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« J’étais trop en avance sur mon temps ». C’est la réponse que donne régulièrement John Carpenter, quand on lui demande d’expliquer l’échec de Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin. Aujourd’hui considéré comme une œuvre importante, aussi bien dans sa filmographie que dans son approche cinégénique visionnaire, ce fut loin d’être le cas lors de sa sortie en salles, en 1986.

En 1985, Carpenter commence à se remettre de l’échec de The Thing, survenu 3 ans plus tôt. Grâce au succès de Christine, mais surtout de Starman, qui s’il n’a pas fait grand bruit au box-office, lui a permis de retrouver brièvement l’estime des professionnels. Ce road movie de SF lui a permis de prouver qu’il était capable de conter une histoire d’amour mélancolique, sans renier son style. Le tout couronné par une nomination à l’oscar pour l’acteur Jeff Bridges. C’est dans ce contexte que le cinéaste accepte une commande de la 20th Century Fox : Big Trouble in Little China, ou Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin.

Si l’on évoque régulièrement Howard Hawks, le western, et les films fantastiques comme influences majeures du réalisateur, le cinéma asiatique tiens également une place importante dans l’approche du metteur en scène. Ayant grandi avec les nombreux Kaiju Eiga de Ishirô Honda, en particulier ceux de la saga Godzilla, John Carpenter ira jusqu’à dire que la volonté de créer une icône du mal dans Halloween était lié à sa passion pour le King of Monsters. Bien qu’influencé en grande partie par le roman gothique anglo-saxon et les productions cinématographiques qui en ont découlé, Fog entretient certaines correspondances stylistiques avec Matango d’Honda sortit en 1963. Carpenter est également un grand admirateur de Akira Kurosawa, dont l’influence se retrouve indirectement dans le ditypique consacré à Snake Plissken, puisque tributaire de l’homme sans nom de Sergio Leone, qui lui-même était repris du Sanjuro Kuwabatake de Kurosawa. Du cinéaste des sept samouraïs ont peut également noter une certaine influence dans l’agencement narratif. Durant les 70’s, Big John se prend de passion pour les productions issues de l’Extrême-Orient, en particulier Hong Kong et le Japon. Qu’il s’agisse des productions Golden Harvest avec Bruce Lee, des Wu Xia Pian de la Shaw Brothers ou encore des Chanbara de la Toho. Il était donc inévitable qu’un jour, le cinéaste finisse par exprimer son amour pour le cinéma d’Extrême-Orient.

Au départ, il est question de The Ninja, adaptation du roman d’Eric Van Lustbader, que le cinéaste devait réaliser pour le compte des producteurs Richard D. Zanuck et David Brown (Les dents de la mer, L’arnaque) et du studio 20th Century Fox. Carpenter refuse aussi Golden Child : L’enfant sacré du Tibet, qui finira par devenir une comédie avec Eddie Murphy, pour se consacrer aux Aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin. Le scénario d’origine signé Gary Goldman (futur scénariste et producteur de Total Recall et Minority Report) et David Z. Weinstein (ancien assistant réalisateur sur Le complot diabolique du docteur Fu Manchu) narre les aventures du cow-boy Jack Burton contre les forces maléfiques issues de la chine millénaire, dans le Chinatown de San Francisco au XIXème siècle. Un scénario qui mêle le western et les films de genre asiatiques, soit deux des plus grands amours du cinéaste. Cependant W.D. Richter (scénariste, réalisateur des aventures de Buckaroo Banzai à travers la 8ème dimension), fait remarquer, que le mélange de ces deux genres sera difficile à faire accepter par le public contemporain. Ce dernier transpose l’intrigue dans les 80’s, fait de Jack Burton un camionneur. Loin d’aseptiser le script, Richter en profite pour rajouter de nombreuses idées issues de la suite avortée de son propre long-métrage. À noter que l’intrigue entretient certaines correspondances séquentielles avec celle du Bal des vampires de Roman Polanski, dans lequel deux anti héros partent sauver une jeune femme enlevée par un seigneur maléfique, dans un endroit reculé, qui attend son heure pour régner sur terre, le tout dans un mélange harmonieux entre horreur et humour respectueux de ses modèles. Carpenter s’entoure de son équipe habituelle, Larry Franco à la production, Dean Cundey à la photographie, John J. Lloyd aux décors, Alan Howarth pour co-signer la BO. Tandis que les SFX visuels sont signés Richard Edlund, ancien grand nom d’ILM, parti fonder sa société Boss Film, ainsi que Steve Johnson (S.O.S. fantômes) pour les maquillages, et les créatures. Quant au casting, Kurt Russell retrouve pour la 4ème fois le cinéaste, accompagné par deux comédiens issus de L’année du dragon de Michael Cimino Dennis Dun et Victor Wong. James Hong (Blade Runner), Kim Cattrall (la future Samantha Jones de Sex & City), Kate Burton (fille de richard que l’on retrouvera en mère de James Franco dans 127 Heures) complètent la distribution.

