[Säpenghrr [1]Attention ! On vous conseille de lire ce qui suit APRÈS avoir vu le film pour ne rien vous gâcher de l’expérience]
13 ans entre Avatar et Avatar, la voie de l’eau. Quand à titre de comparaison il n’y avait que 7 ans entre Terminator et Terminator 2, et qu’entre les deux James Cameron avait réalisé Aliens et Abyss. Mais cette fois on l’a attendu pendant 13 ans. On l’a vu partir en expédition, battre des records et de temps en temps montrer sa tête pour soutenir ses potes, mais on a attendu 13 ans pour revoir un film du roi du monde. C’est dire s’il se devait d’être à la hauteur. Alors on ne va pas faire durer le suspense plus longtemps : oui, il est à la hauteur. Evidemment. Mais il est tellement plus que ça.
En 2009 sortait Avatar, le 8ème film de James Cameron, en comptant Piranha 2 qu’il ne considère pas comme son film. Et pour la plus grande majorité des spectateurs l’ayant découvert au cinéma, ce fut un moment de sidération. On a bien entendu quelques grincheux répétant en boucle « Pocahontas-schtroumpfs-cêtro », mais dans l’ensemble tout le monde s’accordait à dire que c’était du jamais vu, car ça l’était. Tout un univers d’une cohérence et d’une richesse remarquables prenant littéralement vie devant nos yeux, et à travers un récit d’une universalité telle qu’il était impossible à prendre en défaut. Avatar était et reste une date essentielle de l’histoire du cinéma, une révolution comme il n’y en a pas eu une seule depuis, et une source d’inspiration inépuisable. Dès lors, lui donner une suite constitue un défi absolument colossal. Le genre de défi qui pousse James Cameron à se lever le matin. Car en effet, comment reproduire chez le spectateur ce sentiment de sidération absolue à la découverte de Pandora ? En sachant qu’on va cette fois plonger dans un univers qui nous est connu. Comment accrocher le public à travers un dispositif technologique largement accepté depuis ? Il fallait pour le réalisateur trouver un angle lui permettant de proposer à la fois un spectacle jamais vu, mais en cohérence totale avec ce qui constituait le coeur d’Avatar et qui, quoi qu’en disent les détracteurs, a directement touché le coeur d’autant de spectateurs, comme aucun autre film ne l’a fait. Avatar, la voie de l’eau va ainsi s’avancer sur un fil entre ce qui est connu, car à l’image de toute l’oeuvre de James Cameron le film représente la somme de ses travaux précédents, et l’inconnu en proposant quelque chose qui n’a tout simplement jamais été vu sur un écran de cinéma. Un autre défi colossal s’est présenté à James Cameron le scénariste, et son équipe d’auteurs. Là où le premier film établissait toute une mythologie et un univers, en s’appuyant sur l’essence des récits écrits et oraux fondateurs des civilisations, tout en racontant une histoire tenant suffisamment la route pour happer le public, il fallait cette fois aller plus loin. Le succès phénoménal du film précédent, qui n’avait pas pour lui d’être la conclusion d’une franchise d’une vingtaine de films, s’appuyant déjà sur plusieurs décennies d’existence dans des comic books, tient dans sa capacité à toucher tous les publics en s’adressant autant à l’intellect du spectateur qu’à son coeur, mais également à des éléments moins palpables tels que son imagination et son subconscient, voire sa spiritualité. Et c’est ce miracle qui se reproduit ici, tout en développant un récit unique qui prend une toute autre dimension. Avatar, la voie de l’eau n’est pas simplement « meilleur » qu’Avatar, c’est un film qui en retrouve la substantifique moelle tout en multipliant ses qualités intrinsèques et vient en ajouter d’innombrables. Et cela pour accoucher d’une oeuvre absolument colossale, comme l’histoire du cinéma n’en a tout simplement jamais vue.

