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Dragon Gate, la légende des sabres volants – Critique

L’empereur du chaos semble s’être assagi. Detective Dee ouvrait la voie du cinéma de Tsui Hark chez le géant chinois, l’obligeant à repenser en profondeur son propos frondeur pour passer outre la censure, et Dragon Gate confirme cette évolution fascinante. Derrière le blockbuster à tendance WXP et la relecture d’un mythe classique du cinéma hong-kongais se dévoile une nouvelle attaque féroce du pouvoir, le tout à travers une profusion d’idées qui donne le vertige et une utilisation du relief qui en repousse les limites.

Au delà du film en lui-même, Dragon Gate est un symbole fort dans la mesure où il tisse un rapport à l’histoire du cinéma hong-kongais et à la carrière de Tsui Hark qui s’avère fondamental pour bien appréhender l’objet filmique. Première production 100% chinoise à laquelle il se plie, après la co-production de Detective Dee, Dragon Gate s’inscrit à la fois dans la vaste relecture de classiques entamée par Tsui Hark dans les années 80, dans un mouvement d’apaisement de son cinéma débuté par Seven Swords (film incroyablement riche massacré sur la table de montage), dans une modernité totale (la passion de Tsui Hark pour les CGI et l’utilisation de la 3D) ainsi qu’une double réconciliation. Réconciliation de façade avec le géant chinois, seul moyen de financer un film d’une telle ampleur après l’avoir malmené dans nombre de ses films, mais également avec celui qui fut son acteur fétiche avant une sombre brouille sur le tournage d’Il était une fois en Chine 3 il y a 20 ans : Jet Li. Cet assemblage, doublé du talent inné de Tsui Hark pour transformer le chaos en matière filmique orgiaque, font de Dragon Gate bien plus qu’un banal blockbuster chinois. De cette troisième variation autour du motif de l’auberge du dragon, après la vision de King Hu (Dragon Gate Inn en 1967) et celle déjà apportée par Tsui Hark en 1992 (L’auberge du Dragon, officiellement signée du porte-flingue d’alors, Raymond Lee, mais largement mise en scène par le mogul), nait une fresque complexe aux relents serialesques qui multiplie les intrigues et les personnages dans un puzzle scénaristique à priori indigeste mais d’une cohérence absolue. Un nouveau maelström sous forme de renaissance, deux heures durant, de tout ce qui faisait la puissance de la Film Workshop.

Sous couvert d’une approche extrêmement populaire, à travers un genre symbolique qu’il a toujours adulé et modelé à sa guise, du modernisme d’Il était une fois en Chine à la révolution graphique de The Blade, en passant par la fantaisie totale de Legend of Zu, Tsui Hark n’a eu de cesse de faire évoluer le cinéma hong-kongais. Véritable visionnaire, l’auteur et réalisateur a toujours marié respect des traditions culturelles avec une ambition formelle démesurée, tombant allègrement dans l’expérimentation pure, approche on ne peut plus paradoxale quand ses films ont toujours nécessité un seuil de rentabilité élevé. Dragon Gate est la preuve qu’il tient enfin la recette miracle. Spectacle total, le film suit la voie de Detective Dee en devenant champion du box office à son tour, preuve qu’après de sévères échecs le mogul remonte doucement sur le trône, redoublant d’intelligence dans ses scripts afin que le propos politique pas vraiment apaisé reste bien caché derrière l’action et l’aventure. Dragon Gate est un récit à tiroirs qui applique le principe des faux semblants à divers niveaux de perception pour mieux briser la narration et le rythme.

Ainsi, aux motifs classiques de l’androgyne et du sosie vient s’ajouter un traitement évolutif des motivations des personnages qui bouleverse sans cesse les enjeux dramatiques principaux. Le résultat est extrêmement déstabilisant car la somme de certitudes amenées au public par l’impressionnante exposition se voit remise en cause à plusieurs reprises, le tout agrémentée d’une multitude de personnages hauts en couleurs, entrant et sortant du cadre à loisir. Certains prétendument mineurs devenant tout à coup essentiel à la poursuite de l’intrigue et inversement. Trahisons, twists multiples, retournements de veste, le scénario de Tsui Hark atteint ici un niveau de complexité qui aurait été impossible à digérer chez lui il y a quelques années, sauf que son sérieux dans l’écriture s’est franchement amélioré au fil des années. Il en résulte, à quelques couacs près dont un personnage qui révèle sa vraie nature de façon carrément téléphonée, un récit limpide une fois toutes pièces de l’immense puzzle mises en place. Et rien n’est gratuit, car derrière chaque archétype, chaque héros ou méchant, se cache une représentation politique ou sociale, amenant le film vers un portait mosaïque d’une Chine artificiellement unie mais concrètement constituée d’entités bien spécifiques et souvent opposées. Le sous-texte offensif d’un Tsui Hark lucide est toujours aussi présent, sauf que de bourrin le cinéaste est passé à un statut de diplomate comptant sur la clairvoyance du public pour accepter son message. Dragon Gate n’est pas de ces films qui prennent le spectateur par la main, mais un de ces grands films de genre qui introduit une vraie réflexion sur une société sous couvert d’un traitement spectaculaire et mythologique.

