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Avant sa majestueuse trilogie de la vengeance, dont la pièce centrale Oldboy le fit exploser sur la scène internationale, Park Chan-wook réalisait JSA (Joint Security Area). Une œuvre hybride entre le film de guerre, le thriller politique et la comédie intimiste qui brille déjà par la sophistication extrême de la mise en scène de son auteur. Mais également un film dont l’écriture ciselée et inspirée participent à l’entrée du cinéma sud-coréen dans une nouvelle ère. C’est dire si la sortie de JSA dans une version restaurée est une occasion inespérée de (re)découvrir cette merveille dans des conditions optimales.

A l’aube des années 2000, Park Chan-wook est un réalisateur déjà en activité depuis presque une dizaine d’années. Mais avec deux films à son actif, The Moon Is… the Sun’s Dream et Trio, deux purges qu’il souhaiterait aujourd’hui voir disparaitre, son talent n’a pas encore trouvé le chemin de l’éclosion. Pourtant, la société de production Myung Film donne toute sa confiance à ce réalisateur qui n’était alors qu’un diamant brut bien loin de briller. Visiblement, il fallait à Park Chan-wook un projet tel que celui-ci, avec les contraintes d’un budget conséquent, un scénario sont il n’était pas l’auteur (il est signé Jeong Seong-san, fin observateur de la Corée du Nord, Kim Hyun-seok et Lee Moo-yeong, avec qui Park Chan-wook collaborera à nouveau pour Sympathy for Mr. Vengeance) et une adaptation d’un roman de Park Sang-yeon titré DMZ. Et le miracle prit place dans les salles sud-coréennes. Le film connut un succès fulgurant, explosant les résultats du blockbuster Shiri sorti l’année précédente. Et bien qu’il fut éclipsé peu de temps après par un film phénomène pour toute une génération, le formidable Friend de Kwak Gyeong-taek, JSA (Joint Security Area) est un jalon essentiel pour toute une industrie locale, et bien entendu pour son metteur en scène qui brisa sa chrysalide de petit réalisateur un peu médiocre pour devenir instantanément un grand. Un esthète, conscient de la puissance de la narration visuelle, qui a parfaitement assimilé comment le cinéma peut manipuler les infimes variations des émotions du spectateur. Outre les qualités intrinsèques de JSA (Joint Security Area), qui est un film brillant de A à Z, il est profondément fascinant pour quiconque a vu les deux films précédents du réalisateur à quel point celui-ci constitue une libération de son talent. Une libération qu’on peut qualifier de collective dans la mesure où hormis Song Kang-ho qui était déjà en place, l’ensemble du cast principal s’est révélé avec ce film et certains sont aujourd’hui des superstars.

JSA (Joint Security Area) est à la fois un film de communion et d’opposition. C’est avec cette idée en tête que Park Chan-wook semble avoir pensé sa narration mais également sa mise en scène. Un dispositif en adéquation parfaite avec son sujet, ou plutôt ses sujets. Car JSA (Joint Security Area), sous ses airs de thriller extrêmement ludique de par sa construction, peine à cacher un profond désespoir. Celui qui plombe évidemment ce grand pays scindé en deux. Une division qui reste une plaie béante pour le peuple coréen, du Sud comme du Nord, et qu’exorcisent de nombreux cinéastes depuis des années maintenant. C’est évidemment le cas de Park Chan-wook ici, à travers un ton qui pourrait paraître très optimiste par moments, même si la séquence d’ouverture et le final ne laissent que peu de doute quant au fatalisme très noir qui anime l’auteur. Tout JSA (Joint Security Area) peut ainsi se résumer à une forme d’illusion. L’illusion du cinéma bien sur, mais derrière, l’illusion de communion entre les deux Corées. Et ce à travers le spectre de l’intime. Une relation fraternelle, presque enfantine, entre soldats des deux camps, d’un côté et de l’autre de la zone démilitarisée. Pour illustrer son propos, le réalisateur convoque les fantômes d’immenses cinéastes tels qu’Akira Kurosawa et Alfred Hitchcock. En effet, si le récit principal de JSA (Joint Security Area) est relativement simple, sa mise en œuvre relève de l’orfèvrerie et d’un travail colossal sur la notion de point de vue. Comme John McTiernan le fit quelques années plus tard avec son sous-estimé Basic, Park Chan-wook réinvente la narration « à la Rashômon », à savoir un récit raconté plusieurs fois selon différents narrateurs et donc points de vue. Ainsi, d’une ouverture hors champ, selon le point de vue d’un animal, on passe au point de vue des observateurs mais également des acteurs. Avec évidemment son lot de mensonges et donc d’illusion que traduit immédiatement la caméra de Park Chan-wook.

