Petit hommage à celui que l’on surnomme le 1er allié du cinéaste, le directeur de la photographie, à travers quelques exemples d’artistes qu’affectionne particulièrement l’auteur de ces lignes. Il ne s’agit pas d’un top, juste d’une porte d’entrée vers certains travaux d’artisans sans qui un film n’aurait pas le même pouvoir de fascination sur nous.
Asakazu Nakai
Il débute son métier en 1933 avec Qingdao kara kita onna de Shigeo Tanaka. Nakai collabore ensuite à quatre reprises avec Yasuki Chiba, avant de s’attaquer à La chanson de la caserne de Mikio Naruse, réalisateur qu’il retrouvera en 1951 pour La danseuse. Après la seconde guerre mondiale, Nakai fait la rencontre qui va changer sa carrière lorsque Akira Kurosawa l’engage pour éclairer son drame social Je ne regrette rien de ma jeunesse. Malgré une production difficile, le résultat, mélange d’ambiance bucolique, d’approche documentaire et de fulgurances expressionnistes s’avère à la hauteur. Les deux hommes entament ainsi une collaboration d’une cinquantaine d’années. Nakai expérimente tous les registres stylistiques requis par les sujets de Kurosawa, avec de nombreuses innovations comme l’utilisation de la longue focale et du ralenti pour les scènes d’action, notamment sur Les sept samouraïs. L’autre point fort du duo réside dans les différentes valeurs de plans au sein d’une même scène, l’aspect pictural des images ou l’utilisation de la couleur dans une scène clé d’Entre le ciel et l’enfer en 1963. Quelques années plus tard le chef opérateur retrouve le cinéaste en URSS pour Dersou Ouzala. Le tournage en conditions extrêmes ne l’empêche pas de livrer l’un de ses plus beaux travaux. En 1986, Ran marque la dernière collaboration entre les deux hommes sous forme d’un spectaculaire bouquet d’adieu.
Jules Kruger
Après avoir éclairé le court métrage Une aventure de Redzipet d’Albert Roth-de-Markus en 1908 suivi de plusieurs longs, il est contacté par Abel Gance pour son Napoleon. Kruger rejoint quatre autres de ses confrères et se retrouve à diriger huit opérateurs. La folie du cinéaste pousse Kruger à expérimenter différentes techniques alors inédites comme les loupes synchrones, la caméra portée, la mise au point à distance… . et n’hésite pas à passer 10 heures sur un décor pour obtenir la meilleure lumière. Napoleon vaut à Kruger d’être contracté sur d’autres projets ambitieux où son sens de l’innovation fait des merveilles. Pour L’argent, adaptation du roman éponyme d’Émile Zola par Marcel L’Herbier, il crée une plateforme suspendue en l’air capable de l’accueillir avec sa caméra pour survoler la « banque universelle ». La mise en valeur des intérieurs fait du film un véritable manifeste d’art déco et d’impressionnisme. En 1934 il rencontre Julien Duvivier pour Maria Chapdelaine, sur lequel il teste la rétro projection, s’ensuivra une fructueuse collaboration sur de nombreux films dont Pépé le Moko et La belle équipe où le duo travaille beaucoup la profondeur de champ, les mouvements de caméra complexes et les effets spéciaux optiques. Dans tous les cas Kruger et Duvivier associent l’innovation technique à une mise en scène élégante. À la fin des années 40 le chef opérateur est contracté en Espagne où il travaillera jusqu’à la fin de sa vie.
Jack Cardiff
Il fréquente dès son plus jeune âge le monde du cinéma multipliant les postes devant et derrière la caméra. Après avoir éclairé de nombreux documentaires à travers le monde, son mentor Georges Périnal le contacte pour l’assister sur Le colonel Blimp de Michael Powell et Emeric Pressburger. C’est sur le long métrage que le chef opérateur se familiarise avec le Technicolor qui deviendra sa spécialité. Les deux cinéastes britanniques contactent de nouveau Cardiff pour travailler sur Le narcisse noir et Les chaussons rouges. Ces deux films remplis d’expérimentations baroques sur la couleur vont asseoir la réputation du chef opérateur appelé à éclairer de nombreux classiques comme African Queen, Pandora ou La comtesse aux pieds nus. En 1958 Richard Fleischer le contacte pour Les vikings, où son travail inspiré par la peinture romantique instaurera les conventions visuelles du film épique encore en vigueur aujourd’hui. Cardiff s’essaie également à plusieurs reprises à la réalisation, dont on retiendra surtout Le dernier train du Katanga avec Rod Taylor et Yvette Mimieux. En 1985 il travaille sur Rambo 2 : La mission faisant de Sylvester Stallone le symbole du cinéma Réganien à travers une iconisation grandiloquente : contre plongée, lumières zénithales, fumigènes… . Après Million Dollar Mystery en 1987, Cardiff travaille sur des courts métrages et documentaires jusqu’à son décès 2009. L’année suivante Cameraman: The Life and Work of Jack Cardiff rendra hommage à son incroyable parcours.