Il y a quelques semaines, Avatar premier du nom quittait la plateforme Disney+ pour ressortir au cinéma dans une version améliorée. Un coup marketing, certes, mais pas seulement. En 13 ans, notre monde, mais également le cinéma qui en est son reflet dans l’oeil d’artistes, s’est assombri. Dans l’univers d’Avatar, les êtres humains, le « peuple venu du ciel », vient exploiter les richesses d’une autre planète car la Terre a été surexploitée et court vers sa fin. Pour le spectateur, retourner sur Pandora est le symbole de quitter son propre univers (une Terre surexploitée peu à peu vidée de ses ressources et qui court irrémédiablement à sa perte) pour un autre où la nature tient encore une place essentielle à l’équilibre entre les êtres vivants. Il était donc bon de rappeler au public pourquoi il se sentait si bien dans ce film, et pourquoi il avait besoin d’y retourner. Et au delà de sa propre histoire, Avatar, la voie de l’eau, est construit autour de cette sensation merveilleuse de passer quelques heures dans un autre univers. Avec 3h15 au compteur, le film peut se permettre cela. Ainsi, la première heure va se focaliser sur une sorte de réacclimatation à Pandora, où on retrouvera des décors et créatures familières, mais également les personnages qu’on a pu voir évoluer, et des nouveaux, nombreux et essentiels. La deuxième « partie » va jouer à fond la carte de la sidération, où Cameron prend le temps d’explorer une nouvelle partie de Pandora, l’univers du peuple des océans, les Metkayina. On sent déjà les esprits les plus moqueurs, ou cyniques, qualifier cette partie de « documentaire National Geographic ». Elle est essentielle afin de créer une cohérence dans cet univers, mais surtout elle développe une quantité astronomique de personnages, de relations, de croyances… James Cameron sait qu’il a le temps et il en profite afin de bâtir sa cathédrale de mythes indéboulonnables. Il a donc suffisamment de matière pour aborder la troisième partie du film beaucoup plus orientée sur l’action (ce qui ne veut pas dire que ce qui précédait en était dénué, bien au contraire) et où chaque geste d’un personnage, chaque décision, et par extension chaque choix de mise en scène, est le fruit d’une construction préalable qui s’avère tout simplement redoutable de précision. Une fois de plus, James Cameron ne va pas faire dans l’esbroufe avec des retournements de situation WTF qui semblent définir ce qu’est un bon scénario pour certain.es, et sans circonvolutions bas de gamme il va mettre en scène un récit « simple » mais d’une solidité et d’une universalité remarquables. Là où il évolue énormément, et c’est peut-être ce qui vaudra au film d’éviter des critiques sur un scénario prétendument (et bêtement) « faible », c’est dans le fait qu’il entame son récit en reprenant le point de vue de Jake Sully, qui reste également le narrateur via sa voix off utilisée avec parcimonie à des moments très précis, pour ensuite multiplier les points de vue en adoptant ceux des enfants de Jake et Neytiri. Le basculement se fait tout naturellement, avec fluidité, pendant la première partie qui débute donc selon le regard de Jake. Une première partie qui prend le temps de nous raconter ce qu’il s’est passé depuis la fin du premier film et le retour vers la Terre des envahisseurs, qui nus présente les enfants ainsi que ce qu’est devenu le quotidien de Jake et Neytiri en tant que leaders du clan. Assez rapidement se met en place le thème central du film, la famille comme l’a souvent répété Cameron, mais plus précisément la parentalité et l’éducation. Et les difficultés que cela représente, notamment à travers le personnage de Jake qui reste, malgré une évolution notable, un militaire. Si James Cameron est fasciné par le corps militaire, comme il l’a prouvé à de nombreuses reprises dans sa carrière, il est tout aussi clair qu’il éprouve envers lui essentiellement du dégoût. Assez intelligemment il montre que même s’il a maintenant le corps d’un Na’vi, le conditionnement dont il a été victime en tant que marine lui fait reproduire des automatismes néfastes dans son rôle de père. Comme chez les plus conservateurs des américains, ses fils ne l’appellent pas « Daddy » mais « Sir », et comme le lui fait remarquer Neytiri au détour d’un dialogue, son rapport avec ses fils tient plus de celui d’un colonel que de celui d’un père. Un point de départ qui va conditionner l’évolution du personnage, qui va apprendre au fil du récit à véritablement devenir un père pour ses fils, mais également pour ses filles qu’il considère d’abord comme des petites choses fragiles qu’il doit protéger. Derrière ses gros blockbusters, il y a toujours chez Cameron des éléments très personnels et bien évidemment Avatar, la voie de l’eau en est truffé. Et pendant ces 3h15, on va assister d’un côté au parcours de Jake et Neytiri pour devenir de « meilleurs parents » en protégeant leur famille mais également en apprenant à lâcher prise vis à vis de leur progéniture, d’un autre côté à un récit initiatique multiple pour leurs enfants, naturels comme adoptifs, mais également au parcours non moins initiatique des méchants et en particulier d’un certain Quaritch. Enfin, presque car Quaritch est mort et cet avatar qui en a l’allure est en réalité un tout autre personnage bien plus complexe que le Colonel va-t-en-guerre du premier film.

