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Largement délaissé depuis de nombreuses années, le yakuza eiga, ou « film de yakuza », à l’image du western aux USA, semble parfois renaître le temps d’un film flamboyant. C’est le cas avec The Blood of Wolves de l’étonnant Kazuya Shiraishi, à la fois hommage aux plus grands représentants du genre et morceau de cinéma énervé et viscéral comme le Japon n’en produit plus assez.

Avec 12 films réalisés depuis 2009, plus quelques séries, Kazuya Shiraishi s’inscrit dans la grande tradition des réalisateurs japonais stakhanovistes. Et comme pour ses pairs, il y a à boire et à manger dans son travail. Si sa création la plus connue en France est L’Aube des félines, film faisant partie du projet de renaissance du roman porno (avec notamment Antiporno de Sion Sono), c’est avec The Blood of Wolves qu’il signe en 2018 son véritable coup d’éclat. Une année pendant laquelle il fut extrêmement prolifique avec pas moins de 3 longs métrages sortis au cinéma, dont Dare to Stop Us, film consacré à Wakamatsu Production où il fit ses armes en tant qu’assistant de Kôji Wakamatsu. The Blood of Wolves est à l’origine un roman signé Yûko Yuzuki et intitulé Le Loup d’Hiroshima. Un roman prenant pour cadre une guerre des gangs à Hiroshima. L’inspiration de l’autrice, autant que celle de Kazuya Shiraishi, n’est autre que le véritable pilier du genre yakuza eiga, à savoir la série des Combat sans code d’honneur de Kinji Fukasaku sortis entre 1973 et 1974 (5 films tout de même, Fukasaku étant également un modèle au niveau de sa cadence de travail). Et si le genre brillait dans les années 70, il a fini par s’évaporer quelque peu, revenant sur le devant de la scène de façon très sporadique grâce notamment à Takeshi Kitano, qui a lui aussi rendu l’hommage qu’il se devait à Kinji Fukasaku. Quoi qu’il en soit, en 2018 arrive The Blood of Wolves, sans trop prévenir, et tel un phénix mais dopé aux hormones, le film de yakuza renaît une nouvelle fois de ses cendres. Mais de façon totalement décomplexée et franchement énervée.

Pendant un peu plus de 2 heures, Kazuya Shiraishi va dérouler un programme qui, bien entendu, n’étonnera aucun amateur du genre. Tout y est, des yakuzas qui partent au quart de tour, des flics corrompus, de la torture, des meurtres bien sales, des gens qui se gueulent dessus très fort ou se mettent des grosses mandales, des prostituées, des gens qui se vengent, des pervers, et même des cochons pour bouffer des corps et maquiller des meurtres. Sur le papier, The Blood of Wolves ressemble à s’y méprendre à un petit yakuza eiga illustré. Sauf que tous ces passages obligés avec lesquels il jongle, le film les utilise pour rendre le meilleur des hommages possibles à Combat sans code d’honneur, et ce jusque dans le lieu de l’action, à savoir Hiroshima. Le choix est ici fait de se concentrer sur l’affrontement, ou plutôt le risque d’affrontement menant à une guerre, entre les deux gangs se partageant la ville. Mais essentiellement à travers un duo de personnages qui appartiennent à l’autre bord : la police. Mais des flics pas comme les autres, avec d’un côté Shogo Ogami, surnommé « Wolf », loup solitaire avec tellement d’expérience à naviguer au milieu des yakuzas qu’il en a adopté quelques méthodes. Et à ses côtés un jeune flic plein d’entrain et de principes, envoyé pour coller aux basques de Wolf par l’équivalent japonais de l’IGS. En gros, les méthodes de l’ancien et ses apparentes accointances avec la mafia locale dérangent les hauts gradés, et un jeune bien malléable est envoyé pour le faire tomber. Un schéma là encore bien connu car très classique du flic ripou et du flic honnête, façon Training Day, sauf que Kazuya Shiraishi va littéralement le faire exploser dans un retournement de situation extrêmement bien mené à l’aube du dernier acte. Pas de quoi se faire retourner le cerveau pour autant, mais simplement une belle qualité d’écriture pour construire des personnages finalement très cohérents. Mais surtout pour développer une certaine ambiguïté morale qui habite tout le film. C’est (malheureusement) suffisamment rare pour être signalé : tout n’est pas blanc et tout n’est pas noir, chaque personnage et chaque camp dans The Blood of Wolves possède ses zones d’ombre et de lumière. Ce qui les rend tous fascinants, car derrière ce qui ressemblait à un alignement de caricatures issues du genre se cachent en réalité des personnages pleins de relief, de valeurs et de failles. Et si le film n’a pas nécessairement d’autre ambition que celle d’être une noble série B, sa façon d’aborder la condition humaine dans ce qu’elle a de plus complexe le rend d’autant plus noble dans sa démarche.

