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Quatre ans après la formidable surprise que constituait Crazy Heart, Scott Cooper revient et ne baisse pas de régime. Et s’il explore à nouveau le merveilleux univers white trash, il évite cette fois le mélo musical pour se consacrer à un vaste drame familial sur fond de justice sauvage. Radical et sans concessions, porté par une tribu d’acteurs parmi ce qui se fait de mieux aujourd’hui, Les Brasiers de la colère allie à la manière du cinéma de Clint Eastwood la sobriété et l’élégance du grand cinéma classique hollywoodien à une approche brutale des rapports humains.

Après une petite carrière d’acteur pendant 10 ans, Scott Cooper a eu la très bonne idée de se tourner vers la mise en scène, accouchant en 2009 de l’excellent Crazy Heart, qui offrait au passage un de ses meilleurs rôles à l’immense Jeff Bridges. Pur mélodrame bâti sur des personnages incroyables, ce premier film plantait une graine solide, celle d’un futur très grand réalisateur américain, chose que confirme Les Brasiers de la colère, qui malgré son affiche n’a rien d’un film de genre. Il s’agit d’un pur drame familial dans un univers white trash, une Amérique profonde qu’il explore dans les traces de Wolfe et Faulkner, ses grands modèles littéraires. L’Amérique oubliée, ouvrière, les peuplades déplacées et les familles dysfonctionnelles sont ses grands sujets. C’était le cas dans son film précédent, ça l’est encore. Sauf que cette fois son ambition s’envole en articulant son récit autour d’une galaxie de personnages, gravitant autour de celui incarné par Christian Bale. Bale qui au passage trouve peut-être son rôle le plus complexe et nuancé à ce jour. Le résultat est un drame classique, au sens le plus noble, qui amène délicatement son dilemme moral au terme d’une odyssée familiale dans l’enfer pennsylvanien.

Il y a dans Les Brasiers de la colère, à différents niveaux, des échos au cinéma de Michael Cimino, de Clint Eastwood, James Gray, ou de Sam Peckinpah. Sa narration est des plus classiques, avec toute une première partie d’exposition centrée autour du rapport entre les deux frères, dont le cadet est de retour d’Irak, qui n’est pas sans rappeler la mise en place de Voyage au bout de l’enfer. Le final, jusqu’au-boutiste car ne refusant pas de bafouer la bonne morale, afin de préserver la cohérence totale dans la caractérisation des personnages, tient de la puissance de celui de Mystic River. Le regard sur la famille, la situation du grand frère repenti qui prend le cadet sous son aile n’est pas sans rappeler Little Odessa, ou American History X. Tandis que l’ombre de Bloody Sam plane justement sur ces personnages et la rugosité des situations, ou encore dans la peinture des communautés rurales sans les caresser dans le sens du poil. Film d’hommes essentiellement, voire carrément de « gueules », Les Brasiers de la colère impressionne par l’élégance et la maîtrise d’une grammaire cinématographique somme toute classique, qui ne cède à aucun effet de style gratuit ou hype, préférant se concentrer sur l’essentiel : donner du corps à un récit imparable. Le film aurait très bien pu voir le jour dans les années 70 tant il est âpre et transpire la sueur et le sang. Un ton idéal pour analyser en profondeur la lente chute de cette structure familiale déjà mise à mal au départ, rejetons d’une société en plein échec social. En toile de fond, le milieu ouvrier travaillant dans les hauts fourneaux, bâtiments massifs et vitaux à la population, sur lesquels Scott Cooper s’attarde le temps de multiples plan aériens presque pesants, toujours lourds de sens car ancrant le récit dans un contexte réel bien précis. Il trouve toujours un support assez génial dans la composition de Dickon Hinchliffe, appuyé quand il faut par le Release de Pearl Jam.

La mise en scène de Scott Cooper a beau répondre à une grammaire visuelle qui n’a rien d’inédit, tout comme le récit en lui-même ne révolutionne rien, son alternance entre caméra à l’épaule, toujours maîtrisée et des plans beaucoup plus posés, apporte une belle dynamique à l’ensemble. Il bénéficie par ailleurs d’une lumière magnifique signée Masanobu Takayanagi, qui cherche à capter des textures, à jouer sur des clairs-obscurs, à donner une vie et une histoire à ces matières. Une photographie logiquement assez sombre, d’où se détachent les corps meurtris de ces protagonistes dont le destin tragique semble scellé dès leur apparition dans le cadre. Les Brasiers de la colère joue sur une multitude de lieux dans une évolution logique, même si la plupart semblent tristement désert. De l’introduction brutale, qui en quelques minutes de folie définit parfaitement le personnage incarné par Woody Harrelson, dans une composition illuminée, au final digne d’un western dans le décor d’une usine désertique, Scott Cooper développe une multitude de textures pour capter son Amérique. Et si l’ensemble est un film extrêmement amer, autour d’un homme prêt à tout pour que justice soit faite, voire carrément brutal dans le traitement, Les Brasiers de la colère ne manque pas de moments de grâce et de pure émotion. Un coup de fil, des retrouvailles, l’annonce tragique d’un flic qui vient taper à la porte… le réalisateur est capable de se passer d’innombrables détails, sait jouer de l’ellipse et se montre suffisamment habile et efficace pour se contenter de subtilités, sans jamais trop en faire. Un metteur en scène solide capable de se mettre au service de ses comédiens qui portent littéralement le récit. Tous livrent des performances incroyables, de Casey Affleck, à fleur de peau puis animal lors de séquences de combats clandestins parmi les plus puissantes depuis Le Bagarreur, à Willem Dafoe impeccable en petit parrain du coin, en passant par le toujours aussi impressionnant Sam Shepard ou encore une Zoe Saldana toujours sous-exploitée mais qui retrouve enfin un petit rôle conséquent. Tous ces grands acteurs dans des compositions de très haut niveau donnent encore plus de valeur à l’interprétation géniale de Christian Bale. Taciturne, sage, fidèle à ses valeurs du début à la fin, il incarne un homme complexe face à une situation terrible et livre clairement une des plus belles prestations de sa carrière, sans performance physique cette fois. Tous les ingrédients sont réunis pour faire des Brasiers de la colère un brillant et ample drame, à la fois violent et bouleversant, tout en amenant un passionnant questionnement moral, qui a tout d’un futur classique et dresse l’air de rien un formidable instantané d’une réalité américaine.

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En résumé

8.5
10

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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