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À la découverte de Kinuyo Tanaka

À l’occasion de la rétrospective que lui consacre actuellement Carlotta, retour sur le parcours de Kinuyo Tanaka, actrice phare du cinéma japonais ayant entrepris une carrière de réalisatrice durant la seconde moitié des années 50. L’occasion d’évoquer succinctement ces six longs métrages qui démontrent une personnalité atypique à plus d’un titre.

Lorsqu’elle entreprend la réalisation de son 1er long métrage Lettre d’amour, en 1953, Kinuyo Tanaka a déjà une longue carrière d’actrice derrière elle. Une carrière démarrée très jeune dans le cinéma muet, avant de devenir une interprète de renom sur l’archipel collaborant avec des cinéastes comme Yasujirō Ozu et Mikio Naruse, sans oublier Kenji Mizoguchi avec lequel elle travailla à 15 reprises. L’auteur des Contes de la lune vague après la pluie refuse de signer une lettre de recommandation pour que Tanaka puisse passer à la réalisation, entrainant une brouille avec cette dernière. Cependant le soutien de nombreux réalisateurs va permettre à la comédienne de passer derrière la caméra. L’actrice s’était déjà fait la main en assistant Mikio Naruse sur son long-métrage Frère aîné, sœur cadette, en 1952. Adapté d’un roman de Fumio Niwa, auteur qu’avait déjà adapté Naruse en 1950 avec La bataille de roses, Lettre d’amour est l’occasion pour Tanaka de démontrer un vrai savoir faire. À travers l’histoire de Reikichi, un ancien marine marqué par la seconde guerre mondiale, qui passe ses journées à déambuler dans les rues de Tokyo jusqu’à ce que son ancien amour Michiko refasse irruption, Tanaka joue sur plusieurs tableaux. D’un côté le film poursuit l’exploration sans concession des affres du Japon de l’après guerre, tel que pouvait le faire Akira Kurosawa dans Un merveilleux dimanche et L’ange ivre, tout en assumant d’être un mélodrame. Le film fait preuve d’une utilisation très subtile des codes du genre, notamment les éléments naturels et les décors pour extrapoler les sentiments à fleur de peau des protagonistes. Qu’il s’agisse des rayons du soleil nimbant Michiko lorsqu’elle s’éloigne de Reikichi dans un parc, ou l’utilisation d’un travelling dans un train accompagnant l’arrivée d’un flashback sur l’enfance bucolique de notre couple principal. Un lyrisme doublé d’un refus du manichéisme en évoquant la sensibilité, et par extension le traumatisme, de Reikichi, ainsi que la condition des femmes ayant eu des relations avec des soldats américains, via les lettres écrites par Naoto Yamaji, l’ami de Reikichi. La sobriété de l’ensemble renforcée par l’efficacité de la mise en scène fait de Lettre d’amour un très bon exemple de long-métrage n’ayant pas les défauts que l’on prête généralement aux premiers essais de nombreux cinéastes.

Lettre d’amour de Kinuyo Tanaka

Pour son deuxième film, La Lune s’est levée en 1955, la réalisatrice récupère un projet initialement développé par Yasujirō Ozu pour la Shintoho avant d’atterrir à la Nikkatsu. Bien que le film porte la forte empreinte du réalisateur de Voyage à Tokyo, comme l’atteste la présence du compositeur Takanobu Saitô et de l’acteur Chishû Ryû, La Lune s’est levée permet de mieux cerner la démarche artistique de Tanaka en tant que réalisatrice. Une artisane touche à tout, changeant de style en fonction du sujet des films, quasiment aucun mouvement de caméra ici, insufflant sa personnalité de manière transversale. La réalisatrice évite ainsi de copier ses maitres, en faisant de l’espièglerie de Setsuko, la benjamine cherchant à renouer les sentiments entre sa soeur et l’ami de son beau-frère, un symbole de bienveillance. Une thématique déjà présente à travers les personnages secondaires de Lettre d’amour, et que l’on retrouvera dans le reste de la filmographie de Tanaka. Idem pour l’aspect cyclique des récits, qui s’ouvrent généralement sur le ciel avant d’aller vers le bas, pour repartir vers les cimes au moment du générique de fin. L’utilisation à nouveau subtile d’éléments naturels, ici le clair de lune, pour appuyer la naissance des sentiments des protagonistes finit d’appuyer l’empreinte artistique de Tanaka.