Ceci étant dit, The Blood of Wolves n’a rien d’un film qui va intellectualiser son propos aux dépens d’un premier degré très rentre-dedans. Le but premier de Kazuya Shiraishi, au-delà de vouloir faire renaître un genre majeur, est de proposer un véritable divertissement à son public. Pas tous les publics évidemment, car le film est parfois extrêmement violent. Mais l’idée est là, faire le spectacle, avec tout ce que cela implique. Ainsi, dès la brutale introduction, qui fait dans la torture à base de cochons et de doigts coupés, le ton est donné. Un ton qui ne déviera jamais ni ne faiblira, avec une narration qui ne joue pas l’originalité mais l’efficacité. De telle sorte que les quelques deux heures passent comme une lettre à la poste. Si derrière il se permet un discours un brin politique sur les liens ténus entre les gangsters et les hauts fonctionnaires, c’est simplement un élément qui s’insère assez naturellement dans le projet global et non au chausse-pied. Avant toute chose, The Blood of Wolves est un pur yakuza eiga, qui rend un hommage appuyé au genre plutôt que de chercher à l’analyser ou le déconstruire, comme a pu le faire Takeshi Kitano, brillamment. Ici, le film prend la forme d’une course contre la montre avec Wolf qui use de tout ce qu’il peut, et surtout de méthodes pas très orthodoxes, pour éviter que la ville d’Hiroshima ne se transforme en théâtre d’une nouvelle guerre des gangs. Tout le panel y passe, de la séduction lourdingue à la torture violente, en passant par des interrogatoires musclés et des rencontres sous tension. Kazuya Shiraishi réussit parfaitement à conserver la zone de flou qui caractérise le personnage de Wolf. Est-il un flic droit aux méthodes peu recommandable ou un ripou de mèche avec un des gangs de yakuzas ? L’auteur tient suffisamment bien sa ligne pour que le spectateur n’ait jamais un coup d’avance sur le personnage de Shuichi Hioka, le jeune loup, dont on adopte le regard. On se retrouve d’autant plus impliqué lorsque arrive le dernier acte et le torrent de rage qui va avec. Tout fait alors sens, et le film fonce tête baissée jusqu’à son final aussi malin que musclé, et forcément salvateur. Et d’ailleurs, jusqu’à la dernière image, le film ne cherche pas à faire la leçon sur ce qui serait bien ou mal, en usant d’un toujours efficace « tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins ».

Tourné dans un beau scope granuleux lui donnant un cachet indéniable, avec une caméra mobile, souvent à l’épaule mais toujours très lisible pour capter le chaos ambiant ou couvant, mais sachant se poser quand il faut, comme lors de séquences de dialogues majeures, The Blood of Wolves est un film qui a de la gueule. Une véritable ambition formelle, mais sans fioritures, pour renouer avec un cinéma d’antan quand le cinéma japonais contemporain a tendance à ne plus vraiment prendre soin de ses images. Une application totale de la part de Kazuya Shiraishi qui reste très cohérent dans ses choix et recherche une forme d’efficacité sur tous les plans. Mais également une certaine générosité, dans la violence notamment, qui renoue là également avec une certaine tradition liée au genre. Même si ici, les abondantes gerbes de sang sont sans doute plus réalistes. Mais si le film réussit très bien ce genre de séquence, non sans un certain humour noir parfois comme lors de l’interrogatoire douloureux (avec une belle extraction de perle dans les parties génitales d’un yakuza) façon pinku eiga, avec parfois un véritable déchainement de violence viscérale, nombre de ses scènes intimistes sont un véritable régal. Elles doivent autant à la capacité de Kazuya Shiraishi à s’adapter à son sujet qu’à de véritables monstres d’interprétation à l’écran. En tête, l’immense Kôji Yakusho qui livre une nouvelle fois une prestation venue d’ailleurs. Dans l’excès évidemment, comme le veut son personnage, mais également tout en nuances de ton. Face à lui, Tôri Matsuzaka n’a pas à rougir tant il apporte à son personnage, tant en rage contenue et qui finit par exploser qu’en délicatesse et maladresse qui le rendent immédiatement attachant. Il est d’ailleurs le principal véhicule d’un humour un peu naïf qui fonctionne extrêmement bien. A leurs côtés, le reste du casting principalement composé de gueules incroyables n’est jamais en reste et permet d’apporter énormément de matière à The Blood of Wolves. Tout cela ne révolutionne rien du tout, mais derrière l’hommage évident (à Combat sans code d’honneur mais également au chef d’oeuvre Police contre syndicat du crime) l’énergie et la maîtrise qui émanent du film de Kazuya Shiraishi en font un yakuza eiga contemporain absolument redoutable. Le film a par ailleurs rencontré un beau succès au Japon, public et critique avec de nombreuses récompenses glanées dans les cérémonies locales, ce qui lui aura valu de bénéficier d’une suite baptisée Last of the Wolves.

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En résumé

Réveillé par la saga Outrage de Kitano, le yakuza eiga retrouve encore un peu de sa superbe grâce à The Blood of Wolves. Un film qui brille par sa conception appliquée, son efficacité redoutable et sa violence parfois inouïe. Un vrai et bel hommage au genre en même temps qu'un de ses fiers derniers représentants.
8.5
10

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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