Au cours du premier acte, qui est donc là pour replonger dans cet univers mais également pour en consolider les bases et ouvrir de nouvelles perspectives, James Cameron va déjà multiplier les morceaux de bravoure. Mais tout en restant extrêmement proche de ses personnages qui constituent le coeur du récit. On pense par exemple à cette séquence très intimiste pendant laquelle Jake et Neytiri, épuisés par leur boulot de parents, se payent une escapade pour aller observer les étoiles en amoureux. Une scène très belle mais qui va tout à coup complètement vriller, les étoiles en question étant en réalité une multitude d’engins spatiaux de terriens revenant sur Pandora. D’un moment de complicité et de sérénité, on passe tout à coup à une sorte de déluge de feu qui rappelle les images d’apocalypse de Terminator 2. En plus d’être techniquement impressionnante, les plans spatiaux étant probablement les plus beaux jamais conçus, la séquence nous apprend que ça y est, la Terre est en train de vraiment crever, et que font les terriens en arrivant sur Pandora ? Un incendie gigantesque qui vient détruire l’environnement. Ce n’est clairement pas subtil, mais c’est suffisamment fort pour broyer les tripes du spectateur. Dans cette première partie, on assiste également à une longue séquence, non moins impressionnante, d’attaque d’un train de marchandise par les na’vis, menés par Jake. Outre son aspect franchement impressionnant, car on n’avait jamais vu une telle scène de déraillement pyrotechnique, cette séquence permet à James Cameron d’ancrer Avatar, la voie de l’eau dans un genre qu’on n’attendait pas forcément et qui est celui du western. Une idée pas si farfelue, dans la mesure où le western est le genre cinématographique par excellence quand il s’agit d’illustrer une réflexion sur les caractéristiques de la nature humaine dans un univers en plein bouleversement, qu’il soit technologique, social ou moral. Le western, au même titre que ses cousins orientaux le chanbara et le wu xia pian, sont ici convoqués mais pas en tant que gimmicks cinéphiles. On n’est pas dans Predators où l’hommage idiot se limite à prendre un japonais avec un katana pour affronter la créature. Ici, ce sont des motifs certes iconiques parfois, qu’il s’agisse d’une véritable chevauchée à dos d’ilu ou d’un personnage majeur privé d’un membre, considéré comme paria et qui va se révéler en héros, mais qui s’inscrivent de façon tout à fait logique dans le récit global. Une mythologie, cinématographique cette fois, qui vient alimenter celle du film lui-même jusque dans ses moments les plus héroïques, à l’image de ce plan dans lequel Jake fait face, tout seul, au bastion ennemi, et qui s’impose comme un des plus évocateurs de tout le film. Sans grande surprise, James Cameron va même citer assez ouvertement Le 13ème guerrier de John McTiernan, autre grand film sur la lutte contre l’oppression et voyage initiatique d’un paria, au détour d’une scène justifiant le passage de la langue na’vi à l’anglais. Les parias, un thème central de cet Avatar, la voie de l’eau.