Et côté spectacle, on se situe là dans la stratosphère. Car si Tsui Hark aménage intelligemment une longue plage sous forme de ventre creux artificiel pour mieux y développer son récit par le dialogue, renouant ainsi avec une certaine tradition du verbe au cœur de l’intrigue, il déchaine littéralement les enfers dès qu’il se met en tête de filmer une scène d’action. Terminé le surdécoupage, le tournage guérilla et les cadrages évolutifs, Tsui Hark soigne sa mise en scène avec maniaquerie pour exploiter au mieux son nouveau jouet, le relief. Quand tout semble avoir déjà été fait, le maître intègre dès son premier essai la 3D en tant qu’outil fondamental de sa mise en scène, et transcende ainsi le travail remarquable effectué sur les combats par le chorégraphe vétéran Yuen Bun, ancien acolyte de la Film Workshop avec qui Tsui Hark travaille régulièrement depuis. Dragon Gate est en partie un Wu Xian Pian à tendance fantastique donc il est nécessaire de ne pas être réfractaire aux fights virevoltants et câblés. En l’état Dragon Gate contient les chorégraphies les plus dingues filmées depuis des années, des affrontements que Tsui Hark sait parfaitement mettre en valeur en trouvant à chaque fois le cadre juste et le découpage le plus sensé. Sans surprise, on se retrouve avec une profusion d’idées de mise en scène à la minute qui frise le délire, amenant tout doucement à un combat tout bonnement titanesque entre Jet Li et Chen Kun.

Un duel épique qui commence à cheval, se poursuit en plein vol au milieu d’une tornade et s’achève dans l’auberge, elle-même emportée par la tornade. Si la séquence est quelque peu affaiblie par des effets numériques très perfectibles et qui restent le point noirs des grosses productions chinoises, elle est tellement symptomatique de la profusion d’idées dans la scénographie, dans l’utilisation des éléments de décor comme composants de l’action, dans le choix des armes toutes plus originales les unes que les autres, qu’elle s’impose comme un des plus gros morceaux de bravoure du genre depuis une éternité. Et ce n’est pas le seul tour de force, car absolument tous les combats sont traités avec autant d’inventivité et de lisibilité. Et si Tsui Hark met à contribution toutes les possibilités immersives du relief pour filmer ses combats et repousser encore sa maîtrise de l’espace, il se permet à la fois d’utiliser la technologie comme artifice ludique pour projeter des éléments du cadre dans l’espace. Mais également, et c’est là qu’intervient le génie de metteur en scène et non de vulgaire filmeur, afin de composer avec la profondeur de champ offerte pour ouvrir des perspectives inédites en terme de séquences plus posées, à l’image des dialogues. Intelligence du script qui multiplie les pistes et les émotions, mise en scène virtuose totalement dévouée à son récit et redoublant d’idées démentes, acteurs à la fois humbles (la star Jet Li disparait du film pendant une bonne heure) et totalement dévoués à leur rôle, il s’agit bien là des éléments qui constituent le grand cinéma. Le genre d’œuvre foisonnante se posant en pont essentiel entre l’histoire et l’avenir, mais qui n’a évidemment pas eu droit à une exploitation au cinéma en France. C’est le risque lorsqu’un metteur en scène génial compte sur l’intelligence de son public.

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En résumé

L’empereur du chaos semble s'être assagi. Detective Dee ouvrait la voie du cinéma de Tsui Hark chez le géant chinois, l’obligeant à repenser en profondeur son propos frondeur pour passer outre la censure, et Dragon Gate confirme cette évolution fascinante. Derrière le blockbuster à tendance WXP et la relecture d’un mythe classique du cinéma hong-kongais se dévoile une nouvelle attaque féroce du pouvoir, le tout à travers une profusion d’idées qui donne le vertige et une utilisation du relief qui en repousse les limites.Au delà du film en lui-même, Dragon Gate est un symbole fort dans la mesure où il tisse un rapport à l’histoire du cinéma hong-kongais et à la carrière de Tsui Hark qui s’
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