Comme le montre le « John Carpenter’s » présent lors du générique, Big trouble in little China est bien une œuvre de son réalisateur L’affection de Carpenter, pour les anti héros trouve ici une nouvelle incarnation en Jack Burton. Un camionneur beauf et grande gueule, véritable anti-thèse du héros d’action contemporain, auquel Kurt Russell apporte une prestation d’anthologie, légèrement parodique de celle de John Wayne. Le côté vantard du personnage, qui se plait à raconter ses exploits d’autrefois, trouve un contre-pied à travers son incompétence dans les scènes d’action et son incompréhension face aux situations surnaturelles se présentant à lui. Bien que sarcastique, cette figure qui peut se voir comme le réceptacle du spectateur occidental ne vire jamais au cynisme, et se révèle particulièrement attachante. Malgré ses défauts, qui ne le feront guère changer d’un iota y compris à la fin du long métrage, il reste très humain et qu’il garde un semblant d’honneur vis-à-vis de son ami Wang Chi (Dennis Dun), qu’il souhaite aider à retrouver sa fiancée kidnappée par le gang des seigneurs de la mort, et retrouver son camion. Une sorte de « Dude » du Big Lebowski avant l’heure. L’amitié de Burton et Chi, un vieil ami de jeunesse, est l’un des points les plus forts et attachants du long-métrage. Alors que l’époque voit déjà affluer de nombreuses copies du « Buddy Movie » à la 48 heures. John Carpenter construit une amitié sincère, « palpable » à l’écran, du fait que les deux personnages se connaissent depuis toujours. Un cadre narratif propice à une vraie complicité réciproque, qui doit davantage aux relations héritées des westerns d’Howard Hawks (Rio Bravo, La rivière rouge en tête), et au Butch Cassidy et le Kid de George Roy Hill.

D’Howard Hawks, il est également question à travers le personnage de Gracie Law (Kim Cattrall), son tempérament frondeur, ses réparties verbales pleines de tension avec Burton renvoient à la « Screwball comedy » chère au cinéaste de L’impossible Monsieur Bébé. Quant à Wang Chi, véritable héros du film, il n’est jamais rabaissé au niveau du « sidekick oriental » auquel seront réduits Jackie Chan et Jet Li dans les décennies suivantes. C’est à la fois une vraie figure héroïque, au sens 1er du terme, un personnage fouilli, du fait de son passif difficile fait d’une certaine désillusion mais rempli d’espoir quant à la venue à San Francisco de son amour de jeunesse, et un guide pour Burton (et donc le spectateur) envers la mythologie asiatique. La grande force du long-métrage est de ne pas avoir adopté un point de vue « occidental » sur cette culture, mais bien au contraire de l’embrasser au sens propre comme figuré. Carpenter n’hésite pas à faire basculer le récit dans le surnaturel, sans « porte d’entrée » logique au bout d’un quart d’heure de long-métrage, à mélanger action, Kung Fu Comedy et monstres, au sein de nombreuses séquences, à bâtir des univers (l’entrepôt de David Lo Pan, les souterrains de Chinatown) ne fonctionnant que sur une cohérence mythologique et non sur une logique rationnelle. Le tout en gardant un rythme trépidant qui ne faiblit jamais. Autant d’éléments qui construisent un effet miroir avec le mythique Zu, les guerriers de la montagne magique de Tsui Hark, qui du propre aveu de Big John était sa plus grande influence sur le long-métrage. John Carpenter en profite également pour convoquer harmonieusement d’autres grandes figures issues du cinéma asiatique. Si Lo Pan (James Hong) renvoie explicitement à Fu Manchu, le cinéaste débarrasse le personnage de sa connotation xénophobe héritée des romans britanniques de Sax Rohmer, pour en faire une figure certes maléfique, mais non dénuée de prestance, de charisme et surtout d’une aura mythologique qui renvoie au mal « immatériel » cher au cinéaste, et non au « Péril Jaune » auquel le personnage originel était associé.