C’est dans l’action et le cheminement spirituel que James Cameron va traiter du sujet de l’acceptation de l’autre, plutôt que dans une ode béate à la différence. Tout simplement car il n’y a pas de réponse simple et toute faite à un sujet complexe, il va multiplier les personnages et situations menant à cette réflexion. Il y a par exemple ces enfants, pour certains métissés, pour d’autres issus d’une conception presque miraculeuse, d’autres encore sont carrément de l’autre espèce, et qui vont se retrouver face au mur de la différence, qualifiés d’erreurs de la nature. Il y a ces na’vis venus de la forêt et qui cherchent refuge auprès du peuple de l’eau et qui, malgré le respect dû à la légende du Toruk Makto, vont devoir redoubler d’efforts pour être acceptés malgré leurs différences. Des différences ne serait-ce que physiques, les na’vis de la tribu Metkayina ayant vu leurs membres se développer différemment afin de s’adapter à l’environnement aquatique. D’autres sont des parias à cause de traditions ancestrales qui les condamnent. Même Jake est devenu un paria vis à vis des humains qui le considèrent comme un traitre. Et le film va s’attarder sur tous ces accomplissements personnels permettant de sortir de ce statut de paria, mais sans pour autant rejeter la véritable nature des personnages. Sur ce point, Avatar, la voie de l’eau est un petit bijou d’écriture, car il va cerner ces actes, ces décisions, parfois des petits détails presque invisibles, qui font que l’autre dépassera sa peur ou ses croyances pour accepter quelqu’un. Mais il n’y a pas une sorte de réponse toute faite, un tel devra se montrer héroïque, une autre se dévoilera comme une soeur… car le monde est complexe et qu’il y a autant de façon d’aborder l’autre que de caractères. Et là où les esprits moqueurs cités précédemment ne verront que des images de documentaire animalier, le spectateur plus enclin à se laisser emporter verra au détour d’un plan furtif un regard sur Kiri par exemple, qui en pleine extase et loin du tumulte aux alentours communique avec tous les êtres vivants qui l’entourent, posant les fondations d’un personnage presque messianique qui n’a sans doute pas fini de nous étonner. Il est vrai que dans toute la partie centrale James Cameron prend son temps et multiplie les images de cette nature si dense et complexe, mais ce serait une erreur que d’y voir un faiseur d’images en pleine auto-satisfaction face à sa création. Tout d’abord, il développe ici des personnages mais il met également en place son dispositif dramatique en y opposant la fureur de la partie suivante. D’autant plus que se met en place dans la seconde partie tout l’arc narratif consacré au personnage du neo-Quaritch, ce qui apporte tout de même énormément de tension en arrière-plan. De sa « naissance » en écho à celle de Jake dans le premier film, jusqu’à la fin, ce personnage se montre extrêmement complexe. A la fois très primaire dans sa violence et stratège-manipulateur détestable, son rapport à un personnage bien spécifique va finir par ouvrir une faille inattendue qui le rend assez fascinant, tout en redistribuant intelligemment certaines cartes pour une suite à venir. Mais tout aussi fascinant est son rapport au Quaritch original, très différent du traitement du T-800 entre Terminator et Terminator 2 par exemple. Il y a évidemment cette scène où il regarde cette vidéo venue du passé, avec un Quaritch persuadé qu’il ne pourrait pas mourir, ou ce plan dévoilé dans la bande-annonce, où il broie son propre crâne humain dans sa main, mais c’est dans l’action que le personnage va se dévoiler, mettant intelligemment à profit ses nouvelles qualités physiques, jusqu’à une confrontation finale littéralement dantesque et qui ramène encore la figure du western, le duel, et ses équivalents. Mais il est vraiment intéressant de voir se personnage évoluer dans un nouveau corps qui représente tout ce contre quoi il s’est battu, et par quoi il est mort.

