grand-oncle Jerzy Zulawski, l’objet filmique demeure inachevé. La faute aux autorités polonaises qui censurent et arrêtent le film en plein tournage, via le ministère de la culture, alors que 80% du projet a été filmé. Le cinéaste se retrouve pour la seconde fois exilé de son pays et « terminera » son œuvre somme et maudite, une fois de retour aux pays, à savoir une dizaine d’années plus tard. Malheureusement, les décors et autres costumes ont été détruits à la chaux par le régime de l’époque. Les trous sont donc comblés par le cinéaste via des scènes de vie polonaise tournés à la fin des années 80, accompagnées de sa propre voix qui explique ce qui est supposé se passer à l’écran. Parabole politico-religieuse, le film raconte l’histoire d’astronautes ayant fuit la Terre et atterrissent sur la face cachée de la Lune afin de fonder une nouvelle civilisation. Mais au fur et à mesure que les générations passent, la société dégénère dans des situations et autres cultes incontrôlables, recréant les mêmes problématiques encore et encore. Bien qu’esthétiquement impressionnant, la direction artistique est irréprochable, et au-delà des problèmes précités, la prose verbeuse et les incarnations hystériques rendent l’ensemble philosophico-mystique très indigeste. La longue durée, plus de deux heures trente, finit par nous achever. Il demeure de Sur le globe d’argent une profonde désillusion, dommage.
Après cette expérience, il fallait bien un gros défouloir pour exorciser notre déception, c’est à Hyper Tension 2 de relever cette tache. Suite directe du premier opus, toujours réalisé par le tandem Mark Neveldine et Brian Taylor, cette séquelle s’avère encore plus survoltée que son prédécesseur en matière d’absurde et d’expérimentation visuelle. Laissé pour mort à la fin du premier film, Chev Chelios (Jason Statham) doit cette fois-ci retrouver son cœur qui lui a été arraché et remplacé par un organe artificiel qu’il doit recharger régulièrement avec tout ce qui peut produire de l’électricité. Comme pour ces premières mésaventures, ce principe permet aux « cinéastes » de repousser constamment les limites du mauvais goût et de l’improbable. Afin de donner vie à leurs idées les plus folles, le tandem s’équipe de tous types de matériel capable de filmer dans les situations les plus incongrues. C’est pourquoi la qualité vidéo peut varier d’un plan à l’autre, pour la « beauté » du geste de l’expérimentation. Hyper Tension 2 est certes plus drôle que le précédent mais sa beaufitude encore plus omniprésente n’en fait pas un bon film subversif pour autant. Pour une fois dans cette sélection des Privés de sortie, on comprend son absence de sortie sur grand écran.

Fondu au noir de Vernon Zimmerman est le dernier film du Cabinet de curiosités. En écho avec Popcorn de Mark Herrier, évoqué un peu plus tôt, ces deux films sont combinés au sein d’une mini-thématique appelée Cinépholie. Comme pour son comparse, le film traite de façon méta du cinéma dans le cinéma. Ici nous avons affaire à Eric Binford un passionné absolu de cinéma dont la personnalité va se confondre avec d’autres personnages issus de ses films favoris. L’effet déclencheur de ses personnalités multiples aura pour dénominateur une cascade d’événements jouant en sa défaveur. Malheureusement comme beaucoup de films qui parlent de cinéma, ce sont souvent les références qu’ils évoquent qui maintiennent uniquement notre attention. On plonge donc tour à tour, dans du film noir, du western et bien évidemment dans le cinéma d’horreur. L’occasion pour le film de Zimmerman d’offrir l’un des meilleurs clins d’œil au célèbre Psychose d’Alfred Hitchcock, le temps d’une séquence de détournement particulièrement réussi. Mais au-delà des références assumées, il nous est très difficile d’accrocher au récit d’un personnage profondément antipathique et d’éprouver une quelconque pitié (voir sympathie) face à ce tout qu’il lui arrive. La prestation de Dennis Christopher en roue libre, dans le rôle de Eric Binford, n’aidant absolument pas. On ne retiendra que la performance de Linda Kerridge dans le rôle d’une copie conforme de Marilyn Monroe absolument bluffante. On en espérait mieux, tant pis…
On conclut encore une fois une thématique avec Mind Game de Masaaki Yuasa, dans le cadre des Privés de sortie. L’histoire de base et on ne peut plus simple et propice à l’excentricité créative : Nishi n’a même pas le temps de déclarer sa flamme à son amour de jeunesse qu’il meurt… d’une balle dans le cul. Son âme s’égare dans les limbes puis revient dans son corps par une porte dérobée, pour le meilleur mais aussi beaucoup pour le pire… Le principal reproche de ce film d’animation sous acide est son esthétique disgracieuse qui fait figure de repoussoir. Le style graphique et la direction artistique sont très agressifs, malgré son adéquation avec le récit qui nous est proposé, et empêche d’emblée notre implication. Entrer dans cet univers très hermétique demande un effort constant et se transforme rapidement en une expérience à la fois épuisante et frustrante. Heureusement, le message optimiste d’encouragement à affronter les épreuves du quotidien et sa superbe ode à la vie, qui se distingue en seconde partie, permet d’échapper au naufrage. Mind Game ? Mind fuck plutôt !
Retour à la thématique principale du festival, Le mysticisme par la face est, avec La Puissance du feu de Jamil Dehlavi. Un jeune musicien anglais s’aventure au cœur de la Turquie mystique à la recherche du Maître Flûtiste, dont on raconte qu’il a le pouvoir de détruire le monde par la musique. Réalisé par un cinéaste pakistanais expatrié en Angleterre et tourné entre Londres et l’Anatolie, c’est la traditionnelle lutte entre le bien et le mal qui est au cœur du récit qui convoque l’imaginaire oriental et islamique. Dès les premières minutes de ce film extra-sensoriel et à la cinématographie contemplative, l’ambiance onirique et aux symboliques ésotériques nous convie à laisser s’échapper notre esprit de toute emprise cartésienne et matérielle. Les décors naturels (sublime Cappadoce) et les ambiances sonore et musicale sont les principaux acteurs de notre totale évasion où nous faisons face, aux côtés de ses personnages, à une créature surnaturelle bien trop absente au cinéma : les djinns. Ne tergiversons pas plus longtemps et affirmons dès à présent que la culture islamique tient ici probablement son meilleur représentant de la folk horror. Les Hallus le présentait comme un authentique coup de cœur et ils ont eu bien raison.

