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Elyas : entretien avec Florent-Emilio Siri

Elyas est le nouveau film de Florent-Emilio Siri. Un excellent thriller d’action qui arrive après de trop longues années d’absence. A l’occasion de la sortie d’Elyas ce mercredi 3 juillet, nous avons eu la chance de pouvoir nous assoir quelques minutes avec son réalisateur et profiter de sa générosité et sa gentillesse, pour évoquer son métier et son dernier bébé avec une passion communicative.

Votre série Marseille c’était en 2016 et depuis on n’entendait plus parler de vous alors que ça a été un succès. Pourquoi ?

La série a été décriée en France car il y avait une sorte de bashing. Si on se remet dans le contexte, Netflix c’était le méchant américain qui arrivait en France contre le gentil Canal+. Mais il me semble que ça a été la 3ème série étrangère la plus vue au monde à l’époque et donc un vrai succès. Quand j’ai fait Cloclo, je sors d’un succès et il y a un film que je veux faire depuis 20 ans sur l’histoire de la bande à Bonnot. Donc je commence à monter le projet, j’ai un distributeur qui commence à financer les repérages, j’ai Matthias Schoenaerts pour le rôle de Bonnot, etc. Et tout s’arrête car le distributeur a des soucis avec d’autres films qui n’ont pas fonctionné et décide de se séparer d’un certain nombre de projets dont le mien. A ce moment je vais à Cannes à la recherche d’un nouveau distributeur mais je le trouve pas. Par contre on me propose deux projets : une comédie et Marseille. J’ai besoin de travailler et pour Marseille, j’ai tout de suite l’idée de rapprocher deux acteurs qui n’ont jamais travaillé ensemble, Gérard Depardieu et Benoît Magimel. J’avais trop envie de les voir jouer ensemble. La comédie, c’est presque un péché car je me dis que j’ai déjà fait un film social, car personne ne connaît mon premier film mais c’est un drame social sur des mineurs de charbon, un thriller avec Otage, un film d’action avec Nid de guêpes, un film de guerre avec L’ennemi intime, un biopic avec Cloclo, donc pourquoi pas une comédie. Mais finalement, c’était des commandes, et je ne suis pas fait pour les commandes, je n’y ai pas vraiment trouvé de plaisir. Donc je me suis dis que pour mon prochain film il fallait que je prenne du plaisir et qu’il soit 100% Florent-Emilio Siri. C’est pour ça que vous m’avez attendu longtemps. Après il faut aussi que les planètes s’alignent car la France est un petit marché. En ce moment c’est du petit film d’auteur ou de la comédie, et au milieu… ça recommence mais moins qu’à une certaine époque. Quand j’ai fait Nid de guêpes, il y avait Les Rivières pourpres, Taxi, plein de films un peu « forts » au milieu et qui permettaient de ne pas rester coincés entre les deux genres. Donc là les planètes se sont alignées, un producteur est venu me voir et m’a proposé de faire un film d’action. Honnêtement je lui ai dit que je ne savais pas si j’avais encore des choses à raconter car j’en avais déjà fait et il m’a parlé de Roschdy. Et il me faut des déclencheurs comme ça. Cela faisait longtemps que je voulais travailler pour lui donc je lui ai demandé de me laisser un peu de temps, et une dizaine de jours plus tard j’avais trouvé une histoire, basée sur des faits réels. Mais j’ai vraiment pensé le film autour de Roschdy, et le producteur m’a laissé carte blanche. J’ai travaillé avec un jeune scénariste qui avait écrit des épisodes de Validé, et j’ai adoré. Je suis très attaché au cinéma des années 70 car dans ce cinéma ce sont les personnages qui sont au centre des histoires. Quand il y a de l’action ce n’est pas un prétexte, tout est organique, l’action fonctionne avec les personnages et n’est pas gratuite. Donc on a revu Les 3 jours du Condor, À cause d’un assassinat, Taxi Driver… un certain nombre de films que j’aime beaucoup car je voulais tirer Elyas vers le film complotiste, sur la paranoïa. Finalement on a écrit le scénario assez vite, mais après ça a été plus difficile à monter. Pour des histoires de budget mais aussi à cause d’un petit phénomène lié au marché du cinéma français, qui fait que les films d’action sont aujourd’hui sur les plateformes. Alors que le pari était de le faire pour le cinéma, et de le « penser » cinéma, pour le grand écran. De mon point de vue ce n’est pas la même manière de travailler. Le cinéma est plus immersif, on travaille d’une autre façon sur le cadre, sur le son, sur l’émotion, etc. On est plus surs de ce qu’on fait au cinéma, on est dans une maitrise plus importante que sur le petit écran où c’est plus compliqué car il y a plus de distance. Tout le monde nous a dit que ce genre de film c’était pour les plateformes, mais on a eu la chance de rencontrer des gens qui ont cru en nous, et aujourd’hui même notre distributeur qui était un brin dubitatif est en train de réaliser suite aux différentes projections qu’il y a visiblement de la place pour du cinéma d’action au cinéma. Mais tu sais, si ce film ne marche pas, car le cinéma français est un microcosme fragile, il ne s’en fera pas d’autres.