Cette proposition permet au spectateur une évolution constante dans son identification. Et là où le film fait finalement très fort, c’est dans sa démonstration de l’illusion totale, voire de l’arnaque, que constitue le concept de neutralité diplomatique. Dans ce jeu permanent, chaque personnage traduit cette illusion que constitue le point de vue. Le personnage central de Sophie Jean d’abord, incarnée par Lee Young-ae, future Lady Vengeance pour Park Chan-wook et dont la neutralité nécessaire peine à masquer les origines. Ce qui la rend d’autant plus touchante car elle porte en elle la blessure de la division coréenne. Mais il en est de même pour les soldats, dont le discours formaté et dicté par une hiérarchie surpuissante se retrouve pulvérisé par la réalité : celle d’une nécessaire réconciliation entre les hommes quand les états se font la guerre sur des principes qui dépassent l’humain. Ainsi, sous ses airs de thriller parfois très sombre et finalement assez désespéré, JSA (Joint Security Area) puise sa puissance dans l’intime et dans l’amitié entre des hommes qui se rencontrent par le fruit du hasard. Mais une amitié tout bonnement impossible, car chacun de ces soldats n’est rien d’autre qu’une bombe à retardement, et dont le cerveau doit gérer le conflit entre des ordres stricts sur qui est l’ennemi et la réalité des sentiments humains. Ainsi, les images de Park Chan-wook font se répondre ces contradictions. Une pure séquence de guerre extrêmement tendue va laisser la place à des moments de bonheur pur et enfantin. Une scène shootée caméra à l’épaule sera suivie par des mouvements très apaisés voire aériens. Mais cette caméra va accompagner au plus près chaque mouvement et chaque regard. Elle va traduire chaque hésitation et chaque révélation, à l’image de ce travelling qui va s’arrêter tout net en accompagnant les pieds de soldats sud-coréens traversant le fameux pont de non-retour. C’est l’image qui va révéler sa vérité plutôt que des personnages au discours dogmatique, et chaque plan se retrouve ainsi pétri de sens.

Le gunfight terminal, séquence habituellement attendue comme spectaculaire et quelque part jouissive, est ici pleine de sens et devient au fil de ses relectures tout simplement bouleversante. Avec JSA (Joint Security Area), Park Chan-wook posait les bases de son lyrisme pétri de violence, de sa faculté à surprendre le spectateur en le prenant à rebrousse-poils au moment où il s’y attend le moins, et de cette propension à illustrer la nature profondément conflictuelle de l’être humain malgré l’illusion d’apaisement qui peut transparaitre. Avec son écriture d’une précision redoutable et sa mise en scène véritablement spectaculaire, mais également un incroyable tour de force au niveau de son montage, JSA (Joint Security Area) offre également à Song Kang-ho et Lee Byung-hun des rôles parmi les plus aboutis de leur carrière. Des rôles pleins de subtilité pour des personnages qui se réinventent à quasiment chaque séance, un jeune fou et un vieux sage tantôt redoutables voire effrayants, tantôt profondément attachants, à tel point que le final n’en est que plus bouleversant. Véritable coup de maître, JSA (Joint Security Area) porte en lui tous les germes de l’œuvre de Park Chan-wook, mais surtout le cri de désespoir de tout un peuple déchiré, ce qui le rend d’autant plus puissant.

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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