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Assassiné par les uns, auréolé d’un statut qu’il ne mérite pas avant même sa sortie par les autres, Athena aura au moins fait parler de lui, même si pas toujours pour les bonnes raisons. Le 3ème long métrage de Romain Gavras, et son meilleur à ce jour, n’est sans doute pas la bombe atomique annoncée ici ou là. Mais ce n’est pas non plus la sombre merde complètement débile comme cela a pu être écrit. Ceci dit, le réalisateur semble tout faire pour générer des réactions radicales.

Avec un nom pareil, avec un père pareil (le temps des réseaux sociaux n’en fait plus que le directeur de la Cinémathèque française mais Costa-Gavras est avant tout un cinéaste majeur à qui on doit des thrillers politiques incroyables), la vie est sans doute plus simple mais il est bien plus compliqué de se faire son propre nom. Surtout au cinéma où Romain Gavras est immédiatement identifié comme le « fils de ». Qu’il se plante, comme avec son premier film vainement provocateur Notre jour viendra, ou qu’il réussisse son coup, comme avec Le Monde est à toi. C’est sans doute la raison pour laquelle le gros de sa carrière, à ce jour, s’est faite dans le clip, industrie où les réalisateurs sont peut-être plus anonymes qu’au cinéma. En ce qui le concerne, il s’y est en tout cas rapidement fait un nom et une solide réputation, et ce dès la réalisation avec Kim Chapiron du clip de « Pour ceux » de Mafia K’1 Fry. Et s’il est aujourd’hui un des réalisateurs de clips parmi les plus demandés par les plus grandes stars de la planète, son chef d’oeuvre dans le domaine reste, et restera probablement longtemps, le clip de Stress de Justice. Un clip qui revisitait Orange mécanique et brillait autant par sa mise en scène de la violence que par sa fascination pour le chaos. Une fascination qu’on retrouvait dans Notre jour viendra et qu’on retrouve clairement dans Athena, véritable prolongation de certains travaux de Romain Gavras dans le format court du clip. Cette fascination, visiblement problématique pour beaucoup, se double ici d’une volonté affichée (et répétée encore et encore, en interview et jusque sur l’affiche) de réaliser une tragédie. Mais au sens théâtral venu de la Grèce antique et défini par Aristote dans l’ouvrage « Poétique ». Et en bon féru d’arts et donc de cinéma, Gavras veut aborder la tragédie sous une de ses formes les plus spectaculaires sur le plan cinématographique, à savoir le film de guerre épique en général et en particulier le film de siège. Un genre imposant, aux références marquées, et qui constitue une « décoration » (au sens d’Aristote, le film voulant s’y frotter allons-y) problématique car détournant le travail fondamental sur l’écriture de la tragédie. Cette volonté de pure tragédie, nécessitant un grand travail d’écriture, vient quelque peu se télescoper avec le fameux manifeste de Kourtrajmé, et 2 de ses points notamment : « Je jure de ne pas écrire un scénario digne de ce nom. » et « Je jure de ne pas donner un sens à mes films mais de faire des films pour les sens. ». Car ces préceptes, Romain Gavras les applique, en quelque sorte. Il y a bien un scénario, mais avec une action extrêmement resserrée, peu d’évènements faisant évoluer le récit et assez peu de dialogues. Et les personnages sont pour la plupart réduits à des archétypes quand ils ne sont pas des caricatures. La grande tragédie antique, elle se retrouve finalement dans une expression pure de la mécanique cathartique : par l’illustration/imitation d’un drame fondateur admis dans notre réel et de ses possibles conséquences, il va chercher une réaction chez le spectateur, qui dépasse la réflexion ou la morale. Une réaction physique, physiologique, qu’il s’agisse d’exaltation, de terreur ou de dégoût. Malheureusement, cette universalité à laquelle il aspire ne peut fonctionner si elle se contente de titiller les sens par la mise en scène sans apporter de la matière au moins aussi solide à l’écriture.

