Primé au dernier festival d’Annecy le nouveau long métrage de Keiichi Hara est une évocation de la fille du célèbre peintre et dessinateur Katsushika Hokusai. Un choix audacieux permettant au film de proposer une œuvre singulière, à la fois passionnante et risquée.
Entre 1983 et 1987 Hinako Sugiura publie le manga Miss Hokusai, centré sur la vie de O-Ei qui aida le peintre vivant à Edo dans ses nombreuses créations. Près de 28 ans après la fin de sa publication Keiichi Hara adapte cette œuvre sur grand écran. Le réalisateur retrouve son scénariste de Colorful, Miho Maruo, qui se charge de l’adaptation tandis que le studio Production I.G. co produit l’ensemble en confiant à Kôji Tanaka (Ghost in the Shell : Stand Alone Complex) la direction de la photographie. Deux collaborateurs de Mamoru Hosoda viennent épauler l’équipe, le monteur Shigeru Nishiyama et le directeur artistique Hiroshi Ono. Pour le casting vocal c’est Anne Higashide (fille de Ken Watanabe) qui se charge du personnage principal, secondée par Yutaka Matsushige (Ring), Kumiko Asô (Kaïro) et la débutante Shion Shimizu.
Passé le préambule décalé sur fond de musique rock, le film se focalise sur le quotidien d’ O-Ei à Edo au début du XVIIIème siècle. La grande force de Miss Hokusai réside dans son parti pris narratif. En se focalisant sur une proche du célèbre peintre, Hara permet à son film de sortir des sentiers battus du biopic et de créer une variation thématique autour de l’œuvre de Hokusai. On voit à quel point sa fille a compté pour son œuvre, au point d’avoir réalisé elle même de nombreuses illustrations et peintures. Toujours dans une volonté d’originalité Miss Hokusai n’hésite pas à mêler le quotidien réaliste des Hokusai avec l’univers mythologique de leurs œuvres. La Grande Vague de Kanagawa y est convoquée, comme les dragons qu’affectionnait le peintre. Non pas comme simple inspiration mais comme réalité tangible dans laquelle évoluent les personnages, au point que l’auteur du Spectre d’Oiwa-san est un spécialiste des esprits. Katsushika utilise ses peintures pour venir en aide aux gens aux prises avec les yōkai Les confrontations surnaturelles donnent lieu à de beaux morceaux de bravoures : les bras qui s’étendent à l’infini, l’esprit qui cherche à s’extirper du corps d’une courtisane… .

Hara mêle le trait pictural caractéristique de Hokusai avec l’animation 2D et des éléments de décors en CGI. Si le résultat n’est pas aussi abouti que sur d’autres productions, il démontre à quel point l’art des Hokusai se mêle à leur propres aventures et que son influence est intemporelle sur des courants artistiques. Le cinéaste allant jusqu’à créer une analogie entre les bouddhas écrasant des maisons et les Kaijû Eiga en utilisant un « sound design » tiré des films du genre. Le long métrage réussit l’exploit de rendre intuitif et ludique des concepts théoriques assez ardus. Idem pour la partition musicale de Harumi Fuki qui mêle des instruments traditionnels avec des sonorités rock contemporaines pour un résultat détonnant en parfaite adéquation avec la caractérisation de son protagoniste principal. O-Ei est ancrée dans le XVIIIème siècle mais aspire à plus de modernité, via son désir d’émancipation. Cependant il ne s’agit d’un traitement thématique à la mode mais d’une caractérisation intemporelle.
O-Ei doit s’occuper de sa petite sœur O-Nao (Shion Shimizu), non voyante à la santé fragile délaissée par son père, au point de devenir une mère de substitution. Les moments d’intimité entre ses deux personnages constituent les passages les plus émouvants du film, notamment par leurs sous entendus dramatiques. Cependant la narration mi naturaliste mi fantastique déjoue de nombreuses attentes émotionnelles, notamment dans son climax. Ce dernier en apparence dramatique nous apparaitra optimiste et cohérent vis à vis de ses protagonistes. L’enjeu dépassant le cadre instauré par le récit initial pour toucher à une problématique métaphysique, dont le spectateur sortira paradoxalement apaisé vis à vis du sort réservé à la petite fille. L’aspect elliptique du scénario s’articule autour de scènes précises de la vie de O-Ei, dont le parcours apparait avant tout initiatique vis à vis d’elle même. Ses résonances avec son œuvre traverseront les époques comme en témoigne le plan final. Une narration qui, si elle pourra en décontenancer certains, accentuée par des raccords violents (champs – contre champs) se montre juste et pertinente vis à vis du récit et de la portée émotionnelle qu’elle inclut.