Les sbires de Lo Pan, nommés les trois tempêtes sont directement repris des trois dieux de la mort du deuxième volet de la saga Baby Cart, l’extraordinaire L’enfant massacre de Kenji Misumi. Quant ils dévoilent leur vrais visage, face aux deux prisonnières hypnotisées, c’est à la fois au sabreur manchot immortalisé par Chang Cheh dans sa trilogie éponyme, aux disciples de La 36 ème chambre de Shaolin de Liu Chia-Liang et à Tsin Yi (Damian Lau) de La dernière chevalerie de John Woo, que le cinéaste se réfère ouvertement. Sans oublier l’incroyable sens de la mise en scène dont le cinéaste fait preuve, entre l’épure des cadres, et une action pensée en terme « tri-dimensionnel ». Le combat opposant les deux gangs est, du point de vue de Carpenter, l’une des scènes de sa carrière dont il est le plus fier. Chorégraphiée par Jeff Imada, ancien mentor de Brandon Lee, et chorégraphe réputé à Hollywood – on lui doit notamment les combats de Blade, Fight Club ou encore Le livre d’Eli et Hanna – cette scène repose entièrement sur un montage nerveux, des cadres savamment pensés et une gestion instinctive de l’espace, qui témoigne d’une incroyable maîtrise de l’action et du langage cinématographique. Tous ces éléments conduisent le film à devenir un mélange des genres unique, qui culmine lors du climax final. Au détour d’un ultime affrontement, entre Lo Pan et Egg Shen (le mentor de Wang campé par l’attachant Victor Wong). Carpenter convoque aussi bien l’animation, le manga, l’opéra Chinois, la mythologie asiatique, et le jeu vidéo. Il ne le sait probablement pas, mais il vient d’ouvrir une porte que de nombreux autres cinéastes vont explorer ultérieurement, et qui ne trouvera sens que récemment.

Sorti en salles lors de l’été 1986, après une post-production houleuse où l’incompréhension des cadres de la Fox se heurta à celle du cinéaste, le film doté d’un budget de 25 millions de dollars (une somme importante pour l’époque), n’en rapporta que 11, 1 millions. L’échec public et critique du long-métrage affecta profondément le cinéaste qui abandonna la suite qu’il avait envisagée pour son duo, et quitta temporairement le giron des majors, pour revenir en indépendant et tourner deux longs-métrages : Prince des ténèbres et Invasion Los Angeles. Les critiques, qu’elles soient professionnelles ou spectateurs, reprochèrent au film son approche décomplexée vis-à-vis de tout un pan de la culture asiatique et populaire, le simplisme de son scénario et le fait que les personnages ne répondaient pas aux modes du moment. Il faut avouer que 3 semaines plus tard, Aliens de Cameron, grand succès public mais qui fut autant critiqué que le long-métrage de Carpenter, introduira de façon beaucoup plus subtile des éléments issus de la culture pop asiatique, encore méconnue chez certains. Le mécha étant introduit en début de métrage, comme aide aux soldats, les spectateurs auront beaucoup moins de mal à accepter l’idée d’un combat final entre celui-ci et la reine des aliens. Carpenter résumera son problème par le fait qu’il n’a pas pensé à la fameuse « porte d’entrée » permettant aux spectateurs et aux critiques d’adhérer à son film. Pourtant le long-métrage va très vite trouver son public par le biais des VHS et diffusions TV. Réévalué au fil des ans au point de devenir l’objet d’un culte totalement justifié, Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin finira par connaître une seconde jeunesse, et compte de nombreux fans célèbres. Comme l’actrice Jessica Chastain (qui le considère comme l’un de ses films de chevet) ou les cinéastes Guillermo del Toro (qui considère le personnage de Hellboy comme son Jack Burton) et Quentin Tarantino (En plus de la présence de Kurt Russell, on notera la présence de son T-Shirt iconique accroché à un mur, dans Boulevard de la mort).