La « tragédie » est donc ratée, car elle repose malheureusement sur des fondations trop peu solides quand elles ne sont pas superficielles. Cependant, la tragédie cinématographique au sens grand film épique, est en partie réussie. Quand il n’est que bruit et fureur, Athena est grandiose. Quand il colle aux baskets de Karim, il embrasse complètement sa nature sensitive, captant par sa mise en scène la douleur terrible du frère trop à vif pour gérer psychologiquement un processus de deuil, et la rage tout simplement. La rage d’un peuple poussé à bout après le drame de trop. Comme un symbole, Athena démarre là où s’arrêtait il y a 25 ans le maladroit et parfois nanardesque Ma 6-T va crack-er. Et de façon toute aussi symbolique, il va illustrer littéralement certaines paroles des Flammes du mal de Passi, morceau qui trônait sur la bande originale du film de Richet. Mais la comparaison s’arrêtera là, tout comme celle avec La Haine ou Les Misérables. Sans même mentionner Bac Nord, qui revient de façon étrange dans les conversations autour du film quand les deux n’ont strictement rien en commun. Des symboles, Athena en est rempli à ras la gueule et c’est là qu’il est le plus fort. Quand il n’utilise que le langage cinématographique pour faire ressentir une émotion, quand il construit un plan séquence qui pose immédiatement les personnages, le décor et les enjeux dramatiques. Romain Gavras a très bien compris comment apporter un souffle épique à son film, autant dans la fabrication d’images iconiques que dans l’utilisation des outils permis par le cinéma, dont évidemment la musique. A ce titre, le très long plan séquence d’ouverture est magnifique. D’abord dans sa façon de délimiter un espace (chose qui fonctionnera beaucoup moins bien par la suite), dans sa volonté de faire ressentir une véritable situation de chaos (l’influence des Fils de l’homme est indéniable et Gavras sait exactement comment utiliser les enseignements de sa mise en scène) mais également dans son iconographie. Le plan se terminant par un mouvement qui vient placer Karim tel un chef de guerre en haut des barricades. Quoi qu’on puisse dire de tout le reste, Athena possède ses moments de pure virtuosité comme le cinéma français n’en produit que rarement, voire jamais. De la même façon, quand il assume à 100% une imagerie de « film de genre » épique et guerrier, lors des affrontements avec les CRS, dans les manoeuvres des troupes ou les différents assauts en masse, on est sur un héritage qui va de Gladiator au Seigneur des anneaux. Romain Gavras reprend de vrais codes d’un cinéma guerrier, de façon totalement décomplexée et inattendue. Et… ça fonctionne. Il cite ouvertement, quand il n’en reprend pas directement les plans les plus marquants, des grands classiques tels que La Forteresse cachée ou Les Guerriers de la nuit de Walter Hill, qui rappelons-le transposait dans une guerre des gangs contemporaine L’anabase de Xénophon. Non content d’avoir du talent, Romain Gavras connait ses classiques et sait les mettre à profit. Alors évidemment, le choix de situer son action dans un quartier de banlieue va jouer sur la perception du spectateur, mais le coeur du film tient bien dans la volonté d’adopter la forme d’une tragédie antique, ce qui n’est pas vraiment réussi, et celle d’un film de siège épique, dans un environnement contemporain compréhensible d’une grande partie du public. Et malheureusement, Athena se perd en cours de route, de sorte qu’il peut effectivement ressembler à un « film à sujet ». Sauf que sous cet angle, il est évidemment grossier. Mais il est tout aussi grossier de l’y enfermer.