Globalement le cinéma est fragile, quand on voit ce qui est en train de se passer avec Furiosa, et qui met un coup d’arrêt au prochain Mad Max…

Là on parle de très très gros budgets mais c’est l’histoire du cinéma. Un film en entraîne un autre. Si ça marche ça va débloquer d’autres films et c’est super. Vraiment ça serait génial car les spectateurs ont envie de ça. Après il y a un autre facteur qui entre en jeu. C’est qu’on ne croit pas forcément au cinéma d’action français. Mais on voit que par exemple sur Netflix ça fonctionne. Alors pourquoi ça ne fonctionnerait pas au cinéma ? Je suis sur que ces réalisateurs qui font des films pour les plateformes rêveraient de les faire pour le cinéma. C’est tout l’enjeu du film, et c’est pas simple. Mais on a vraiment tout fait pour.

Dans ces films d’action pour les plateformes, et plus globalement dans le cinéma d’action, on a l’impression que l’idée est d’en mettre plein la vue avec des grosses cascades et des plans-séquences très jolis mais dont il ne reste rien. Votre approche est très différente avec une action qui va crescendo et vous misez énormément sur le découpage…

Ecoute, je ne veux pas faire vieux con mais ce qu’on oublie avec le plan-séquence, c’est que ce n’est pas le plan-séquence qui compte, c’est le cut derrière. C’est quoi le plan après le plan-séquence ? Dans tous les plus grands plans-séquences de l’histoire du cinéma, c’est ça qui compte. Aujourd’hui on confond, on pense que le plan-séquence c’est de la virtuosité. Il est réduit à de la virtuosité, et qui est beaucoup plus facile aujourd’hui du fait des effets spéciaux. Il y a même des films entièrement en plan-séquence incroyables. Le seul qui a fait un film en plan-séquence qui s’est planté c’est Hitchcock quand il a fait La Corde. Le cinéma c’est l’art de l’ellipse et de la discontinuité, c’est l’art du découpage. Après, ce sont des effets de mode. Par exemple, dans 1917, ça fonctionne vraiment super bien au début grâce au plan-séquence car on est vraiment avec ces personnages, on vit avec eux. Et à un moment au milieu du film, il y a le camarade qui meurt, donc il doit y avoir de l’émotion. Mais il ne peut pas faire un champ-contrechamp sur le type qui est en train d’agoniser et son pote, donc il est obligé de passer de l’un à l’autre en faisant des panoramiques. Et ça annihile toute l’émotion. On a un regard qu’on perd, et qu’on ne retrouve pas chez l’autre. L’art du découpage c’est justement quand on a des scènes d’émotion ou autre, de trouver la justesse dans le découpage pour faire ressentir quelque chose au spectateur de manière invisible. Pas de lui montrer qu’on est en train de filmer, sinon le spectateur va forcément prendre de la distance. Et je trouve que les effets spéciaux font aussi beaucoup ça aujourd’hui. On est plus spectateur extérieur de ce qu’on voit voit que spectateur intérieur de ce qu’on devrait ressentir. On le voit avec les films de super-héros. On voit toute cette action qui nous emballe, le rythme, les images, le son… mais pour moi ce n’est plus du cinéma. Ce sont éventuellement des exercices de style où tout est basé sur le rythme et sur le spectaculaire. Alors oui il y a des trucs incroyables, mais par exemple un film comme Top Gun Maverick qui a marché, c’est parce qu’ils ont montré des vrais mecs qui pilotaient. A un moment le spectateur ressent les vraies choses, et il sait que ce qui est faux est faux. Il accepte que ça soit faux, et donc l’émotion ne peut pas vraiment exister. Par contre, si tout à coup il est plongé dans quelque chose avec l’impression de le vivre, il va ressentir quelque chose. D’où le cinéma et l’immersion du grand écran. Il faut réussir à créer ce lien et lui faire croire que ce qu’il se passe est vrai, et le plonger dans cet écran où il va vivre un truc. Mes plus grandes émotions au cinéma, c’est quand j’étais étudiant en cinéma et que je suis arrivé à Paris, tout le monde me disait d’aller voir Johnny Got His Gun. Donc j’y suis allé et j’en suis sorti traumatisé, j’étais plus le même mec après. Il m’a tellement bouleversé, je suis passé par tellement d’émotions, que j’ai mis des jours à redescendre. Et ce que j’essaie humblement de faire, c’est de faire vivre au spectateur une expérience immersive, où on lui raconte une histoire et où quand il en sort il garde un moment du film avec lui. C’est ça pour moi la différence entre être extérieur à ce qu’il se passe ou y être plongé. Et c’est pas la même chose sur un téléphone, un iPad ou une TV que d’entrer dans une salle de cinéma, avec le noir qui se fait, les premiers sons… et on sait qu’on va vivre quelque chose.

