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Quelques minutes après minuit – Critique

Avec Quelques minutes après minuit, son troisième long-métrage, Juan Antonio Bayona s’impose définitivement comme l’un des plus beaux porte-drapeaux d’un cinéma espagnol aux émotions exacerbées. Un cinéma qui place l’amour au centre de l’univers, comme dernier rempart aux agressions extérieures. Un cinéma qui refuse tout cynisme. Un cinéma beau à en pleurer et qui utilise le fantastique comme vecteur fondamental du parcours d’un enfant vers l’âge adulte. C’est dur et délicat à la fois, et d’une justesse bouleversante.

Prenons les paris. Lorsque Quelques minutes après minuit sortira sur les écrans français début 2017, il essuiera à peu près les mêmes critiques que les deux précédents films de J. A. Bayona. A savoir : sentimentalisme exacerbé, académisme, grandiloquence et/ou inspiration trop marquée. Soit le petit catalogue habituel des reproches lancés aux metteurs en scène qui ont une foi inébranlable en le sujet qu’ils filment. Steven Spielberg et Mel Gibson, entre autres, sont passés par là. Leurs films sont entrés dans l’histoire. La comparaison est là car le réalisateur espagnol est à ce niveau. En trois films seulement, celui qui fut soutenu très fort par Guillermo del Toro lors de son premier essai s’impose déjà, et sans l’ombre d’un doute, comme un des quelques auteurs qui vont marquer leur époque. Tout simplement car ses trois films sont probablement ce qu’il y a de plus juste au moment d’aborder le sujet complexe de l’amour entre un enfant et ses parents, à travers le prisme du drame. J. A. Bayona utilise ce catalyseur comme élément révélateur de la pureté de cet amour, et ce qu’il implique sur un plan psychologique. Après la disparition, après la séparation sur fond de catastrophe naturelle, place à la maladie. Et c’est aussi beau que déchirant.

Les films de J. A. Bayona sont difficiles à encaisser. Et ce pour une raison assez simple, qui va bien au-delà de leur sujet. Ils abordent frontalement les pires angoisses de l’être humain. Qu’il s’agisse de celles de l’enfant ou d’un parent. Avec Quelques minutes après minuit, adaptation par lui-même du roman de Patrick Ness, le réalisateur catalan adopte pour la première fois le point de vue unique de l’enfant face au drame de la maladie. Par cet aspect, mais également par celui de l’appel au fantastique et de la destruction du mur entre rêve et réalité, par le recours à l’animation et au conte, il entretient un rapport très intime avec le cinéma de Guillermo del Toro. Et en particulier avec son chef d’œuvre, Le Labyrinthe de Pan. On retrouve ainsi ces légendes permettant de mieux appréhender la difficulté et la cruauté du monde réel. Ou cette foi en la force de l’imaginaire chez l’enfant, avec ce deuxième monde servant à la fois de refuge et de lieu de réflexion. Ce point de vue adopté se traduit autant par la narration, clairement articulée autour du personnage de Conor, que par les choix de mise en scène qui font la part belle à des contre-plongées majestueuses créant la sensation que le monde entourant Conor est bien trop vaste et impressionnant pour lui. Il y a quelque chose de très beau et de très sensible dans la façon dont le réalisateur capte la profondeur d’un mal-être sans que le film ne paraisse littéraire. Ainsi, pour caractériser son personnage, il accentue le contraste entre un réel où Conor est un petit garçon introverti et persécuté, et un monde imaginaire dans lequel il devient maître de son destin. Quand ces deux mondes se rencontrent, illustration d’un esprit qui dérape, d’une perte de contrôle et de rationalité totale, la violence du choc donne lieu à une séquence aussi impressionnante que bouleversante.