Christopher Doyle
Originaire d’Australie où il nait en 1952, Christopher Doyle s’installe à Taiwan dans les années 70 où il travaille quelques temps dans une école de danse. En 1983 il éclaire That Day, on the Beach d’Edward Yang cinéaste emblématique de la nouvelle vague taïwanaise. Après un bref passage en France pour Noir et Blanc de Claire Devers (Max et Jérémie), il se rend à Hong Kong pour assister David Chung (Il était une fois en Chine) sur My Heart Is That Eternal Rose de Patrick Tam en 1989. Wong Kar Wai, ancien scénariste de Tam, l’engage sur Nos années sauvages, marquant les débuts d’une collaboration qui s’étendra jusqu’à 2046 en 2004. Adepte du système D privilégiant la pratique à la théorie, Doyle transforme toutes les contraintes en atout qui vont de la pellicule périmée aux faibles ressources lumineuses. Le chef opérateur teste également de nouvelles palettes de couleurs, excluant le rouge jusqu’à In the Mood for Love. Pour Hero de Zhang Yimou il teste une tonalité de couleur différente à chaque nouvelle étape de l’histoire. Son talent lui vaut d’être repéré aux USA où il travaille notamment sur le remake de Psychose, Liberty Heights et La jeune fille de l’eau. Il s’essaie également à la réalisation avec Away in the Words et un segment de Paris, je t’aime. Depuis la fin des années 2000 il travaille essentiellement pour de jeunes cinéastes asiatiques et occasionnellement pour des réalisateurs établis comme Neil Jordan ou Alejandro Jodorowsky, et a réalisé un étonnant projet entre fiction et documentaire nommé « Hong Kong Trilogy: Preschooled Preoccupied Preposterous ».
Chikashi Makiura
Après un premier film en 1960, Tomei-tengu de Mitsuo Hirotsu, Makiura travaille sur Zatôichi, le masseur aveugle de Kenji Misumi, premier volet d’une saga éponyme sorti en 1962. Ce film est le premier d’une longue collaboration entre le chef opérateur et Misumi. Chacune de leurs participations à la franchise Zatôichi leur permet d’expérimenter un découpage et une lumière de plus en plus baroque, malgré le cadre naturaliste dans lequel le célèbre anti héros évolue. À l’instar de cinéastes comme Kihachi Okamoto ou Hideo Gosha, Misumi et Makiura vont révolutionner le genre du Jidai-geki (film médiéval japonais) à travers une vision plus violente et désenchantée. Qu’il s’agisse des différents opus de Zatôichi où d’autres classiques comme La lame diabolique et Le sabre, chacune de leur collaboration va poser les bases d’un sous genre nommé le Chanbara (contraction de lame tranchante et de film sabre). Les nombreuses images iconiques généralement associées au genre : Rônin marchant dans une forêt brumeuse, ennemis cachés en haut des arbres, gros plans esthétisants sur les éléments naturels, geyser de sang… . doivent beaucoup au talent de Makiura. En 1972 le travail effectué par le chef opérateur et Misumi sur la franchise Baby Cart marque le chant du signe de leurs travaux. À l’instar de ses contemporains du cinéma d’exploitation des années 60 : Jack Asher, Antonio Rinaldi, Kazue Nagatsuka et Hajime Koizumi, Chikashi Makiura reste un chef opérateur sous estimé dont le travail mériterait d’être réévalué.
Bill Pope
Il étudie à la New York University avant d’éclairer The Sixth Week un documentaire qui remportera de nombreux prix en 1978. Pope assiste le chef opérateur Stefan Zapasnik et se fait la main sur de nombreux clips pour Chris Isaak et Metallica avant d’éclairer Death Doll en 1989. La même année il rencontre Sam Raimi pour Darkman inaugurant un style frénétique mêlant les expérimentations du muet, du film d’horreur, de l’actionner Hong Kongais et du comic book. C’est sur ce dernier point que le chef opérateur marque sa différence en puisant dans des sources autres que cinématographiques et picturales pour forger un style qui le suivra toute sa carrière. Le duo qu’il forme avec Raimi continuera d’exprimer un langage similaire sur Evil Dead 3 : L’armée des ténèbres, Spider-Man 2 et 3. En 1996 il est appelé à la rescousse sur le tournage de Bound des Wachowski, début d’une nouvelle collaboration qui se poursuivra sur la trilogie Matrix pour laquelle Pope opte pour une prédominance verte afin de distinguer le monde virtuel du réel. Après avoir fait connaissance avec Edgar Wright sur le tournage de Spider-Man 3, leur collaboration sur Scott Pilgrim se poursuit avec Le dernier pub avant le monde pour lequel il détourne tous les codes visuels du film d’invasion extraterrestre, avant de rempiler sur Baby Driver. Parmi les autres faits d’armes du chef opérateur notons Visiteurs extraterrestres, Clueless, Team America police du monde et récemment Le livre de la jungle.
Dean Cundey
La découverte de la revue American Cinematographer durant son enfance est à l’origine de sa vocation de directeur de la photographie. Après ses études à l’UCLA il éclaire L’homme sans merci de Daniel Vance en 1973 avant de travailler sur de nombreux films d’exploitation dont ceux de Greydon Clark. En 1977 il fait une rencontre déterminante en la personne de John Carpenter qui le charge d’éclairer Halloween la nuit des masques, dont le style visuel marqué par l’utilisation épuré du CinémaScope et un travail poussé sur l’obscurité, est à contre courant de l’esthétique horrifique de l’époque. Leur collaboration se poursuit sur Fog, New York 1997, The Thing et Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin. Robert Zemeckis en fait également un précieux collaborateur sur À la poursuite du diamant vert, la trilogie Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? et La mort vous va si bien. Steven Spielberg fait également appel à Cundey pour Hook et Jurassic Park. Le chef opérateur continue pendant un temps les grosses productions, notamment des comédies. Titulaire d’un Lifetime Achievement Award en 2014 il travaille désormais sur des courts métrages et des films indépendants. Le travail de Cundey basé sur une lumière subtile et des effets mesurés aura contribué à la réussite artistique de nombreuses œuvres ayant marqué des générations de spectateurs. La base polaire en antarctique, Hill Valley et Isla Nublar n’auraient sans doute pas eu ce même charme sans son indéniable savoir faire qui reste encore aujourd’hui mésestimé.