Votre écriture semble rejoindre cette façon de penser la mise en scène et le découpage. Avec Elyas, bien souvent on ne sait plus qui est qui, qui est bon, qui est méchant, on a toutes les clés mais pas vraiment…

Pour tous mes films, je travaille sur le point de vue, sur l’identification ou la non-identification du spectateur. Avec Elyas j’essaye de construire un personnage complexe au début, et de faire en sorte que sa maladie mentale serve mon récit. Là on est sur le mode du thriller « à la Hitchcock », c’est à dire qu’à un moment on ne va pas plus savoir ce qu’il peut se passer dans le château. Car on a distribué les cartes au spectateur en lui disant de faire attention car ce mec a un vrai problème, donc que va-t’il faire et que va-t’il se passer ? Surtout qu’on comprend à un moment que ce qu’il voit n’est peut-être pas la réalité. Du coup le spectateur devient proactif et doit se demander si ce qu’il vient de voir s’est vraiment passé ou pas. Et j’adore ça. On rejoint le côté immersif. Tu donnes au spectateur la possibilité de rentrer dans un film et d’être perturbé par ça. Et tu doutes comme lui, qui à un moment ne sait plus s’il a fait ce qu’il semble avoir fait. Quand on parle de genre, le cinéma est « genres ». Même ce qu’on appelle cinéma d’auteur est quelque part un genre, du roman filmé, petit film qui a le CNC, la comédie française c’est du théâtre filmé, donc tout est genre. Ce que j’aime, c’est mélanger les genres. Ici du thriller avec du film d’action. Donc là ça commence comme du film social, dans le foyer, ça devient du thriller à partir du moment où il est dans le château, et après on bascule dans du cinéma d’action. Et presque du cinéma de super-héros à la fin, car il a presque des super-pouvoirs. C’est aussi un clin d’oeil que je fais, car sa paranoïa a l’effet pervers de le rendre inadapté à la société, mais lui donne également une super acuité. Lui voit des choses, des détails, le type qui se tient le bras, le tatouage sur la main… cette maladie mentale lui permet de voir ce que le commun des mortels ne voit pas. Et c’est vrai que ces conditions permettent de voir des choses. Alors quand c’est dans le quotidien c’est pas bon, car souvent tu te trompes, comme j’essaye de l’illustrer à savoir si ce qu’il voit est vrai ou non. Par contre, quand il se retrouve confronté à des circonstances de violence ou extrêmes, cette hyper-acuité le sert. Il comprend bien qu’ils sont suivis par un camping-car à un moment. Après, les scènes d’action sont pensées par rapport à cet univers mental. Par exemple la première scène dans le château, c’est comme s’il se dit tout à coup qu’il a fait une énorme connerie, on est dans sa tête, et des choses se passent autour de lui, il s’en rend compte et sort de sa bulle. C’est le premier moment où on réactive Elyas. Après il y a une scène dont j’ai eu l’idée tout de suite, celle du camping-car. Je voulais retranscrire visuellement l’espace mental d’Elyas. C’est quoi sa prison mentale ? C’est ce camping-car peuplé de fantômes, où la violence qui s’exerce est celle qu’il a à l’intérieur. Celle qu’il subit tous les jours. Et à ce moment elle va être rédemptrice pour lui, il va en sortir apaisé. Il se lave les mains, se regarde dans le miroir, s’endort et se retrouve sur une plage. Il peut redevenir le Elyas qu’il était avant. D’antihéros à problèmes, il va pouvoir redevenir le héros qu’il était. Et quel héros !

