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Après six ans d’absence et un film de commande à la production houleuse, le belge Fabrice Du Welz revenait cette année à la Quinzaine des réalisateurs pour présenter son nouveau bébé nommé Alleluia. Une nouvelle fois, il signe un film peu aimable, agressif, à contre-courant, et pourtant fascinant. Non seulement car il s’inscrit dans un propos logique pour son auteur mais également car il manie avec brio les ruptures de ton et ose le jusqu’au-boutisme.

Alleluia. Un titre qui résonne comme un soulagement chez le spectateur qui attendait le retour de Fabrice Du Welz. Il est de retour et si en apparence son dernier rejeton marque un coup d’arrêt dans l’escalade ambitieuse de son œuvre, il n’en reste pas moins un film qui possède toute son identité, s’affranchissant cette fois de tout un réseau d’influences qui pouvait parasiter l’expérience des grincheux. A l’origine, il y a bien sur l’odyssée sanglante du couple criminel formé par Raymond Fernandez et Martha Beck, immortalisée sur pellicule par, entre autres, Leonard Kastle (Les Tueurs de la lune de miel, 1970) et Arturo Ripstein (Carmin profond, 1996). Pourtant, si le fait divers participe à bâtir la colonne vertébrale narrative d’Alleluia, le film se construit sa propre mythologie et finit par échapper au petit jeu des comparaison, par des partis-pris courageux et une foi considérable en son cinéma du choc et de la sensation.

Alleluia possède une approche presque naturaliste façon Calvaire, mêlée à des séquences purement sensitives, faisant appel à l’instinct primitif du spectateur, comme il y en avait dans Vinyan. Il s’inscrit donc dans un cheminement formel logique, tout en ouvrant d’autres voies, mais vient surtout boucler une étrange trilogie de par les thèmes qu’il brasse. La rencontre entre Michel et Gloria, est autant le fruit d’un funeste destin que l’aboutissement d’une recherche mutuelle. D’un côté, elle cherche à combler un vide dans sa vie, le manque d’un homme, quand lui doit satisfaire son insatiable faim de femmes et d’arnaques. Le manque, d’amour, est le point d’ancrage des trois films de Fabrice Du Welz. Dans Calvaire, c’était le cas avec la recherche de cette femme perdue ou d’un chien, dans Vinyan la recherche de l’enfant perdu. Aujourd’hui, en attendant Colt 45 qui va sans doute dans une autre direction, le belge se fait cinéaste du manque à travers des fresques dont le minimalisme d’apparat brouille les pistes. Ici, c’est donc une nouvelle histoire d’amour qui se déroule, une histoire pas comme les autres, articulée autour du principe de l’amour fou, littéralement, qui brûle tout sur son passage.

Dans une séquence presque surréaliste, Fabrice Du Welz montre les amants danser puis s’étreindre devant des flammes. La scène en elle-même est magnifique, puissante, en rappelle au rite de Michel qui pratique une forme de magie noire (fonctionne-t-elle ou lui confère-t-elle l’assurance nécessaire pour mener à bien son procédé d’arnaque ?) autant qu’elle annonce un final nécessairement apocalyptique. Alleluia est un film fou, incandescent, extrême jusque dans ses maladresses mais qui bénéficie de cette rigueur dans la folie qui fait de Fabrice Du Welz un électron libre mais sachant précisément où il va. Il se dégage de son film une légère sensation de bordel, voulue, qui cherche à déstabiliser son public. Il ne s’était jamais montré si lyrique ni si drôle, même si son humour n’est certainement pas du goût de tous. En effet, jouer sur l’effet grotesque et outrancier d’une certaine violence ou de situation tragiques et d’en tirer des éléments ouvertement comiques peut poser problème. Pourtant, ça fonctionne. Que sa violence soit sèche ou grand-guignolesque, elle traduit à merveille la folie qui émane de ce couple consumé par un amour qui vire à la folie pure et dure.

Ces amants criminels sont un terrain d’exploration formidable car ils cristallisent véritablement l’amour fou dans ce qu’il développe de plus extrême et passionné, en même temps qu’ils participent à établir un discours assez génial sur l’inversion brutale des enjeux au niveau de la notion de contrôle au sein du couple. Le prédateur devient la proie, et inversement. Si ce propos n’a rien de fondamentalement original, il est traité avec suffisamment d’intelligence et de générosité pour apporter sa pierre à l’édifice. Avec son jeu sur la répétition de motifs (le nom de Gloria en rappel de Calvaire, la structure en chapitres creusant chaque fois un peu plus la plongée en enfer…), son goût pour les ruptures de ton (ici, une chanson, ici une étreinte, là un meurtre d’une violence surréaliste), ses trésors de mise en scène (la composition de chaque plan est d’une intelligence remarquable) et ses parti-pris graphique radicaux (une image parfois granuleuse jusqu’à l’abstraction, une lumière jouant sur les contrastes extrêmes et les zones d’obscurité comme le cinéma n’ose plus en faire), Alleluia est à la fois une magnifique histoire d’amour du point de vue féminin, radicale dans son traitement, et une sorte de conte macabre à la fois terrifiant et drôle. Porté par un magnifique duo composé de Laurent Lucas et Lola Dueñas, tous deux poussés dans leurs derniers retranchements pour donner du corps à cette passion destructrice à sens unique, chronique amoureuse tellement en marge qu’elle est naturellement salutaire, le nouveau film de Fabrice Du Welz ne caresse pas le spectateur dans le sens du poil, transpire la fureur et le sang, part parfois dans tous les sens, mais reste une expérience de cinéma jusqu’au-boutiste, d’une liberté totale, qui fait un bien fou.

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Auteur

Gigantesque blaireau qui écrit des papiers de 50000 signes absolument illisibles de beaufitude et d'illettrisme, d'après Vincent Malausa.

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