Encore plus important est la manière dont le long-métrage de Carpenter annonçait l’influence du cinéma asiatique sur l’Hollywood contemporain. Qu’il s’agisse d’inspirations scéniques comme dans Le dernier samaritain et True Romance de Tony Scott, où d’hommages déférents envers cette cinématographique comme Tigre et Dragon d’Ang Lee, c’est surtout la reprise de multiples langages artistiques et culturels qui s’avère la plus fascinante. Lorsque Matrix, et son lot de références culturelles et artistiques, sort en salles avec le succès que l’on connaît, certains ne manqueront pas d’évoquer une certaine similarité envers l’hommage et le traitement personnel décomplexé que l’on trouvait déjà dans le long-métrage de 1986. Idem pour Kill Bill en 2003. Pourtant tout ne trouvera définitivement du sens que vers la fin des années 2000 et le début des années 2010, à travers la « fusion artistique » que connaîtra le cinéma. Si le mix d’influences artistiques est quelquefois synonyme de mercantilisme comme dans Sucker Punch (où l’univers incohérent et illogique fonctionne cyniquement sur une complicité publicitaire forcée), ou le récent The Amazing Spider-Man : Le destin d’un héros (avec son Electro en mode Super Saiyan sur fond de Dubstep, dans une centrale électrique). Voire la négation des nouvelles possibilités artistiques vue obligatoirement comme dogmes réactionnaires (Adieu au langage). Il arrive que certaines œuvres reprennent humblement et avec génie l’idée d’une fusion «artistique » comme nouvel horizon des possibles comme l’avait annoncé le combat final entre Lo Pan et Egg Shen. Speed Racer, Scott Pilgrim et Pacific Rim ont pour point commun, au-delà de la réception publique et critique qui fut hélas similaire, de reprendre la portée artistique visionnaire du long-métrage de John Carpenter. En mixant animation, jeux vidéo, peintures, comics book, manga, films de genres … . Ainsi l’utilisation du « fantôme », du « continue », des tenues organiques à des fins narratives et sensitives sont autant d’éléments dont l’origine se situe du côté du cinéaste de New York 1997. D’autant plus que ce mix d’influences prend souvent part dans des univers dont l’origine culturelle, bien que mondiale et intemporelle, se situe du côté de l’Asie, qui tient par essence sa force des mélanges culturels, artistiques et mythologiques qui la caractérisent. Un appel à s’ouvrir à toutes les formes d’arts sans les hiérarchiser et à embrasser les cultures dont elles sont issues.

Aujourd’hui considéré comme l’une des œuvres les plus « cultes » de son auteur, Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin témoigne de l’humble génie visionnaire de son cinéaste. Un film arrivé bien trop tôt, qui à depuis fait son chemin, et qui prouve que souvent c’est l’héritage d’une œuvre sur d’autres qui témoigne de l’importance de cette dernière. À voir et revoir, indéfiniment.

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Rédacteur pour Monsieur Bobine et Furyosa. Co-auteur de "L'oeuvre des Wachowski - La matrice d'un art social" chez Third Editions.

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