Il est d’ailleurs qualifié de « guerrier »…

Alors ça dans ma tête c’est inspiré du personnage de John Rambo. Ce mec, on ne sait pas qui il est au début, il arrive dans un endroit, on comprend par petites touches qu’il est doué pour faire certaines choses et à un moment t’as le colonel qui arrive et qui dit « Attention, vous ne savez pas qui est ce type, vous allez voir ». Donc là aussi, à un moment on raconte son histoire, on raconte son trauma après lequel il n’a plus été le même homme. Et on réalise à quel point ils ont fait une « grosse connerie ».

Une des scènes les plus impressionnantes n’est peut-être pas une scène d’action mais celle de l’entrée dans le bus…

Alors là tu vois c’est très hitchcockien. On parle pas mal de références, on parle de Man on Fire… bien sur, le postulat de départ, c’est celui d’un ancien militaire qui va devenir le protecteur d’une jeune fille ou d’un enfant. Il y a ça dans Leon, dans Gloria de Cassavetes, dans Le Vieil homme et l’enfant de Claude Berry. On s’inscrit là-dedans mais moi j’essaye vraiment de travailler sur le thriller aussi. Et là, suivre un personnage qui t’amène à un autre, Hitchcock le faisait souvent. Tu suis un mec qui monte dans un train, avec ses chaussures, puis tu retrouves la paire de chaussures vues avant et deux personnages se rencontrent. Alors là c’est pas exactement la même chose, mais voilà ce que je voulais faire. Sur le scénario on m’avait rétorqué que vu ce qu’il a fait, il doit être recherché par tous les flics, tout le monde va le reconnaitre via des portraits affichés partout, etc… et bien moi j’ai résolu le problème avec un plan. On le suit, il monte dans le bus, tout le monde se dit que c’est lui on l’a reconnu, il s’assoit et mince c’est pas lui, il est juste à côté. Donc comment veux-tu qu’on le retrouve ? Ce plan sert à raconter ça, ça élimine la possibilité pour le spectateur de se dire que tout le monde pourrait le retrouver.

Pour terminer, vous avez l’habitude de travailler avec les mêmes techniciens, dont votre directeur de la photographie et ami qui est malheureusement disparu. Comment se passait votre collaboration ?

Gianni avait fait mon premier film, Une Minute de silence en 1997. C’est un chef op incroyable. C’était le cadreur de Fellini, il a travaillé avec Visconti, avec Coppola… c’était un technicien hors pair et un homme extraordinaire. Il se mettait toujours au service de ma mise en scène. Je dis toujours que j’écris le film 4 fois : au scénario, puis je storyboarde tout car c’est un art visuel, au tournage puis au montage. Et Gianni savait exactement ce que j’étais en train de faire donc il anticipait tout ce que je faisais. Et il me poussait. Tous les bons techniciens avec qui tu travailles poussent toujours le film vers le haut, avec des idées ou des petites choses. Par exemple, le marlin que manie Elyas, quand je lui ai fait écouter le son il m’a parlé d’Il était une fois en Amérique et la sonnerie du téléphone qui dure jusqu’à ce que plusieurs personnages décrochent. Là l’idée c’était de bridger le marlin, le son va durer pendant toute la scène de la boîte de nuit jusqu’à ce que ça devienne une arme dangereuse. Ce genre de collaborateur… c’est une perte énorme pour moi, surtout car c’était un ami. J’aime faire des films avec des gens qui sont devenus mes amis. Tu sais Jean Renoir disait à la fin de sa carrière après avoir fait ses plus grands films, La Règle du jeu, La Grande illusion, Le Crime de Monsieur Lange, Boudu sauvé des eaux et j’en passe, que le plus difficile avait été de trouver son équipe. C’est très important car c’est à chaque fois une aventure humaine. Tu travailles avec des grands techniciens, mais le metteur en scène est tout seul. Il n’y a que lui qui sait. Donc il doit être bien entouré, avec des gens bienveillants et qui l’aident. Et quand ces gens connaissent ton cinéma, comme Alexandre Desplat, mon directeur artistique, mon monteur, mon ingénieur du son, mon bruiteur, mon mixeur, mon sound designer, ma costumière… j’ai toujours les mêmes, et ils me connaissent tellement qu’on a même plus besoin d’utiliser des mots. On sait tous où on va.

Propos recueillis par Nicolas Gilli.

Un grand merci à Studio Canal et à Zvi David Fajol de Mensch Agency.

Crédits photo d’illustration : ©2024–RECIFILMS–STUDIOCANAL–FRANCE2CINEMA.

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