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Tsui Hark, qui pourrait recevoir le titre honorifique de grand conservateur de la culture chinoise, délaisse quelque peu le temps d’un film ses vastes charges politisées. Avec La Bataille de la montagne du tigre, il réalise enfin un projet de longue date, un grand film d’aventure sous forme de relecture moderne d’un pilier classique. Mais cet hommage spectaculaire aux héros du passé cache une nouvelle fois bien son jeu, et l’entertainment pur et dur reste pour Tsui Hark un vecteur formidable pour déclamer son discours.

Adapté d’innombrables fois au cinéma (notamment « Taking Tiger Mountain by Strategy » de 1970, produit en pleine révolution culturelle et qui reste un des films les plus vus sur le territoire chinois), à l’opéra ou la télévision, le roman « Tracks in the Snowy Forest » de Qu Bo est un monument de la culture populaire chinoise. Le récit se base par ailleurs sur l’histoire vraie d’un soldat infiltrant le quartier général de bandits et d’une bataille façon David contre Goliath. Un récit largement patriotique ventant les mérites de l’armée chinoise lors de la guerre civile courant jusqu’à la moitié du XXème siècle, opposant nationalistes et communistes. Des valeurs d’héroïsme, de sacrifice et d’entraide qui alimentent logiquement la doctrine du parti, et qui vont permettre à Tsui Hark de torpiller à nouveau un projet financé à 100% par la Chine, une œuvre qui semble transpirer le patriotisme triomphant pour mieux remettre en cause les récits propagandistes et leur rapport biaisé au réel. Comme souvent chez Tsui Hark, il faut savoir lire entre les lignes, même si en première lecture, le spectacle qu’il propose avec La Bataille de la montagne du tigre s’avère tout bonnement stupéfiant, à la fois classique et d’une modernité absolue.

Classique car La Bataille de la montagne du tigre, en plus de proposer une relecture d’un classique chinois, renoue avec une vieille tradition du film d’aventure guerrier, du film de commando façon Les Douze salopards, De l’or pour les braves ou encore Quand les aigles attaquent, symboles de la fin des années 60. Un genre quelque peu délaissé depuis plus d’un demi-siècle et qui renait de ses cendres sous l’impulsion du génie de Hong-Kong qui en maîtrise tous les aspects en plus d’y imposer une vision évidemment très moderne. Notamment en y ajoutant un contexte contemporain, de sorte que l’ensemble du film prenne la forme d’un récit dans le récit. En ouvrant et en fermant son film dans le monde moderne, citant le film de 1970 au passage, Tsui Hark prouve une nouvelle fois à quel point la notion d’héritage est essentielle dans sa vision du monde. Il met cette fois en scène, ouvertement, le devoir de mémoire culturelle qui constitue son approche du matériau cinématographique depuis ses débuts. Une occasion également pour lui de pervertir ce concept lors de la séquence finale. En attendant, il ancre ainsi son récit dans un cadre bien précis qui est celui de la mémoire et des récits oraux, à travers l’héritage de ce héros de la montagne du tigre revu par un de ses descendants. Le plus habile dans tout cela, au-delà de la virtuosité avec laquelle il traite son film de commando en décor enneigé, est bien sa vision du film de propagande et la sa façon d’en mettre en lumière toute l’absurdité. Tsui Hark a beau clamer qu’il voulait rendre hommage aux héros « oubliés », il cherche surtout à tourner en dérision l’image surréaliste qui en est donnée à travers les récits héroïques basés sur des faits réels.

Ainsi, si La Bataille de la montagne du tigre, une fois passée sa séquence inaugurale contemporaine, prend la forme d’un classique film de commando ancré dans un certain réalisme, la multiplication des éléments déconnectés du réel traduit parfaitement le point de vue de l’auteur. Il s’agit de mettre en lumière le recul nécessaire face aux légendes. Il n’y a qu’à voir le repère des bandits qui semble, grâce à une direction artistique magnifique, tout droit sorti d’un film d’heroic fantasy ou steampunk. Ou encore le look même des bandits en question et qui, à la manière des bad guys de Seven Swords, deviennent des sortes d’icônes presque post-apocalyptiques. Même le héros, Yang, avec sa barbe et son habit de fourrure, semble évoluer sur une scène de théâtre. Pas étonnant que Tony Leung Ka-fai se retrouve tellement grimé, littéralement méconnaissable, pour ressembler au faucon qui l’accompagne et qui lui prête son surnom de Hawk. Le cours des évènements finit lui également par défier les lois du réel, jusqu’à ce magnifique pied de nez que constitue la fin alternative directement accolée au film, traduisant le travestissement constant des actes héroïques dans les histoires racontées aux générations suivantes. Il ne s’agit en aucun cas d’une critique, Tsui Hark étant un grand partisan de l’imaginaire, mais une volonté d’ouvrir les yeux, et de se dire qu’un fait réel se concluant par un mexican standoff sur le flanc d’un avion en flammes coincé entre deux falaises, il ne faut peut-être pas le prendre pour argent comptant. Même si la chose s’avère des plus stimulante.

Outre cet aspect essentiel, La Bataille de la montagne du tigre s’impose sans difficulté comme un très grand divertissement populaire, du genre à devenir un potentiel classique en puissance. La mise en scène de Tsui Hark est toujours aussi virtuose, notamment dans son approche de la grammaire cinématographique utilisant les possibilités du relief. Par exemple, s’il y a cet éternel problème lié à l’utilisation des CGI (Tsui Hark n’aura jamais les moyens de ses ambitions visuelles à moins d’accepter un blockbuster hollywoodien à 200 millions de dollars, et même dans ce cas de figure il n’est pas certain qu’il puisse s’en contenter), la très attendue séquence du tigre se montre extraordinaire dans l’utilisation des différentes strates du plan et dans la profondeur. Avec au moins trois séquences d’action massives, des scènes de fusillade et/ou d’assaut, le réalisateur démontre une gestion de l’espace tout simplement redoutable, mettant à profit par sa mise en scène les différentes armes et modes de combat. Et le tout dans un décor extrêmement vaste. Même son utilisation des ralentis, toujours très stylisés, prend tout son sens rapportée à l’action en cours. Pas de frime, simplement la meilleure façon de mettre en scène ce qu’il cherche à raconter. Avec de magnifiques séquences de sniper, de glisse, d’infiltration, des combats over the top, des personnages qui balayent volontiers les notions morales pour se plier à celles, bien plus fondamentales, des rapports humains, La Bataille de la montagne du tigre est bien ce grand spectacle populaire attendu, en plus d’être à nouveau une œuvre d’une intelligence remarquable. C’est d’ailleurs un retour en grande pompe des valeurs chevaleresques chez Tsui Hark, doublées d’une illustration de la mécanique fraternelle et des stratégies militaires, qui touchent à l’universalité. Et pour ne rien gâcher, les 2h20 semblent passer à toute allure tant le mogul maîtrise sa narration et sait comment satisfaire un large public.

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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