Jour 7
Le dernier jour du festival à sonné et avec lui la fin des deux thématiques centrales avant le film de clôture. C’est avec que Le Carnaval des âmes d’Harold « Herk » Harvey que nous commençons cette ultime journée, dans le cadre des Rêves en ricochets. Cet unique long-métrage de son auteur est une expérience fantasmagorique hors normes. Une œuvre fascinante qui doit beaucoup à son ambiance hypnotique et lancinante et à la fuite de son héroïne dans ce long cauchemar éveillé. Un mauvais rêve pour elle, qui trouve son origine dans un accident de voiture dont elle est la seule rescapée. Suite à cela, elle se retrouve poursuivie par un inquiétant homme aux visages blafards qui la traque sans relâche jusqu’aux décors baroques d’un ancien parc d’attractions abandonné à l’issue aussi tragique qu’énigmatique. Rêverie paranoïaque ou véritable menace sortie de l’au-delà ? A vous de choisir. En tout cas, nous on adore !

Direction la Russie soviétique avec Vij de Konstantin Ershov et Georgiy Kropachyov qui achève ce voyage dans Le mysticisme par la face est. Considéré comme un grand classique de la folk horror, Vij est une adaptation de l’auteur Nikolai Gogol. Tiré d’une vieille légende ukrainienne, on y suit les tribulations d’un moine qui est sommé d’aller veiller pendant trois jours et trois nuits le corps d’une jeune femme récemment décédé, dans un village reculé. Malgré son introduction poussive sur le rite funéraire orthodoxe, Vij est une curiosité folklorique dont l’humour fantaisiste prêt à sourire ou à soupir, selon les humeurs. Pour nous c’est la première option. Le meilleur étant sa conclusion peuplée d’un généreux bestiaire fantastique. Comme pour le film précédent, une question subsiste à la fin du visionnage. Est-ce que les mésaventures de ce pauvre moine sont le fruit d’une longue gueule de bois ou bien une vraie rencontre fantastique entre sorcellerie et vampirisme ? Peut-être bien un peu des deux.
L’heure de la clôture du festival à sonner. On ne pouvait rêver meilleur film pour terminer ce festival en beauté qu’avec le désormais culte Shin Godzilla d’Hideaki Anno et Shinji Higuchi, précédé de la diffusion du court-métrage ayant remporté la compétition de courts-métrages (cité plus haut). Relecture modernisée parfaite du chef-d’œuvre d’Ishiro Honda, Shin Godzilla est une métaphore de l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi ainsi qu’au tremblement de terre et au tsunami de Tōhoku qui s’attarde longuement sur l’inefficacité et la lenteur de la bureaucratie japonaise à gérer l’apparition du célèbre kaiju. Pour plus d’informations, vous pouvez retrouver notre critique du film écrit en amont du festival.

Nous tenons à remercier toute l’équipe du festival pour nous avoir permis d’assister à cette nouvelle édition et d’être toujours en force de proposer une programmation hallucinante, décalée, parfois dérangeante, mais souvent impressionnante qui fait la part belle à nous faire (re)découvrir cette incroyable facette de l’autre cinéma. On se donne rendez-vous l’année prochaine pour la 15ème édition.