Au moins aussi intéressants sont les personnages de Kiri ou Lo’ak, d’un côté une paria de par sa nature, de l’autre de par son statut de fils cadet plus freluquet que son aîné et surtout beaucoup plus rebelle. Leurs parcours respectifs, captant à la perfection cette période trouble qu’est l’adolescence et la recherche de sens à son existence, sont absolument fascinants. Ces deux personnages peuvent être vus comme des incarnations de divinités en devenir, et il n’est pas nécessaire d’être devin pour capter l’ampleur qu’ils vont prendre dans les suites. Kiri montre un lien très fort avec Eywa (Gaïa) comme si elle en était l’incarnation mortelle, tandis que Lo’ak évoque le mythe maori de Paikea, le « whale rider », tout en faisant une sorte de lien avec Abyss. C’est d’ailleurs à travers Lo’ak, plus encore qu’à travers les représentants du peuple Metkayina (dont les chefs sont brillamment interprété.es par Kate Winslet et Cliff Curtis, tous deux déchirants et tellement charismatiques), que sont introduites des créatures magnifiques, les tulkuns, sortes d’équivalents de nos baleines. Des créatures traitées dans le film comme des sortes de divinités, avec une connexion très forte avec les Metkayinas, et qui rappellent évidemment une des incarnations de Tangaroa, dieu de la mer dans les mythologies du Pacifique. Et avec les tulkuns se développent deux sujets. Tout d’abord le cas de Payakan, un tulkun banni de son clan car s’étant comporté de façon impropre par rapport à leurs croyances, et qui bénéficiera d’un véritable parcours héroïque. Mais également celui de la pêche de ces créatures majestueuses, massacrées pour n’en récolter que quelques litres d’une substance contenue dans leur cerveau. Le parallèle avec ce qui peut se passer dans nos océans (avec les baleines mais également les requins) est suffisamment clair pour ne pas développer, mais cela permet à Cameron de dénoncer non sans dégoût et amertume ces pseudo-scientifiques tout à fait conscients du mal qu’ils font en se rendant complices de massacres, sous couvert du financement de leurs recherches. Le personnage campé par Jemaine Clement est à ce titre particulièrement savoureux. Bien évidemment, le geste de l’auteur est noble, et il dénonce continuellement ce qu’il considère comme légitime de dénoncer, mais sans jamais donner à son film des airs de propagande ou autre. Ce qu’il pourrait faire de façon tout à fait légitime. Non, il préfère intégrer tout ça de façon très naturelle dans son récit d’action et d’aventure, et ces drames inspirés du monde réel touchent d’autant plus quand ils viennent blesser des personnages desquels on se sent proches. Au passage, et comme il l’avait déjà fait plusieurs fois par le passé, il se paye le comportement irresponsable et destructeur des grandes corporations, en même temps que les états et forces militaires qui en sont complices. Quoi qu’il touche (jusqu’aux notions alchimiques, la substance recueillie sur les tulkuns étant censée donner la jeunesse éternelle), il ne perd jamais de vue qu’il est avant tout là pour raconter une grande histoire et la faire vivre le plus intensément possible aux spectateurs. Et sur ce point, que ce soit au niveau de sa narration ou de sa mise en scène, c’est vraiment du grand art.