Le film souffre de divers problèmes, aussi bien structurels que visuels. Parmi eux, le choix de l’épilogue. On peut y voir un manque de courage de se mettre toute une partie du public à dos avec ce qui serait un brûlot anti-flics. On peut y voir un geste du petit provocateur Gavras qui, après avoir illustré une insurrection en banlieue, fantasme utilisé par les fachos pour justifier leur discours, leur balance qu’ils sont à l’origine du problème. Ou on peut y voir simplement un parti-pris de dire que l’extrême-droite tue de façon plus pernicieuse, et qu’il n’y avait pas besoin de montrer que la police tue car c’est malheureusement un fait admis. La preuve, le fait qu’elle tue n’est pas une surprise. Dans tous les cas, cet épilogue est un exercice maladroit. Et il vient par ailleurs conclure une dernière demi-heure extrêmement décevante. Une tragédie familiale doit faire mourir des personnages majeurs pour s’alimenter, ok. Sauf que là, Athena assassine son personnage le plus intéressant au terme d’une des séquences les plus fortes du film, émotionnellement. Et qu’ensuite, au lieu de logiquement s’embraser, le film va perdre toute son énergie. En perdant ce personnage, il perd la rage qui l’anime mais pire, il perd sa propre vie en quelque sorte. Et il avance amorphe jusqu’à un final peu surprenant et tellement en dessous de ce que la première heure du film avait à offrir. D’autant plus qu’il y fait entrer au chausse-pied, pour ne pas dire bêtement, l’élément du terrorisme islamique et des revenants de Syrie avec le personnage de Sebastien. Alors oui, symboliquement, on peut y voir le côté sombre du personnage d’Abdel, qui pour sa part représente la soumission au système voire la trahison selon le regard. Mais c’est fait de façon inélégante, dans cette partie du film qui dénote tellement avec tout le reste. Comme si cette fresque guerrière où les images parlent plus que les mots se transformait en un vulgaire drame social verbeux et vraiment pas finaud. Même la mise en scène s’y fait beaucoup moins virtuose, comme si Romain Gavras avait tout donné au départ et ne savait pas comment poursuivre l’expérience sensitive jusqu’au bout. Et c’est dommage, car c’est le moment où il pouvait embrasser avec panache l’héritage d’Assaut de John Carpenter dont l’ombre reste finalement trop fugace.

C’est dommage car même si son dispositif de mise en scène enchaînant les plans séquences, évacuant ainsi le gros de la réflexion sur le découpage cinématographique, pouvait finir par agacer voire se prêter à la moquerie, Athena avait de la gueule. Il n’y a pas de problème à faire de belles images pour illustrer la violence ou le chaos. De très grands cinéastes l’ont fait et le feront encore. Cela doit avoir du sens et s’intégrer à un projet global cohérent. Et c’est malheureusement là qu’Athena finit par chuter. Par manque de courage ou de confiance, le film finit par perdre son énergie et son approche purement symbolique. Dès qu’il repose les pieds sur Terre, il s’éteint. Et bon sang c’est dommage car sous ses aspects de long clip parfois, il véhiculait une véritable force et un souffle épique comme le cinéma français ne se l’autorise que trop rarement. Un souffle qui doit autant à la mise en scène qu’à la bande originale absolument démente, composée par Romain Gavras et Surkin sous le nom Gener8ion, à grands coups de sonorités guerrières, de coeurs opératiques et d’une reprise extraordinaire des Princes de la ville, le morceau du 113 produit par DJ Mehdi (à qui est dédié le film). Un souffle qui doit aussi énormément à la prestation d’un acteur, Sami Slimane, un inconnu qui porte toute la rage du désespoir mais également toute la force d’un grand leader, avec cette fragilité qui le rend malgré tout humain (la séquence de la photo…). Globalement, les autres interprètes sont solides à quelques exceptions près, mais c’est lui qui porte le film. Dommage qu’Athena se perde en cours de route et que le film abandonne autant sa singularité, son abstraction et même sa virtuosité. Dommage car Romain Gavras avait entre les mains de quoi pondre une oeuvre qui ferait date, malgré sa diffusion sur Netflix. Cela ne sera probablement pas le cas, même s’il convient d’applaudir son ambition et son exécution, au moins jusqu’aux 2/3.

Remerciements à Yoan Orszulik.

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En résumé

Plus qu'une tragédie antique, Athena est un film de siège épique, une fresque guerrière aux images absolument phénoménales... avant de s'endormir peu à peu et d'abandonner son énergie du chaos. S'il était allé au bout, Romain Gavras aurait pu signer un grand film presque métaphysique. Ce n'est pas le cas, malgré des qualités immenses.
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10

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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