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Fureur apache tient une place à part, autant dans la filmographie largement sous-estimée de Robert Aldrich, que dans le paysage du western dit « révisionniste » très en vogue dans les années 60 et 70. Avec ce western nihiliste et allégorique, le réalisateur des Douze salopards livre une œuvre faite de sang, de haine et d’aveuglement, analysant avec une justesse remarquable l’absurdité cyclique des conflits dans lesquels s’engage l’Amérique. Un film qui, s’il sortait aujourd’hui, conserverait la même résonance.

En 1972, Robert Aldrich, 54 ans à l’époque, n’a plus réalisé de western depuis une dizaine d’années. Entre temps, il a obtenu un succès public considérable avec son film de guerre Les Douze salopards et peut donc se permettre une certaine liberté. De quoi se lancer sur le projet Fureur apache, qui est également l’occasion pour lui de retrouver le grand Burt Lancaster, qu’il avait dirigé dans ses premiers westerns dans les années 50, Vera Cruz et Bronco Apache (le second et troisième long-métrage réalisés par Aldrich). Une vingtaine d’années plus tard, Lancaster est devenu extrêmement puissant, à tel point qu’il réussira à sortir son propre montage de Fureur apache. Quoi qu’il en soit, avec l’aide d’un scénario brillantissime signé Alan Sharp (futur scénariste de La Fugue d’Arthur Penn, d’Osterman Weekend de Sam Peckinpah et de Rob Roy), Robert Aldrich livre un western hors normes, bien loin de l’angélisme de certaines productions de l’époque, notamment dans son rapport aux indiens.

Fureur apache échappe tout au long à un quelconque manichéisme. Il n’y a pas d’un côté les gentils confédérés et de l’autre les méchants indiens, ou l’inverse. Cependant, le film ravive une idée que les « westerns révisionnistes », ou neo-westerns, avaient effacé, à savoir une vision du peau-rouge montré comme une brute sanguinaire. De ce récit quelque part alimenté par un fait réel, la révolte dans le sang de l’indien Ulzana, Robert Aldrich compose un film d’aventure sous forme de traque dont le sens finit par échapper aux différents protagonistes. Le point de départ est simple : attraper Ulzana et sa bande et les ramener dans la réserve. Par extension, le cinéaste cherche à raconter l’histoire d’une Amérique souhaitant pacifier une bande d’autochtones rebelles. Pour comprendre la portée véritable du film, signé d’un réalisateur extrêmement engagé, il faut observer le décor dans lequel il a été fabriqué. En 1972, l’Amérique est à la veille d’une élection, qui verra l’arrivée au pouvoir de Nixon, mais elle est surtout empêtrée dans la guerre du Viet Nam. Fureur apache est donc de toute évidence une vaste métaphore de ce conflit dans lequel les forces américaines pourchassaient des milices difficilement identifiables et parfaitement en phase avec leur environnement. La lucidité d’Aldrich est telle que son récit est tout à fait applicable à d’autres conflits postérieurs, les USA ayant tendance à s’aventurer sur ce genre de terrain.

Fruit d’une narration d’une précision diabolique, Fureur apache joue en permanence avec l’empathie du spectateur, quitte à le secouer parfois très fort. En effet, le raid des indiens parait tout d’abord tout à fait noble et la traque des américains absurdes. Puis Robert Aldrich montre les massacres perpétués par Ulzana. Il filme cela sans rien cacher de la barbarie de leurs actes, et ose des plans quasiment gores. Cela entraine une sensation d’étourdissement, le spectateur ne sachant plus vraiment de quel côté se situer. Simplement car dans ce film, il n’y a ni bons ni méchants, chacun des camps étant capable des pires atrocités. Meurtres rituels, viols, tortures… rien ne nous est épargné de cette chevauchée macabre qui vire au voyage en absurdie. Le réalisateur aménage pourtant quelques points d’ancrage pour le public. Cela à travers trois personnages complexes et aux motivations totalement différentes. D’un côté, le sage guerrier omniscient, qui lutte pour sa patrie mais comprend l’adversaire, interprété par un très grand Burt Lancaster, parfait dans la peau du vieux loup aux idéaux fondamentalement bons, mais capable de mettre de côté sa morale.

De l’autre côté, on trouve le symbole d’une jeunesse inexpérimentée envoyée au front, dont l’innocence et les valeurs morales vont imploser au contact du terrain et de l’ennemi. Interprété par Bruce Davison, le Lieutenant Garnett DeBuin est un personnage délicat mais qui n’est pas à sa place. Fervent chrétien, clairement sous-formé à la guerre, avec une vision idéaliste de la mission de l’armée, c’est sa chute et sa confrontation au monde réel qu’illustre Fureur apache. Il y a enfin le personnage de Ke-Ni-Tay, figure classique de l’indien ayant changé de bord et qui reniera ses valeurs culturelles simplement pour accomplir la mission pour laquelle il s’est engagé, et maintenir ainsi son sens de l’honneur. Il est le vecteur spirituel de cette histoire et le lien direct entre les deux camps. Il est d’un côté engagé avec l’armée américaine, et de l’autre fait partie de la famille d’Ulzana, sa proie. Ce dernier est d’ailleurs incarné avec beaucoup de nuance, trouvant une forme de noblesse dans son baroud d’honneur suite à la perte de son fils. Tous ces personnages apportent énormément de matière à Fureur apache, qui brise allègrement nombre de codes inhérents au western. Religion, famille et patrie s’y télescopent dans un ensemble qui véhicule une véritable fureur, et ton résolument nihiliste, assez peu commun dans le cinéma de Robert Aldrich. Le réalisateur refuse par ailleurs le spectaculaire, préférant une approche réaliste et brutale, d’une violence parfois inouïe et bénéficiant d’un découpage d’une efficacité redoutable.

Fureur apache montre une Amérique prêchant des idéaux qu’elle ne respecte pas elle-même. Une nation guerrière qui broie sa jeunesse, piétine ses fondations spirituelles et se construit dans le sang et la poussière. En cela, le film se montre d’une violence parfois difficilement soutenable, avec un dernier acte qui voit ses personnages disparaitre les uns après les autres. Le massacre est d’autant plus tragique qu’il est la conséquence de l’incompétence d’un officier pas à sa place, incapable d’accepter les enseignements du sage à ses côtés. En résulte un film peu agréable, à la tension constante et porté par une narration extrêmement précise, sans le moindre temps mort inapproprié. Les paysages de l’Arizona y sont dépeints comme un vaste cimetière et les hommes y sont forcés, par la nature des choses, d’y accomplir des actes moralement inacceptables. Trop méconnu, Fureur apache mérite d’être (re)découvert car il ouvre des portes extrêmement douloureuses, sur les fondamentaux des USA, mais également sur le goût du sang de la nature humaine.

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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