Plus encore que dans le film précédent, Avatar, la voie de l’eau va jouer avec les émotions du public. James Cameron est capable de tout, y compris de faire mourir un des personnages principaux. Dès lors, chaque situation de danger à l’écran provoque une véritable tension, et la mort frappe de façon tout à fait inattendue. Les personnages présentent également de nombreuses failles, ce qui les rend extrêmement vulnérables. D’autant plus qu’ils ont quand même une fâcheuse tendance à se mettre en danger ou à mettre en danger les autres, malgré leurs nobles intentions de protéger leur famille, leur forteresse. Mais là encore, tout est très logique et chaque acte aura ses conséquences. Ainsi, difficile de ne pas se sentir suffoquer lors d’une longue séquence qui va quelque part rejouer le naufrage du Titanic, l’exploit étant que James Cameron a réussi à faire encore plus intense que dans son chef d’oeuvre de 1997. Ou de ne pas vibrer lorsque, face au danger guettant ses enfants, Neytiri redevient cette guerrière redoutable et féline dans ses mouvements. Difficile également de retenir ses larmes, et pas qu’une fois, face aux torrents d’émotion dont le film se montre capable, parfois sur des moments très grandiloquents mais également lors de passages beaucoup plus intimes. On pense par exemple à cette chanson de Neytiri qui semble venir des profondeurs de Pandora, ou ce moment déchirant quand ils décident de quitter leur peuple pour le protéger. Une émotion rendue possible uniquement par la qualité d’écriture de tous ces personnages, très loin de l’uniformité à laquelle nous ont habitués la plupart des blockbusters sortis ces 10 dernières années. Chez tous ces personnages, James Cameron cherche à capter une humanité, au sens nature humaine, en les mettant face aux responsabilités, face au deuil, face à l’inconnu ou face au destin qu’ils doivent se façonner. Ou tout simplement face à la notion de famille et ce qu’elle implique de presque impalpable. Mais pour que tout cela fonctionne, le réalisateur-bâtisseur a pour lui cette faculté à développer ces petits détails en apparence insignifiants mais qui font que l’ensemble fonctionne totalement. Un regard échangé entre deux pères, un léger mouvement de caméra qui dévoile la grossesse d’un personnage et explique un port différent de son arme, ou ces images miroirs entre les tatouages à la signification spirituelle d’une tribu et ceux, beaucoup plus au ras du sol, de la bande de bidasses. En ressort un film qui mélange étonnamment les genres, de la SF au western en passant par l’aventure, le teen movie ou le film de guerre, et qui sort grandi de ce mélange comme le peuple na’vi sort grandi du mélange des origines. La sidération recherchée du premier film est décuplée ici, dans le récit et l’émotion donc, mais également dans l’action et dans la proposition visuelle. Et sur ces points, le choc est colossal.

Sur 3h15, il y a énormément de scènes d’action. Et elles sont toutes incroyables. Sans doute conscient que depuis Avatar est sorti un petit film nommé Mad Max Fury Road qui a largement redéfini les règles en terme d’action, James Cameron n’avait d’autre choix que de s’y confronter. Car en effet, c’était jusque là la référence, dans une autre galaxie que les scènes d’actions pataudes des diverses productions Marvel (qui sont malheureusement une référence pour le grand public, même si elles sont toutes molles et sans le moindre enjeu). Et autant dire que ce qui est sorti de cette saine émulation est plutôt réjouissant. On parlait plus haut de l’attaque du train, et c’est un véritable morceau de bravoure. Mais on a également du bon gros gunfight en forêt, des affrontements dans les airs, sur l’eau, dans l’eau… les séquences de voltige ou de nage à dos d’ilu sont démentielle, et le clou du spectacle tient dans cette bataille finale qui semble ne jamais s’arrêter. Quand il lâche les chevaux, James Cameron rappelle à quel point il est l’un des grands maîtres du cinéma d’action mondial, si ce n’est le maître. Le rythme de faiblit jamais, les combats ont lieu dans tous les coins du cadre sans qu’il y ait la moindre sensation de confusion, tout est fluide et parfaitement lisible. Cet affrontement est un véritable tour de force, comme on n’en avait vraisemblablement jamais vu auparavant. Pas à cette échelle, et pas avec cette précision chirurgicale dans la mise en scène. Le cinéma virtuel prend ici tout son sens, rendant