La Lune s’est levée de Kinuyo Tanaka

Pour son troisième long-métrage, Maternité éternelle, tourné la même année, toujours sous la houlette du producteur Hideo Koi, Tanaka et la scénariste Sumie Tanaka, collaboratrice récurrente de Naruse, s’inspire de la vie de Fumiko Nakajō, poétesse waka morte à 31 ans d’un cancer du sein. Considéré comme le 1er film personnel de sa réalisatrice, Maternité Éternelle, est l’occasion pour Kinuyo Tanaka de montrer sa fidélité envers certains collaborateurs. Takanobu Saitô revient s’occuper de la musique. Côté interprètes, on retrouve Masayuki Mori qui interprétait le rôle central de Lettre d’amour, l’actrice Yumeji Tsukioka présente également dans son 1er film, et qui reviendra pour Mademoiselle Ogin, ainsi que Yôko Sugi qui tenait un second rôle dans La Lune s’est levée. Maternité éternelle reprend les figures de style : inserts à des moments décisifs, éléments naturels, cadre dans le cadre… des précédents longs métrages de Tanaka pour les pousser à leur paroxysme. Le film est un mélodrame social qui pourrait sombrer dans le misérabilisme, mais qui par son traitement à la fois pudique et lyrique, parvient à toucher en plein coeur. Bien que le film n’épargne aucun malheur à son héroïne, brillamment interprétée par Yumeji Tsukioka, il garde une humanité palpable liée à la bienveillance dont font preuve certains protagonistes secondaires, comme le journaliste venu faire un article sur les poèmes de l’héroïne. La réalisatrice fait la part belle à de nombreuses idées visuelles (surcadrage, travelling avant) qui traduisent l’enfermement de sa protagoniste, ainsi qu’aux fusils de tchekhov : dessin d’enfant, miroir, chemin vers la morgue… dupliquant l’impact émotionnel du dernier acte. Une manipulation des émotions à but cathartique qui n’est pas sans annoncer ce que l’on retrouvera bien des décennies plus tard dans E.T. l’extraterrestre, Lorenzo ou Quelques minutes après minuit, et qui chez Tanaka accompagne un sentiment de révolte.

Maternité éternelle de Kinuyo Tanaka

Passé ce coup de maitre, la réalisatrice attendra cinq ans pour reprendre la réalisation avec La Princesse errante. À l’origine du projet, la sortie en 1959 de la biographie de Hiro Saga fille du marquis Saga lié à la famille de l’empereur Hirohito, qui épousa en 1937 le prince Pujie, frère de Puyi le dernier empereur de la dynastie Qing. Un projet d’adaptation cinématographique est mis immédiatement en chantier par la Daei via un contrat avec Saga. Pensé comme un josei eiga, un film à destination d’un public féminin, la réalisation est confiée à Tanaka et l’adaptation scénaristique à Natto Wada, fidèle collaboratrice du cinéaste franc tireur Kon Ichikawa (Feux dans la plaine, La harpe de Birmanie), tandis que le rôle principal est tenue par Machiko Kyô (Rashomon, Les portes de l’enfer). Bien que le film soit à remettre dans le contexte de production de son époque, ne surtout pas s’attendre à une critique frontale de l’occupation japonaise en Mandchourie, La Princesse errante n’en demeure pas moins une réussite artistique sur de nombreux points. S’inscrivant dans le sillage des superproductions historiques des années 60, le film bénéficie d’une photographie et d’une direction artistique somptueuses assurées respectivement par Kimio Watanabe et Shigeo Mano, tous deux ayant auparavant oeuvré sur Le satellite mystérieux, 1er film de science fiction japonais en couleur. Un véritable festin pour les yeux, que ce soit lors du mariage de Saga ou l’errance de cette dernière dans les plaines de Mandchourie, auquel vient s’ajouter la mise en scène de Tanaka. La réalisatrice utilise pleinement le cinémascope, jouant sur les cadres centrés afin de maximiser ses effets, à tel point que la composition des cadres témoigne d’une véritable maniaquerie picturale. Cependant loin de verser dans l’illustration, cette dernière profite de son nouveau format pour induire les rapports des personnages à travers les décors et les vues de profil, notamment pour annoncer la future séparation du couple. Par ailleurs les scènes d’action, bien que succinctes, n’en demeurent pas moins hargneuses. À cela vient s’ajouter la structure de l’histoire qui démarre comme un conte de fée avant de bifurquer vers un film de guerre, ayant pour but de mettre à mal l’image aristocratique de son héroïne. Le film se termine sur une note désabusée montrant une volonté de renouer avec un certain pacifisme entre le Japon et la Chine, propre aux idéaux des années 60 qui allaient secouer le monde.

