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Johnnie To varie ses plaisirs de metteur en scène, passant avec la même aisance d’un genre à l’autre. Mais s’il y a bien un genre dans lequel il excelle, c’est le polar. Et Drug War, son 53ème film, s’inscrit dans cette veine-là. Et, s’il ne constitue pas un sommet dans sa carrière, il s’impose comme un exercice de style assez radical autour de la série B. Un polar tendu, simple et virtuose, dont la production en Chine continentale constituait à sa sortie un des plus gros défis.

Quand il met en scène Drug War en 2012, Johnnie To n’a plus réalisé de pur polar depuis le mal-aimé Vengeance avec Johnny Hallyday. Ce retour au genre, dont il est le plus éminent représentant à Hong Kong depuis le départ des géants, est quelque part salutaire. Une façon pour lui d’affirmer haut et fort qu’il reste le patron, même s’ils sont plusieurs à se rapprocher du trône. Et il soigne son retour, avec cette sophistication qui caractérise son cinéma. Cependant, si Drug War est un polar très haut de gamme qui met une bonne fessée à la concurrence, le réalisateur ne prend pas beaucoup de risques et se contente essentiellement d’assurer, de capitaliser sur des figures qu’il maîtrise sur le bout des doigts, plutôt que de sortir de sa zone de confort. C’est le principal reproche qu’il est possible d’adresser à ce très beau film : il n’apporte rien de bien nouveau et se contente d’aligner des séquences virtuoses articulées autour d’un récit extrêmement basique. Et aussi radical soit-il dans sa recherche de l’épure narrative, il reste très loin des sommets de l’auteur que sont The Mission et Exilé.

Johnnie To investit cette fois un récit tenant de la pure série B. Un caïd va se retrouver dans les mailles de la police, va les aider, les manipuler, et tout cela va mener tout ce petit monde vers un final opératique et tragique. Drug War est d’une simplicité extrême, les seules zones de trouble dans le récit se situant dans la nature du personnage interprété par Louis Koo. Est-il une balance en puissance, acculé, ou est-il un maître dans l’art de la manipulation ? Collabore-t-il avec le système ou cherche-t-il à l’utiliser de façon perverse ? Le parallèle est évident entre le propos du film et sa fabrication, Drug War étant le premier polar du réalisateur entièrement tourné en Chine continentale et dont l’action s’y déroule du début à la fin. Mais Johnnie To n’étant pas Tsui Hark, son film n’a rien de frondeur et se plie volontiers aux règles chinoises avec lesquelles il va jongler afin de ne pas trop pervertir son style. Rien de critique, rien de politique, le film est très basique et se construit sur des figures extrêmement manichéennes. Les gentils flics contre les méchants trafiquants de drogue. On reste loin d’Election et Election 2 qui dénonçaient les ramifications mafieuses entre la Chine et Hong Kong.

L’intérêt de Drug War ne se situe donc pas dans un quelconque sous-texte mais dans une approche très premier degré du genre. Le film porte clairement la marque de son auteur, tout en développant une ambiance assez nouvelle. Évidemment, les recoins de Hong Kong ne sont plus à l’ordre du jour et son remplacés par des espaces bien plus vastes, lui permettant de ressortir quelques motifs qui lui sont chers, et notamment ceux liés au western. En résulte un objet cinématographique qui n’a rien de très important, encore moins de majeur, et qui ressemblerait presque à une bande démo de savoir-faire. Avec un récit qui tient purement de la série B jouant la carte de l’efficacité, il est d’ailleurs étonnant de trouver au script autant de signatures, les fidèles Wai Ka-Fai et Yau Nai-Hoi (auteurs pour Johnnie To et la Milkyway depuis les années 90) collaborant avec Ray Chan et Yu Xi, nouveaux venus dans la galaxie To (troisième collaboration depuis Don’t Go Breaking my Heart pour le premier, première collaboration pour le second). Étonnant car il n’y a finalement rien de bien nouveau dans Drug War, film d’une élégance folle mais dont chaque séquence s’avère très attendue. En effet, il ne va pas plus loin que la traditionnelle mécanique d’infiltration, d’écoute et de manipulation sans lui apporter du sang neuf.

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Ceci dit, le film fonctionne à plein régime et s’inscrit dans la continuité des polars haut de gamme du réalisateur qui conserve toute sa maestria pour transcender un récit simple en un objet de cinéma radicalement différent de la concurrence. Même si là encore, il l’a déjà fait et ne surprend pas vraiment. On retrouve ainsi ce sens inné du cadre qui lui permet de composer des plans magnifiques, avec cette fois une photo extrêmement sombre jouant sur le clair-obscur (beaucoup de séquences de nuit avec une seule source lumineuse) et de violentes ruptures de ton sur le plan graphique, avec tout à coup des scènes baignées de lumière blanche à l’image de la fusillade finale. Des gunfights évidemment importants, comme toujours, et qui bénéficient autant d’un découpage diabolique que d’un sens de l’espace qui impressionne toujours autant par sa logique et la chorégraphie qui y est liée. Mais c’est surtout le tempo qui caractérise les films de Johnnie To, même s’il est loin des expérimentations sur la suspension du temps de ses plus grands films (The Mission en tête). Dans Drug War les quelques fusillades sont généreuses, brillamment mises en scène et découpées, mais sont au final relativement classiques chez un réalisateur qui peine à faire évoluer sa grammaire cinématographique et commencerait presque à un peu tourner en rond.

Difficile toutefois de lui reprocher une telle maîtrise. Ou même de lui en vouloir de rester dans cette position du « Michael Mann chinois » avec une approche du polar anti-spectaculaire et atmosphérique au possible, préférant jouer sur le silence que sur des tunnels de dialogues imbuvables, refusant toute surenchère dans l’action. D’autant plus qu’il ose tout de même livrer un film au final d’une noirceur extrême, carrément crépusculaire. Mais là encore, même s’il s’agit d’un film 100% chinois, le réalisateur n’a jamais été un adepte du happy end pour ses polars et il n’y a rien de bien surprenant. Si Drug War reste un petit bijou qui se positionne très haut dessus du lot au niveau de la production du genre en Chine et à HK, et devrait à ce titre ravir les néophytes, il témoigne d’un relatif manque d’ambition chez Johnnie To. Il se contente de dérouler une mécanique redoutable et une technique qu’il maîtrise sur le bout des doigts (chaque gunfight est une séquence d’anthologie), dirige ses acteurs de façon merveilleuse (Louis Koo est impérial mais Sun Hong-Lei l’est tout autant) et développe un style visuel qui continue de se radicaliser. Mais en assurant sans prendre de risques véritables, il risque d’ouvrir une belle porte aux jeunes loups qui cherchent à le faire descendre de son trône.

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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