l’impossible possible pour pondre des plans ou mouvements de caméra complètement dingues. On retrouve les plans signature du premier film lors des séquences de voltige avec ce côté très documentaire de guerre, ce qui tranche avec l’approche plus atmosphérique dans d’autres parties du film. James Cameron essaye également des types d’images différents, notamment un effet GoPro pas génial quand Jake essaye pour la première fois de monter l’ilu, et un autre beaucoup plus réussi pour illustrer le regard de Payakan. Quoi qu’il en soit, autant à travers sa mise en scène que son découpage, il apporte à son film une dynamique assez exceptionnelle. Mais Avatar, la voie de l’eau marque également le grand retour de la 3D au cinéma, celle qui sert à quelque chose. Evidemment, à travers celui qui l’avait démocratisée il y a 13 ans, cela prend tout son sens et le film perdrait énormément de sa superbe sans le relief. Il permet une immersion totale et renforce cette sensation de se retrouver pendant un peu plus de trois heures sur une autre planète. Mais cette fois cela va plus loin, avec l’utilisation du HFR en 48 images par seconde. Une utilisation massive mais pas constante, ce qui crée parfois un effet bizarre. Mais dans l’ensemble, cela apporte une fluidité vraiment remarquable et renforce la lisibilité des scènes d’action en relief. Et cela accentue également ce fameux effet de sidération face au film. Le niveau de détail des images est hallucinant, bien sur, mais c’est son réalisme qui frappe. On atteint là un niveau de représentation où il est impossible de savoir ce qui est vrai et ce qui est généré par ordinateur. A vrai dire, si toute l’équipe était partie tourner en décors naturels sur Pandora, ça ne serait pas plus réaliste (comment ça Pandora n’existe pas ?). Le plus impressionnant étant sans doute le rendu de l’eau, qui est parait-il un des éléments les plus complexes à générer. C’est tout simplement bluffant et tout semble palpable du début à la fin, de la peau des personnages au moindre élément de décor. Le niveau atteint au niveau de l’animation des personnages numériques via le procédé de performance capture a également fait un énorme bond en avant et il n’y a pas l’ombre d’une trace de l’uncanny valley ici. On pouvait s’y attendre mais rien que sur le plan technique, cet Avatar, la voie de l’eau marque une nouvelle étape essentielle et s’impose comme la nouvelle référence.

Cependant, il y a quelques petits éléments qui peuvent poser problème si on cherche la petite bête. Par exemple, c’est super d’utiliser des éclipses pour permettre de mettre en valeur la bioluminescence, toujours aussi sublime, mais c’est dommage de ne pas exploiter la portée mythologique de ces éclipses qui, dans toutes les cultures, ont été des éléments annonciateurs de l’apocalypse. Visiblement, elles sont assez courantes dans cette partie de Pandora. Un autre petit souci tient dans la nature même du film qui est le second épisode d’une saga et qui en garde sous le coude malgré une générosité totale. On pense par exemple au personnage de générale incarnée par l’excellente Edie Falco, qui reprend des gimmicks de Quaritch avec la tasse de café par exemple, mais qu’on voit finalement assez peu. Mais dans l’ensemble, il est bien difficile de faire la fine bouche face au spectacle proposé par James Cameron car il dépasse toutes nos espérances et ouvre des perspectives passionnantes pour la plupart des personnages. Kiri et Lo’ak, comme mentionné plus haut, mais également Spider, personnage profondément shakespearien et dont la relation avec Neytiri ne pourra qu’être bouleversée par les actes de cette dernière. Il convient d’ailleurs de louer les prestations de l’ensemble du casting, des jeunes actrices et acteurs à celles et ceux bien plus confirmé.es, et qui parviennent en quelques secondes à faire oublier qu’on est face à leurs avatars numériques. Quelque part, Avatar, la voie de l’eau est un film de transition mais qui concrètement se suffirait à lui-même. Mais c’est surtout le signe que derrière des années à se manger des blockbusters sans âme, faits sans passion ni talent, il est toujours possible de proposer un spectacle aussi populaire qu’exigeant, qui invite autant au voyage qu’à la rêverie ou à la remise en question de sa propre humanité et de son propre rapport à la planète. Et en cela, parmi tellement d’autres qualités, le nouveau film de James Cameron est précieux.