La Princesse errante de Kinuyo Tanaka

L’année suivante Tanaka retrouve le producteur de Lettre d’amour, Ichiro Nagashima, pour mettre en images La Nuit des femmes pour le compte de la Toho. Centré sur le parcours de Kuniko (Hisako Hara) une pensionnaire d’une maison de réhabilitation pour d’anciennes prostituées qui cherche à réintégrer la société, ce cinquième long-métrage est une réussite miraculeuse, comparable à Maternité éternelle. Le traitement du film, hyper casse gueule sur le papier, marche en permanence sur le fil du rasoir, évitant bien des écueils de la représentation de la prostitution sur grand écran. Ce nouveau mélodrame social adopte le point de vue de son héroïne, évitant toute forme de jugement moral, préférant questionner le spectateur par l’entremise de cette dernière et de sa relation avec la directrice de l’institut. Cette dernière apparait avec le jardinier que rencontrera Kuniko lors de ses travaux agricoles, comme une nouvelle incarnation de la bienveillance à l’oeuvre dans le cinéma de Kinuyo Tanaka. Le film fait le chemin inverse de Maternité éternelle, partant cette fois-ci des ténèbres pour aller vers la lumière. La critique fonctionne ici sur les deux tableaux. Kuniko est à la fois victime de se son statut de femme mais également de son statut social, lui valant les pires sévices de la part de ses camarades d’usine. Le tout culminant dans un final, où le sentiment de révolte palpable à l’écran s’en prend au déterminisme social qui condamne une relation sentimentale entre deux individus. La Nuit des femmes démontre à nouveau l’immense talent de Tanaka pour aborder des sujets difficiles sans jamais renier la force du langage cinématographique. L’utilisation du cinémascope et la présence du chef opérateur Asakazu Nakai, fidèle collaborateur d’Akira Kurosawa, confirme cette volonté de traiter son sujet avec une véritable déférence visuelle.

La Nuit des femmes de Kinuyo Tanaka

Pour son 6ème et dernier long métrage, Mademoiselle Ogin, Kinuyo Tanaka se tourne vers une boite de production indépendante: Ninjin Club, créée par les actrices Yoshiko Kuga, Keiko Kishi et Ineko Arima. Cette dernière tenant le rôle titre. Situé à la fin du XVIe siècle, alors que le Christianisme est interdit au Japon, le film narre l’histoire d’amour impossible entre Ogin-sama et le samouraï Ukon Takayama (Tatsuya Nakadai) converti au christianisme. Bien que le sujet conserve une certaine approche sentimentale, le long métrage apparait comme le plus minimaliste et épuré de sa réalisatrice. Reposant sur une succession de huis clos, l’épure visuelle de l’ensemble est en parfaite adéquation avec la structure du récit qui va droit à l’essentiel. Le film bénéficie de l’appui de nombreux collaborateurs du réalisateur Masaki Kobayashi (ce dernier rendra hommage à Tanaka en créant un prix à son nom au Prix du film Mainichi) qui tournait au même moment Harakiri. À savoir le chef opérateur Yoshio Miyajima, le monteur Hisashi Sagara et le directeur artistique Junpei Oosumi. Cependant Kanata joue sur une approche beaucoup moins maniériste que le cinéaste de La condition de l’homme, préférant miser sur l’imperceptible notamment dans son approche de la couleur. Ce qui ne l’empêche pas de jouer à nouveau sur l’extrapolation des sentiments par l’entremise d’éléments naturels, notamment lors d’un contre champ sur la pluie, lorsque Takayama évoque son statut de martyr chrétien. Le tout menant à un climax, véritable morceau de bravoure où la réalisatrice, retrouve l’essence même du cinéma, en créant une tension sournoise liée à un suicide collectif, en misant uniquement sur le choix des cadres, la peur silencieuse des interprètes, et le hors champ. Une scène virtuose dont la symbolique visuelle finale fait écho à celle de Maternité éternelle. Cette conclusion radicale marque le point final de la brillante carrière de sa réalisatrice. Cette dernière verra sa carrière décliner l’obligeant à se rabattre vers des rôles à la télévision, avant de revenir sur le devant de la scène grâce à son rôle dans le drame historique Sandakan N°8 de Kei Kumai qui lui vaudra le prix de la meilleure actrice au Kinema Junpō, ainsi que l’ours d’argent de la meilleure actrice au festival de Berlin en 1975.

Mademoiselle Ogin de Kinuyo Tanaka

À travers ses six longs-métrages Kinuyo Tanaka aura démontré sa faculté d’aller d’un genre à l’autre avec la même aisance et la même justesse. Une très belle incarnation du cinéma d’artisan d’autrefois dont Tanaka était une brillante représentante, et dont le talent n’avait rien à envier à ses collègues les plus prestigieux. Une oeuvre à faire redécouvrir au plus grand nombre.

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