Cette délicatesse à capter la psychologie d’un enfant à travers une exploration de ses cauchemars, et via un inexorable abandon aux manifestations de son inconscient, montre une impressionnante maturité chez le réalisateur de L’orphelinat. De la même façon, dans une industrie qui se contente de reproduire avec nostalgie des figures du passé, il montre pour sa part une compréhension totale de l’approche spielbergienne sans pour autant en singer quoi que ce soit. Ce qui se traduit à l’écran par une approche au premier degré, des sentiments exacerbés (ce qui vaudra certainement à Quelques minutes après minuit d’être taxé bêtement de tire-larmes) et une foi inébranlable en la puissance des contes et des mondes imaginaires. J. A. Bayona se fait volontiers l’héritier de grandes figures du cinéma fantastique, explorant à sa manière, via le prisme de l’intime les notions d’acceptation de l’autre, de différence et la frontière entre le bien et le mal. Ce n’est ainsi pas un hasard s’il convoque assez tôt dans son récit la figure du King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, qui lui permet également d’amener inconsciemment, pour le spectateur, le thème central de son film : l’injustice de la perte de l’être aimé. Et avec cela, la peur et la colère qui l’accompagnent.

Il illustre le processus de préparation au deuil, état induit par la présence d’une maladie très grave, par un lâcher-prise vis-à-vis de l’imaginaire. L’enfant va s’abandonner aux histoires, à cet autre monde dans lequel il parvient à se sentir si fort, pour mieux apprendre à dompter et affronter le réel. “Stories are wild creatures. When you let them loose, who knows what havoc they might wreak?”. Ces histoires, ce sont des émotions. Elles sont le symbole vivant de l’apprentissage et l’omniprésence de figures temporelles traduit l’urgence de cet apprentissage qui, chez l’enfant dont la mère ne serait pas malade, se fait de façon plus douce. Et si les actes de Conor semblent au premier abord traduire les prémices d’une démence, ils sont en réalité la preuve qu’il est sain d’esprit. Ainsi, lorsqu’il détruit, lors d’une crise salvatrice, l’horloge si précieuse de sa grand-mère, ce n’est pas simplement pour passer ses nerfs mais, comme le suggère l’histoire qu’il vit au même moment et dans laquelle il a pu entrer aux côtés du monstre, pour littéralement détruire ce temps qui s’écoule inexorablement et qui le mène vers ce drame qu’il refuse de vivre. Soit l’illusion enfantine de contrôler le temps, disparaissant progressivement face à l’apocalypse à venir. L’allégorie tient une place forte dans Quelques minutes après minuit, et le film est truffé de symboles. Autant dans les trois histoires du monstre, véritables merveilles d’animation, que dans la grande séquence de cauchemar ou, comme dit précédemment, dans les images du réel.

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La séquence de cauchemar, expression pure de l’inconscient du jeune héros, contient par ailleurs lors de sa dernière apparition un plan d’une beauté incroyable, autant par sa structure que par sa signification. Un plan en plongée, qui déjà contraste avec le point de vue du film, très en hauteur, et qui place Conor au centre d’un tableau constitué du vide à la droite de l’écran, et d’un sol complètement brisé à gauche. Soit une illustration parfaite de son choix impossible : accepter de laisser partir sa mère et vivre dans un monde en ruines mais qu’il pourra reconstruire ou refuser et se condamner à une chute inexorable. Une image finalement très simple mais qui, à l’image des récits du monstre, parle d’elle-même de par sa logique interne et sa façon de s’adresser à l’inconscient. Du pur cinéma.

Un autre choix intelligent, et subtil, tient dans le fait d’avoir confié la présence du monstre à Liam Neeson. Sa voix rassurante en fait immédiatement une figure protectrice pour l’enfant, mais cette voix prend tout son sens lorsque, au détour d’un plan furtif, sa photo apparait à l’écran. Par cette association, mais également à travers le personnage complexe de Sigourney Weaver, J. A. Bayona vient illustrer le rôle essentiel des grands-parents dans le processus de deuil. Qu’ils soient présents physiquement ou de façon symbolique. Tout cela, il le fait avec une délicatesse et une subtilité telles que le résultat est imparable. Cette délicatesse qui parcourt tout le récit s’exprime également par la mise en scène mais aussi par le montage. A ce niveau, J. A. Bayona et ses monteurs Bernat Vilaplana et Jaume Martí ont fait un boulot remarquable de fluidité et d’élégance. De quoi sublimer encore Quelques minutes après minuit, cette œuvre magnifique qui touche en plein cœur par une véritable démonstration de la force évocatrice du cinéma et des contes, comme rempart contre la cruauté du monde réel, mais également comme outil pour mieux l’appréhender et l’affronter. Soit quelque chose de très intimement lié au Labyrinthe de Pan.

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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